Le 2 juillet 1992, le gouvernement fédéral a interdit la pêche à la morue le long de la côte est du Canada. Ce moratoire a mis fin à près de cinq siècles de pêche à la morue à Terre-Neuve-et-Labrador. La morue a joué un rôle central dans l’économie et la culture de la province.
L’objectif de cette politique était de contribuer à la restauration des stocks de morue qui avaient été épuisés en raison de la surpêche. Aujourd’hui, la population de morue reste trop faible pour permettre une pêche à grande échelle. C’est pourquoi l’interdiction est encore largement en vigueur.
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Début de la pêche à la morue au large de Terre-Neuve
Les peuples autochtones de ce qui est aujourd’hui Terre-Neuve pratiquaient la pêche. Mais ces peuples, y compris les Dorsets et les Beothuks, utilisaient principalement l’océan pour chasser les phoques, les oiseaux marins et les crustacés.
La plupart des activités de pêche à grande échelle se développent après le voyage de John Cabot en 1497. L’équipage de Cabot aurait prétendu qu’il y avait tellement de morues autour de Terre-Neuve qu’on pouvait les attraper simplement en descendant un panier dans l’eau. Vers le milieu des années 1500, des bateaux de pêche de Grande-Bretagne, de France, d’Espagne et du Portugal traversent régulièrement l’Atlantique pour pêcher la morue. La morue de l’Atlantique Nord – salée et séchée pour la conservation – représente alors plus de la moitié de tout le poisson consommé en Europe. Les avant-postes de pêche saisonniers utilisés par les Européens deviennent progressivement des établissements permanents.
Les pratiques de pêche restent largement inchangées au cours des siècles suivants. Cependant, peu à peu, une industrie locale de la pêche côtière se développe parallèlement à la pêche hauturière internationale.
Modernisation et surpêche
Après la Deuxième Guerre mondiale, la technologie de la pêche connaît des avancées majeures. Parmi ces progrès, on peut citer de meilleurs filets et des sonars pour trouver le poisson. Les nouveaux « chalutiers-usines congélateurs » peuvent rester en mer pendant des mois. Grâce à ces nouveaux outils, il est possible d’attraper beaucoup plus de poissons. Sur les Grands Bancs, la principale zone de pêche au large de Terre-Neuve, les prises de poissons de fond augmentent régulièrement, et la plupart de ces prises sont des morues. Le rendement atteint un sommet de 810 000 tonnes en 1968. Selon des estimations ultérieures, la biomasse exploitable de la morue (poisson suffisamment grand pour être capturé et consommé) a chuté de 82 % entre 1962 et 1977.
Le 1er janvier 1977, le Canada étend ses limites de pêche à 200 miles nautiques (370 km) au large de ses côtes. (Voir Histoire de la pêche commerciale.) Il s’agit en partie d’une mesure visant à réduire la pêche à la morue étrangère. Les prises globales diminuent brièvement lorsque les bateaux étrangers quittent la zone, mais les nouvelles règles n’empêchent pas les Canadiens de pêcher de plus en plus dans des eaux où ils sont les seuls à pêcher aujourd’hui. L’industrie de la pêche à la morue à Terre-Neuve connaît une forte croissance grâce aux nouvelles règles. En 1975, la province compte 15 000 pêcheurs et 110 usines de transformation du poisson. En 1980, elle compte 35 000 pêcheurs et 175 usines de transformation.
C’est le travail des scientifiques du ministère des Pêches et des Océans (MPO) d’estimer la quantité de morue capturée. Dans les années 1980, ces scientifiques arrivent à leurs estimations par un processus imparfait. En conséquence, ils fixent des quotas
trop élevés pour rendre la pêche durable. Les responsables gouvernementaux augmentent également souvent ces quotas pour répondre à
des besoins économiques. En 1986 ou 1987, la Newfoundland Inshore Fisheries Association (NIFA) commande un rapport sur les estimations du MPO. Le rapport suggère que le MPO a surestimé de plus de 100 % le nombre de morues restant. La NIFA lance donc
une action en justice qui déclenche une révision interne au MPO. En 1989, l’examen interne confirme les conclusions du rapport de la NIFA. Cela incite les scientifiques à recommander une réduction de 50 % des niveaux de quotas. Le gouvernement fédéral, toutefois, ignore cette recommandation.
Le moratoire et ses effets
En 1992, la biomasse féconde (individus en âge de se reproduire) de la morue du Nord tombe à seulement 1 % de son pic estimé. Le ministre des Pêches et des Océans, John Crosbie, n’a d’autres choix que de réagir aux preuves évidentes de ce déclin. Le 2 juillet, il annonce un moratoire de deux ans sur la pêche à la morue. Des manifestants qui s’opposent à l’interdiction tentent de pénétrer dans la salle où se tient la conférence de presse. La veille, ils avaient également affronté Crosbie dans les rues de Bay Bulls, à Terre-Neuve.
Le gouvernement prolonge par la suite l’interdiction pour une durée indéterminée. Il accorde cependant une dérogation pour une petite pêche d’intendance.
Le moratoire constitue le plus grand licenciement de l’histoire du Canada. Il touche quelque 40 000 pêcheurs et travailleurs connexes. Rien qu’à Terre-Neuve-et-Labrador, près de 30 000 personnes perdent leur emploi. Le gouvernement introduit le Programme d’adaptation et de redressement de la pêche de la morue du Nord (PARPMN). Grâce au PARPMN, les travailleurs reçoivent des prestations d’assurance-emploi et de rééducation. Cependant, ils considèrent en grande partie que ce programme est inadéquat. La population de Terre-Neuve-et-Labrador chute de 10 % au cours de la première décennie de l’interdiction, les gens quittant la province par manque de travail. ( Voir aussi Chômage au Canada.)
Incapable d’exploiter la morue, l’industrie de la pêche se tourne vers les crustacés, en particulier le crabe des neiges et le homard. Cela permet de compenser une partie des conséquences financières. L’industrie de la pêche de la province, toutefois, n’a toujours pas retrouvé les sommets atteints au milieu des années 1980. (À cette époque, la morue à elle seule représente environ 700 millions de dollars pour l’économie du Canada, qui était le plus grand exportateur de fruits de mer au monde.) Au début des années 2000, les scientifiques commencent à sonner l’alarme: les stocks de crabes des neiges montrent des signes de déclin. En 2017, le ministère des Pêches et des Océans annonce que la population de crabe des neiges a diminué de plus de 80 % en moins de quatre ans.
En 2008, les scientifiques constatent la première augmentation substantielle de la population de morue depuis 1992. Certaines recherches publiées en 2015 suggèrent que la morue du nord pourrait enfin se rétablir suffisamment pour mettre fin au moratoire.
En s’appuyant sur ces recherches, les décideurs politiques ont augmenté les quotas d’intendance. Cependant, entre 2017 et 2018, le stock a chuté de pas moins de 30 %.