Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys | l'Encyclopédie Canadienne

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Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys

L’affaire Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys est un dossier juridique qui s’étale de 2001 à 2006 touchant la liberté de religion et les accommodements raisonnables. Également connu sous le nom de « l’affaire du kirpan », cet épisode porte sur le droit d'un étudiant, Gurbaj Singh Multani, de porter le kirpan ― un poignard symbolique porté par les sikhs ― à l’école pour des raisons religieuses.

Contexte religieux et juridique

Le kirpan est une arme symbolique qui ressemble à un poignard. Il s’agit de l’un des cinq objets ou attributs sacrés qui doivent être portés en tout temps par les pratiquants et pratiquantes de la religion sikhe, plus précisément par les personnes initiées au Khalsa, la fraternité des sikhs. Le kirpan est placé dans un fourreau et porté sur une ceinture de toile appelée gatra. Les membres de la communauté sikhe considèrent le kirpan comme un symbole de leur foi et de leur engagement envers la protection des personnes opprimées. Son objectif est de rappeler le besoin de lutter contre l'oppression et l’injustice.

Son port suscite toutefois des préoccupations en matière de sécurité dans les établissements scolaires, car il s’agit en théorie d'une arme tranchante potentiellement dangereuse. En 2001, Gurbaj Singh Multani, un élève sikh, fait accidentellement tomber son kirpan dans la cour d’école. À la suite de cet événement, il refuse de retirer son kirpan et est exclu de son école primaire publique située à Montréal, ce qui déclenche une série d'événements juridiques. En mars 2002, la Cour supérieure du Québec commence par donner raison à Gurbaj Singh Multani. Elle invalide la décision du conseil d’établissement de l’école qui, en vertu de l’interdiction du port d’armes dans son code de vie, refuse le port du kirpan. Cependant, la Cour d'appel du Québec casse deux ans plus tard la décision de la Cour supérieure et rétablit l’interdiction du kirpan à l’école.

En 2006, l’affaire aboutit finalement à la Cour suprême du Canada. La question clé consiste à déterminer si l'interdiction du kirpan porte atteinte à la liberté de religion garantie par la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour suprême statue à l'unanimité en faveur de Gurbaj Singh Multani, affirmant que cette interdiction constitue une violation de sa liberté de religion. Néanmoins, des mesures raisonnables de sécurité doivent être mises en place pour atténuer les risques. Le kirpan doit donc être placé dans un sac d'étoffe cousu à l’intérieur des vêtements de manière à ce qu’il ne puisse être ouvert. Les huit juges mentionnent par ailleurs que de multiples objets peuvent être utilisés pour commettre un acte violent dans les salles de classe et les écoles (comme des ciseaux, des bâtons de baseball, etc.). Ils soulignent aussi qu’aucun cas de violence lié au kirpan n’a été rapporté dans les écoles canadiennes à ce jour et qu’il est impossible d’y assurer une sécurité absolue.

Même si la Cour suprême donne raison à Gurbaj Singh Multani, cette décision ne le touche pas directement puisqu’à ce moment il ne fréquente plus cette école, mais un établissement privé autorisant le kirpan. Toutefois, cette décision fait jurisprudence et constitue un dossier important pour le droit des minorités religieuses au Canada.

Impacts sociaux

L’affaire Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys a des répercussions durables sur la société québécoise. Elle reste à ce jour une référence. Ainsi, si une autre personne fait la même demande d’accommodement, le port du kirpan à l’école devrait être permis sous certaines conditions. De manière plus générale, la décision de la Cour suprême établit un précédent important en affirmant que les élèves ont le droit de manifester leur foi religieuse, même à l'école, tant que cela ne pose pas de risque majeur pour la sécurité.

Toutefois, même si la question du port du kirpan est réglée au niveau scolaire, d’autres controverses ont tout de même eu lieu depuis 2006.

En septembre 2008, un élève de 13 ans est accusé d'avoir menacé deux autres adolescents avec son kirpan. Il est néanmoins acquitté de l'accusation l’année suivante.

En février 2011, l'Assemblée nationale du Québec adopte unanimement une motion pour interdire le port du kirpan dans tous les édifices du parlement.

Finalement, en novembre 2017, Transports Canada autorise la présence de couteaux avec lame de six cm ou moins et, ce faisant, permet officiellement le port d’un kirpan de taille réduite à bord d’un avion, à l’exception des vols en direction des États-Unis. Ce changement de directive soulève de vives réactions, particulièrement au niveau de l’Assemblée nationale du Québec.

Opinion publique et impact politique

Durant cette période, les débats autour des demandes d'accommodement suscitent des sentiments d'incompréhension, de méfiance et parfois de rejet envers certaines communautés religieuses. En 2006, un sondage divulgué par la firme Repère communication recherche indique que six personnes sur dix au Québec sont contre le port de signes religieux dans les écoles publiques. Aux yeux des tribunaux, par contre, les sentiments défavorables ne justifient pas de restreindre le droit à la liberté de religion. Deux ans plus tard, un sondage CROP/La Presse confirme que la majorité de la population québécoise, soit 87 %, s'oppose au port du kirpan à l’école.

Cette cause juridique hautement médiatisée est parmi les premières situations à l’origine du débat sur les accommodements raisonnables au Québec dans les années 2000. Elle conduit à des discussions sur la nécessité de clarifier les balises entourant les droits des minorités religieuses. Certains voient la décision de la Cour suprême comme une intrusion dans les préférences laïques de la province (voir Laïcité au Québec), tandis que d'autres la perçoivent comme une affirmation des valeurs de tolérance et de diversité. En 2007, le gouvernement québécois met ainsi en place une commission d'enquête, la Commission Bouchard-Taylor, chargée d'examiner la question des accommodements raisonnables et de formuler des recommandations. Les travaux de cette commission influencent les débats politiques subséquents et contribuent à l'élaboration de la Charte des valeurs québécoises et de la loi 21.

Depuis 2007, la question des accommodements raisonnables et de la laïcité dans les écoles continue de faire l'objet de débats et d'ajustements politiques au Québec, et elle reste un sujet important dans le paysage sociopolitique de la province.

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