Le plus grand combat qu’on ait livré, ça a été la bataille d’Ortona, où on a perdu beaucoup d’hommes. À ce moment-là, je dirigeais, bon, une équipe de pièces, des mortiers de 50mm. Notre travail consistait à rester à l’arrière du peloton à tout moment afin de leur assurer le meilleur soutien possible en tirant avec les mortiers devant eux. Vous ne pouvez pas tirer trop près de vos propres troupes ; autrement ça risque de leur retomber dessus.
On a traversé la rivière et on est montés dans les collines, et on a tourné vers la droite c’est à dire vers l’est, en direction de la ville d’Ortona, qui se trouve sur la côte est. On a avancé sur 800 mètres environ et ensuite on a tourné à gauche pour aller vers ce qu’on appelait le carrefour. Quand on est arrivés au carrefour, on a fait une halte de deux heures à peu près, pour examiner la situation, et il y avait une maison là-bas, un bâtiment plutôt, il faisait le coin en quelque sorte. On se tenait devant et quand le moment est venu de bouger, notre lieutenant ne savait pas s’il convenait d’inspecter le petit champ de l’autre côté de la route ou pas.
Et comme j’étais un simple soldat, les officiers ont pour règle de ne pas écouter ce que les soldats ont à dire. Alors en voyant la chose et compte tenu de mon expérience, or l’officier était plus nouveau que moi là dessus, parce que j’avais participé à l’invasion de la Sicile et pas lui. Il avait été amené pour remplacer la perte de nos officiers précédents. Il ne savait pas s’il devait le faire ou pas ; et il a demandé au sergent ce qu’il en pensait et le sergent a répondu, je n’en sais rien mon commandant. Bon, c’était un champ, pour vos recherches, c’était juste un champ ordinaire de l’autre côté de la route. Il y avait une haie, qui était d’une hauteur de 80 cm à un mètre, qui courait de la gauche à la droite, c’est à dire d’ouest en est sur le bord de la route. En dehors de ça, c’était juste un champ cultivable banal et quand je l’ai vu, j’en avais l’expérience, j’étais certain qu’il y avait une mitrailleuse ennemie planquée quelque part par là. Mais il ne comprenait pas ça, il n’a pas pensé à considérer cet élément ; il n’avait pas l’expérience qu’il fallait pour ça. Il n’a pas posé de questions.
Enfin bref, ce qu’il a demandé à tout le monde, il a dit, bon, mettez-vous en rangs, on va avancer ; et quand ils se sont alignés sur la route, ils se tenaient entre la maison sur la route, entre la maison et la haie. Et quand ils se sont regroupés, c’est là que l’ennemi a ouvert le feu. On a perdu une grande partie du peloton juste là. Il y avait, ma position était sans danger parce qu’on était très en arrière, hors de portée de canon. Mais de tous ceux-là, il n’y a eu que trois ou quatre qui ont survécu, alors on a subit de lourdes pertes dans cette bataille en particulier.
Le régiment, dans son entier, avait de lourdes pertes périodiquement. On a débarqué en Sicile avec 756 hommes. Au mois de décembre, vers le 15 décembre 1944, on s’est retrouvé avec, notre major avait envoyé une lettre, ou plutôt un coup de téléphone, aux pelotons, leur racontant les faits, que des 756 hommes qui avaient débarqué en Sicile le 10 juillet 1943, il en restait exactement 34. Et sur les 34, il y en avait neuf qui étaient officiers, neuf autres qui étaient militaires du rang c’est à dire sergents, caporals et quelques soldats. La plupart d’entre eux venaient d’une compagnie d’état-major, qui n’était pas une compagnie de combat, mais une compagnie d’appui. Mais j’étais un des six ou sept, ou huit sur les 25 qui avaient survécu à ça à ce moment-là. J’ai continué avec le régiment jusqu’à ce qu’on soit faits prisonniers le 17 février 1945. On nous a emmenés dans un camp de prisonniers de guerre, qui se trouvait tout au nord.
On nous a gardés prisonniers là-bas jusqu’au 4 mai, moment où un char américain est venu dans ce secteur. Il est arrivé près du camp, s’est arrêté, il a tourné le canon de la tourelle et l’a dirigé sur la maison du commandant et là il est sorti du char. Il est parti vers le camp, et s’est arrêté devant la grille d’entrée. Il a demandé aux officiers responsables de notre camp, qui étaient des anglais, combien de gens on avait. On lui a dit qu’il y avait tant de personnes. Il est retourné à son char, a contacté la base, leur a donné le nombre de gens qu’on avait, où on se trouvait, et on leur a dit qu’on viendrait nous chercher le lendemain matin, qui était le jour de mon anniversaire. Donc c’est le jour où je suis sorti, le 4 mai, on est sorti du camp de prisonniers de guerre.
Ensuite on a été ramenés par les américains à la base aérienne américaine ; où on nous a traités comme des rois. Ils ont ouvert la cantine pour nous. Ils nous ont donné tout ce qu’on voulait, et tout ça gratuitement, et le lendemain matin, on nous a tous séparés par nationalité, les anglais, les écossais, les irlandais, les américains, peu importe, et puis on nous a ramenés en avion à nos bases militaires respectives. On a volé à bord de (Douglas) DC-3, la première fois qu’on voyageait en avion. On a volé de, ça devait être dans la région de Bologne et on nous a envoyés à Bari dans le sud de l’Italie, où se trouvait notre campement canadien. Quand on est descendus là-bas en avion, on nous a interrogés évidemment. C’est à dire qu’on nous a demandé comment on avait été faits prisonniers, quelle était la situation. Une fois que c’était fait, on a attendu pendant deux semaines environ qu’un bateau vienne nous chercher et nous ramène en Angleterre.