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Fusillade de 1984 à l’Assemblée nationale

Le mardi 8 mai 1984, à 9 h 45, un caporal de l’armée canadienne âgé de 25 ans s’est introduit dans l’Assemblée nationale de Québec et a ouvert le feu, touchant 16 personnes, dont trois mortellement. L’assaillant avait manifesté sa volonté de « détruire » le gouvernement du Parti québécois alors au pouvoir. Il s’est assis dans le fauteuil du président de l’Assemblée, d’où il a tiré périodiquement des rafales de son arme automatique. Le sergent d’arme de l’Assemblée, René Jalbert, a pénétré dans le Salon bleu et a établi une conversation avec lui. Dans les heures suivantes, il a réussi à persuader le tireur de se rendre à la police militaire. René Jalbert a été célébré comme un héros. Le tireur a été condamné à 10 ans de prison pour meurtre au second degré. La fusillade demeure un des actes de violence politique et de terrorisme les plus meurtriers de l’histoire canadienne.

Le tireur

Le tireur, Denis Lortie, naît à Québec le 10 mars 1959, le benjamin d’une famille de huit enfants. Dans son témoignage, il dit avoir été physiquement et sexuellement abusé par son père, tout comme ses frères et sœurs. Il est âgé de dix ans lorsque son père est reconnu coupable d’inceste et quitte le foyer familial. À 17 ans, il s’enrôle dans les Forces armées canadiennes. À une certaine époque il est assigné à un destroyer de la marine et stationné à Halifax.

L’assaillant se marie en 1980; il a un fils en 1982 et une fille en 1983. En 1984, il est technicien en approvisionnement à la SFC Carp, un abri souterrain conçu pendant la Guerre froide pour servir de centre de commandement d’urgence au gouvernement canadien. Au moment de la fusillade, le tireur est armé de deux mitraillettes, deux armes de poing et un sac de munitions, le tout provenant de la SFC Carp. (Voir : Mitraillette C1; Pistolet Browning Hi-Power.)

Fusillade

Une vingtaine de minutes avant le début de la tuerie, le tireur dépose aux studios de la station de radio CJRP de Québec un message de 45 minutes enregistré sur une cassette et demande aux employés de la remettre à l’animateur André Arthur, afin qu’il écoute l’enregistrement à 10 h. Cette visite inquiète un des employés, car l’homme est vêtu d’une tenue de combat militaire et porte un gros couteau de chasse à sa ceinture. André Arthur et son équipe écoutent la cassette. L’homme menace de détruire le Parti Québécois « qui a fait beaucoup de tort à la langue française et au Québec, et au reste du Canada ». Il dit aussi : « Je vais tous vous tuer, tout tuer ce qui est sur mon chemin ». Après avoir écouté la cassette, André Arthur prévient immédiatement la police. Mais le massacre est déjà commencé.

Le tireur commence son assaut à la Citadelle, dans les plaines d’Abraham, où il tire une longue rafale de mitraillette, qui n’atteint personne. Il parcourt ensuite près de 200 mètres jusqu’à une porte latérale de l’Assemblée nationale, où il ouvre à nouveau le feu. C’est à peu près à ce moment que l’animateur de radio André Arthur alerte la police. Selon des témoins, le tireur demande : « Où sont les députés? Je veux les tuer ! »

L’assaillant traverse l’édifice en tirant au hasard, vidant des centaines de cartouches de ses deux mitraillettes. Dans une autre partie du bâtiment, un groupe d’une cinquantaine d’élèves du primaire, entendant les coups de feu, se réfugient sous des tables et des chaises. Le tireur tire à travers les portes du restaurant de l’Assemblée, puis il se rend ensuite au Salon bleu, la salle de l’Assemblée nationale, où des techniciens et autres employés s’affairent à préparer une réunion. (Heureusement, l’Assemblée doit se réunir seulement plus tard, au cours de l’après-midi). Le tireur atteint mortellement deux personnes dans le corridor qui relie le hall d’entrée et le Salon bleu. En quelques minutes, il abat 16 personnes. Douze employés de l’Assemblée nationale, un touriste et un ouvrier de construction travaillant à des rénovations sont blessés. Trois personnes sont tuées : des employés du gouvernement, George Boyer, 59 ans, et Camille Lepage, 54 ans, et un employé du bureau des élections, Roger Lefrançois, 57 ans.


Négociations avec René Jalbert

Alors que le tireur est assis dans le fauteuil du président de l’Assemblée, à l’avant du Salon Bleu, René Jalbert pénètre dans la salle par une porte à quelques mètres de là. René Jalbert est le sergent d’arme de l’Assemblée, c’est-à-dire le chef de la sécurité. C’est un ex-militaire, ancien membre du légendaire Royal 22e Régiment et vétéran de la Deuxième Guerre mondiale et de la Guerre de Corée. Les victimes de la fusillade sont toujours dans la salle, ainsi que beaucoup d’autres personnes qui se sont mises à l’abri. Le tireur continue à tirer sporadiquement des rafales de mitraillette, détruisant notamment une horloge.

Debout dans l’embrasure de la porte, René Jalbert se met à parler calmement au tireur. Il établit rapidement une conversation en s’appuyant sur leur expérience commune de l’armée. René Jalbert parvient à persuader le tireur de laisser partir les gens présents dans l’édifice et de le suivre dans son bureau, un étage plus bas, pour « prendre un café et discuter ». Le tireur accepte. Quand les deux hommes arrivent dans le bureau de René Jalbert, sa secrétaire est présente. René Jalbert la présente au tireur. Celui-ci l’embrasse sur la joue avant que, René Jalbert la renvoie chez elle. Quand ils sont seuls, René Jalbert insiste pour que le tireur s’adresse à lui en tant que major, tandis qu’il s’adressera au tireur en tant que caporal. Ceci a pour effet de changer la dynamique entre les deux hommes, le tireur étant sensible à l’autorité de René Jalbert. À un certain moment, la conversation est interrompue par un appel téléphonique de l’épouse de René Jalbert, qui veut s’assurer que tout va bien. Le tireur demande qui appelle : quand Jalbert lui répond, il dit : « Dites-lui bonjour de ma part ».

Pendant que les deux hommes discutent, la police sécurise l’édifice et évacue les blessés. René Jalbert fait des arrangements pour que des policiers de la base militaire de Valcartier, toute proche, escortent le tireur jusqu’à une voiture de police. Peu avant 14 h 30, l’arrestation du tireur met fin au siège. René Jalbert rejoint son épouse à la maison et se sert « plusieurs scotchs ». Il revient à l’Assemblée nationale le lendemain et est reçu par une ovation debout pour son action héroïque.

Procès et condamnation

Bien qu’il ait initialement déclaré qu’il voulait détruire le gouvernement du Parti québécois, le tireur modifie son récit par la suite. À son procès, en 1987, il affirme qu’il souffrait d’instabilité mentale à la suite des abus de son père, et que le gouvernement du Parti québécois lui rappelait son père.

En mai 1985, le tireur est condamné à la prison à vie. Toutefois, ce jugement est invalidé par la Cour d’appel du Québec à l’automne 1986. Selon le jugement, le juge de première instance a eu tort de demander aux jurés de rejeter les témoignages d’experts de trois psychiatres qui ont affirmé qu’à leur avis le tireur n’était pas sain d’esprit au moment de la fusillade. En 1987, le tireur plaide coupable à trois accusations de meurtre au second degré. Il est libéré sur parole en 1996.

Conséquences

La fusillade entraîne un resserrement des mesures de sécurité à l’Assemblée nationale, dont la présence de policiers armés et la mise en place de détecteurs de métal. On considère que René Jalbert a sauvé la vie de nombreux employés de l’Assemblée nationale. Il reçoit la Croix de Vaillance du gouvernement canadien pour sa bravoure. Il décède d’un cancer en 1996 à l’âge de 74 ans.

Le 18 septembre 2014, une plaque commémorative en souvenir des victimes est dévoilée à l’Assemblée nationale. On peut y lire : « Le 8 mai 1984, un individu armé franchit cette porte, tua trois personnes et en blessa treize autres en plus de bouleverser la vie de nombreux témoins et d’ébranler toute la société. Le Québec et l’Assemblée nationale n’oublieront jamais ceux qui ont perdu leur vie au service de la démocratie. »