Markoosie Patsauq | l'Encyclopédie Canadienne

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Markoosie Patsauq

Markoosie Patsauq, écrivain, pilote, leader communautaire inuit (né le 24 mai 1941 près d’Inukjuak [à l’époque Port Harrison], au Québec; mort le 8 mars 2020 à Inukjuak). La vie de Markoosie Patsauq a été marquée de façon dramatique par plusieurs des événements les plus significatifs qui ont affecté la population inuite du Canada au cours du 20e siècle. Après avoir survécu à des bouleversements et des traumatismes individuels et collectifs, il a été le premier Inuit et le premier Autochtone canadien à publier un roman. Uumajursiutik unaatuinnamut, ou Chasseur au harpon, a été publié en feuilleton en 1969-1970 en inuktitut puis en anglais à la fin des années 1970 et en français en 1971. La carrière d’écrivain de Markoosie Patsauq s’est étendue sur plusieurs décennies et comprend des œuvres de fiction et des essais sur des sujets allant de sa carrière de pilote à son expérience du colonialisme et de l’injustice. (Voir aussi Auteurs autochtones d’influence au Canada.)

Jeunesse

Markoosie Patsauq est un jeune enfant lorsque sa famille s’installe à Inukjuak, au Québec. À l’époque, les personnes inuites subissent des pressions politiques et autres afin qu’elles abandonnent leur mode de vie traditionnel semi-nomade et s’intègrent plus complètement à l’économie de marché. Le système des « numéros de disque esquimau » est inauguré vers cette époque. Le gouvernement fédéral distribue à chaque personne inuite un disque à porter autour de son cou, marqué d’un E ou d’un W (pour est ou ouest de l’Arctique), suivi d’un numéro indiquant la région et d’un identifiant personnel. Le numéro d’identification de Markoosie Patsauq est E9-725. Plus tard, en 1970, les Inuits et Inuites (qui n’utilisaient traditionnellement qu’un seul nom) sont forcés d’adopter des noms de famille; la famille de Markoosie prend le nom de Patsauq. (Voir aussi Projet Noms de famille.) Le nom Markoosie est la version inuktitute d’un nom chrétien, une méthode que les Inuits et les Inuites utilisaient couramment à l’époque pour adapter leurs noms. Cette pratique remonte aux premiers contacts avec les baleiniers européens, mais surtout à l’évangélisation par les missionnaires anglicans et catholiques à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle. (Voir aussi Missions et missionnaires.)

En juillet 1953, Markoosie Patsauq et sa famille sont déplacés par le gouvernement à 1 943 km plus au nord, à Resolute Bay, un lieu que les Inuits appellent Qausuittuq (« qui ne voit jamais la lumière du jour »). (Voir aussi Réinstallation d’Inuits dans l’Extrême-Arctique au Canada.) Officiellement, le transfert des Inuits et Inuites a pour but d’améliorer leurs perspectives de chasse. En réalité, le gouvernement souhaite surtout renforcer la souveraineté du Canada dans l’Arctique. (Voir aussi Souveraineté dans l’Arctique.) Bien que les autorités aient promis aux Inuits et Inuites qu’ils et elles pourraient revenir après deux ans, la plupart de la population inuite est contrainte de demeurer dans l’Extrême-Arctique pendant des décennies. Âgé de 12 ans, Markoosie Patsauq est embarqué dans un bateau pour le voyage de deux mois, avec ses parents, ses frères et sœurs et plusieurs autres familles, bien qu’il souffre de tuberculose. En raison de l’épidémie de tuberculose du milieu du 20e siècle, des milliers d’Inuits, incluant des enfants, sont enlevés de leurs familles et envoyés au sud pour y être soignés. Après son premier hiver à Resolute, où la famille vit dans une tente de toile sur la plage, Markoosie Patsauq, très malade, est envoyé tout seul au sanatorium de Clearwater Lake au Manitoba, où il passe deux ans. (Voir aussi Hôpitaux indiens au Canada.) Une fois rétabli, Markoosie Patsauq revient à Resolute, mais il est envoyé peu après dans un pensionnat indien à Yellowknife pendant huit mois. (Voir aussi Les expériences des Inuits dans les pensionnats indiens.)

Faits saillants de carrière

Alors qu’il est encore étudiant, Markoosie Patsauq travaille pour Atlas Aviation à Resolute. Il se rend ensuite à Goderich, Ontario, pour recevoir une formation et devient le premier Inuit au Canada à obtenir une licence de pilote commercial. Il vole dans l’est de l’Arctique pendant plus d’une décennie, principalement pour des compagnies minières.

Quand son avion est immobilisé par le mauvais temps dans l’Extrême-Nord, Markoosie Patsauq en profite pour écrire. Au milieu des années 1960, le jeune pilote de 23 ans rassemble des fragments d’un récit que des membres de sa famille lui ont raconté durant son enfance, celui de la dramatique rencontre d’un jeune chasseur et d’un ours polaire, et les fusionne pour en faire un petit roman. Markoosie Patsauq envoie le manuscrit de 73 pages, rédigé en syllabaire inuktitut et intitulé ᐆᒪᔪᕐᓯᐅᑎᒃ ᐅᓈᑐᐃᓐᓇᒧᑦ (Uumajursiutik unaatuinnamut) au seul lieu de publication qu’il connaît, Inuktitut Magazine. Le récit est immédiatement publié dans sa langue maternelle en trois épisodes. James H. McNeill, un auteur de littérature pour enfants, responsable de la revue en tant qu’employé fédéral de ce qui s’appelle alors le ministère des Affaires indiennes et du Développement du Nord, encourage l’auteur bilingue à rédiger une adaptation en anglais. Le résultat, considérablement retravaillé, est publié sous le titre Harpoon of the Hunter et devient un best-seller. Le livre sera par la suite traduit en plusieurs langues, dont le français, le danois et l’estonien. La première traduction française est réalisée en 1971 par Claire Martin, une romancière renommée, récipiendaire d’un prix du gouverneur général. Toutes ces traductions sont basées sur la première adaptation en anglais, et pendant un demi-siècle, aucune recherche n’est effectuée, que ce soit sur le texte original en inuktitut ou sur les circonstances complexes ayant entouré sa publication.

En 2021, de nouvelles traductions, réalisées plus rigoureusement à partir du manuscrit original de l’auteur et avec sa collaboration, sont publiées en anglais et en français. Elles sont accompagnées de la version originale en inuktitut (en syllabaire et en écriture latine), rendant le texte accessible à un large public de lectrices et lecteurs inuits. La nouvelle traduction inclut aussi une mise en contexte et une analyse approfondie. Cette édition rend enfin à l’œuvre littéraire novatrice de Markoosie Patsauq la reconnaissance critique qu’elle mérite. L’édition trilingue Uumajursiutik unaatuinnamut/Hunter with Harpoon/Chasseur au harpon contient une longue introduction de l’auteur, enregistrée en 2017. Markoosie Patsauq est considéré comme le premier Inuit et le premier Autochtone canadien à avoir publié un roman. Son roman a été qualifié par l’auteur cherokee contemporain Thomas King d’ouvrage inaugural de la littérature autochtone au Canada.

Markoosie Patsauq écrit un deuxième roman (Wings of Mercy) et un certain nombre de nouvelles, mais il consacre avant tout sa vie ultérieure à élever sa famille et à militer au sein de sa communauté.

Militantisme

En 1975, Markoosie Patsauq peut enfin retourner vivre à Inukjuak. Avec Martha Flaherty et plusieurs autres personnalités inuites, il réclame une compensation pour les familles affectées par les transferts. Au début des années 1990, il témoigne devant une commission royale présidée par Mary Simon. (En 2020, Mary Simon a écrit un avant-propos pour la traduction anglaise du roman de Markoosie Patsauq. Elle est devenue gouverneure générale en 2021.) Le gouvernement du Canada formulera enfin des excuses officielles en 2010. Le frère de Markoosie Patsauq, John Amagoalik (né en 1947), lui aussi écrivain et leader communautaire, contribue aussi au mouvement pour obtenir des compensations, ainsi qu’à la fondation du plus récent territoire du Canada, le Nunavut.

Décès et postérité

Markoosie Patsauq meurt le 8 mars 2020 d’un cancer de la gorge, à l’âge de 77 ans. Il laisse derrière lui une grande famille : sa seconde épouse Annie, un fils et quatre filles de son premier mariage avec Zipporah, des beaux-fils, des petits-enfants et des arrière-petits-enfants. Sa mort est annoncée dans la presse nationale, qui lui rend hommage. Sa mémoire demeure vivante pour son œuvre littéraire et ses autres accomplissements, mais aussi pour sa résilience face au colonialisme et ses efforts pour protéger et promouvoir la culture inuite.

Lecture supplémentaire

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