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Confédération des Neutres

La confédération des Neutres était une alliance politique et culturelle de nations iroquoiennes qui vivaient dans le district de Hamilton‑Niagara dans le sud‑ouest de l’Ontario et, par‑delà la rivière Niagara, dans l’ouest de l’État de New York avant leur dispersion par les Sénécas au milieu du XVIIᵉ siècle. Certains des Neutres survivants immigrent vers l’ouest et le sud, où ils sont assimilés dans diverses communautés Haudenosaunee (Iroquois). En raison de cette dispersion, les renseignements concernant l’histoire des Neutres antérieure à leur contact avec les Européens proviennent principalement des Relations des Jésuites et des fouilles archéologiques.

Histoire

Bien que le nombre de tribus qui compose la confédération ne soit pas connu avec certitude, des noms de quelques‑unes sont mentionnés dans les Relations des missionnaires jésuites datant du XVIIᵉ siècle, y compris les Aondironon, les Wenrehronon et les Ongniaahraronon. En 1615, Samuel de Champlain appelle l’ensemble des tribus neutres (ou Chonnonton) « la Nation neutre » puisqu’elles sont alors en paix avec les Cinq nations et les Hurons‑Wendats. Les Hurons‑Wendats les appelaient Attiwandaron (Attiwandaronk, Attawandaron) ce qui signifie « gens dont la parole est un peu différente » et « gens dont la parole est de travers ». De l’avis de certains érudits, les Neutres se nomment eux‑mêmes Chonnonton qui signifie « les gens qui parquent et élèvent en enclos des chevreuils ». Cependant, d’autres prétendent que les Chonnonton ne sont qu’une des nombreuses nations neutres.

Population

Les Neutres représentent la plus importante société autochtone dans les forêts de l’Est durant les années 1600; elle compte alors environ 40 000 membres. Leur armée se compose d’environ 4 000 à 6 000 guerriers. Leur population diminue constamment tout au long du XVIIᵉ siècle en raison de la famine (1639‑1641), les guerres intertribales et les maladies amenées par les Européens, comme celle de la variole de 1638‑1640. Dès 1641, les missionnaires jésuites constatent que la population neutre se chiffre à environ 12 000 membres. Après la destruction de leur nation et de leur dispersion au début des années 1650, les membres des Neutres survivants se joignent aux autres nations autochtones vivant à l’ouest ou au sud de leur terre d’origine. Bien que certains prétendent remonter leur ascendance aux Neutres, il n’existe pas de nation neutre avec une population culturellement distincte.

Vie traditionnelle

Artefacts trouvés au site de Lawson. De gauche \u00e0 droite : peigne \u00e0 effigie en andouiller; fragment de hochet en carapace de tortue-alligator; pipe en céramique \u00e0 effigie humaine (avec la permission du Museum of Ontario Archaeology)

Les Neutres habitent dans des maisons longues dans quelque 40 communautés qui comprennent de grands villages entourés de palissades, dont la plupart sont concentrés dans un rayon de 32 km autour de l’actuel Hamilton, en Ontario. Plusieurs campements sont situés le long de la rivière Grand, dans la région de Grand Valleyqui offre un approvisionnement en eau en abondance.

Agriculteurs, les Neutres cultivent le maïs, les haricots et les courges, mais chassent aussi le chevreuil, le raton laveur, le loup, le chat sauvage, l’écureuil, le castor et le dindon. Poissons, pommes sauvages et noix agrémentent leur régime alimentaire. Les Neutres cultivent aussi le tabac à des fins rituelles et commerciales.

Économie (à ses débuts)

En plus de la chasse, les hommes travaillaient le silex pour la fabrication de pointes de flèches à des fins guerrières. Dans leur troc pour des marchandises avec les Hurons‑Wendats et les Haudenosaunee, les Neutres échangent des pointes de flèches en silex. Tout au long du XVIIᵉ siècle, ces deux tribus sont en guerre constante entre elles. En fournissant des armes en silex aux deux parties, et en se tenant à l’écart de leurs conflits, les Neutres demeurent neutres, d’où leur nom.

Société et culture

Comme de nombreux groupes autochtones, les Neutres organisent diverses célébrations communautaires pour commémorer les dates de naissance, de mariage et de décès. Lors de la fête des Morts, la célébration la plus importante et la plus élaborée, les Neutres déposent les os du défunt dans une fosse commune d’inhumation. Aussi, les Neutres organisent des fêtes et des danses afin de célébrer les rencontres des conseils, les expéditions de chasse et les batailles. Lors de telles cérémonies, la remise de cadeaux représente un rituel important (voir Potlach).

Les Neutres s’adonnent au sport et à l’art. Ils pratiquent deux sports populaires : la crosse et, en hiver, un sport ressemblant au hockey joué avec des « bâtons courbés » et une « balle légère en bois ». Parfois, les joutes sportives entre les villages durent plusieurs jours. Les Neutres se livrent aussi à la peinture. – Les archéologues ont découvert des représentations d’humains et d’animaux sur des roches et du bois dans les anciens villages des Neutres. Ils ont aussi trouvé des indices de tatouage et de peinture corporelle, utilisés à l’occasion lors des célébrations et de la préparation des inhumations. Les artéfacts déterrés, tels que les outils et les objets décoratifs, démontrent non seulement la popularité de la peinture et du tatouage, mais aussi l’habileté des artistes neutres.

Système politique

Les Neutres forment une société hiérarchisée, gouvernée par des chefs élus. Ceux‑ci président diverses affaires tribales, notamment, le commerce, la guerre, la gouvernance, les affaires intertribales, la justice, les fêtes et les commémorations. Bien que les chefs soient puissants, les Jésuites décrivent les Neutres comme un peuple individualiste qui dissuade le comportement égoïste et celui de la recherche du prestige pour soi.

Pendant le XVIIᵉ siècle, la confédération évolue pour former une chefferie sociopolitique avec à son sommet Tsouharissen, chef suprême à la fois guerrier et prêtre (« Enfant du Soleil »). Avec son conseil, Tsouharissen regroupe environ 10 bandes autochtones au sein d’une société nommée « Neutralia » par William Noble, un terme pour décrire le territoire géographique où vit une grande concentration de nations de langues iroquoiennes. Le pouvoir absolu que Tsouharissen exerce sur les Neutres est sans égal pour n’importe autre nation iroquoienne du Nord‑Est de l’époque. Après la mort de Tsouharissen vers 1646, la chefferie échoue et les Sénécas réussissent à disperser les Neutres et à les anéantir en tant qu’entité culturelle.

Alliances militaires et commerciales

Malgré la neutralité adoptée par les Neutres envers les Hurons‑Wendats et les Haudenosaunee, ils participent dans les guerres intertribales lorsqu’ils estiment devoir protéger leur territoire, leur peuple et leurs ressources. Au XVIIᵉ siècle, on assiste à une augmentation des guerres entre les nations autochtones pour la mainmise des ressources et des réseaux de commerce avec les Français en raison de l’accroissement significatif des produits Européens. Les Neutres concluent des alliances commerciales et guerrières avec leurs voisins de langues iroquoiennes, particulièrement avec les Pétuns, les Hurons‑Wendats, les Wenrohronon (Wenros), les Kakwa, les Ériés, les Andastes, les Massawomecks et les Haudenosaunee (Iroquois) plus au sud. Ils sont aussi alliés aux Outaouais contre leurs ennemis, les Mascoutens de langue algonquienne vivant dans le Michigan et l’Ohio d’aujourd’hui. Les Mascoutens (« Nation du feu ») sont des ennemis acharnés de longue date des Neutres : lors des guerres iroquoises en 1643, l’armée des Neutres capture et ramène 800 prisonniers mascoutens, hommes, femmes et enfants, dont certains sont torturés.

En plus de faire la guerre, l’armée sert aussi à transporter et à protéger les précieuses peaux de cerfs et les autres sous‑produits vers la chefferie des Powhatans dans la baie Chesapeake, où les Neutres troquent pour les non moins précieuses coquilles de buccins (voir Wanpum). Afin d’assurer un approvisionnement constant en peaux de cerfs et le maintien de cette activité économiquement profitable, les Neutres commencent à parquer les cerfs, donc à gérer l’élevage, une pratique que le frère récollet Joseph de la Roche Daillon constate lors d’une visite sur le territoire chonnonton en 1626.

La dépendance croissante par rapport aux produits et armes européens transforme le commerce intertribal et les alliances guerrières. L’introduction des armes à feu renverse la puissance d’autrefois des Neutres comme fabricants de têtes de flèche en silex. Aussi, les Neutres éprouvent de plus en plus du ressentiment envers les Hurons‑Wendats qui détiennent la position très lucrative d’intermédiaires pour le commerce entre les autochtones et les Français. Alors que les tensions intertribales augmentent, les conflits armés et les embuscades se produisent entre les Neutres et les deux nations avec lesquelles ils étaient en paix : les Hurons‑Wendats et les Haudenosaunee.

Rencontres avec les Européens

Au début du XVIIᵉ siècle, les Neutres rencontrent pour la première fois les explorateurs européens, tels qu’Étienne Brûlé et Samuel de Champlain. Les missionnaires catholiques entrent aussi en contact avec les Neutres pendant cette période. En 1626, le frère récollet Joseph de la Roche Daillon passe plusieurs mois auprès des Neutres pour y étudier leur langue et pour les convertir au christianisme. Dans un bref rapport datant du 18 juillet 1627, le frère fournit la première étude des coutumes et du territoire des Neutres. Il est bien accueilli par le peuple des Neutres et reçoit même la protection personnelle de Tsouharissen. Les Neutres considèrent celui‑ci comme le lien vital avec les commerçants français et une manière de contourner les Hurons‑Wendats dans leurs relations commerciales avec les Français. Lorsque les Hurons‑Wendats constatent que Joseph de la Roche Daillon pourrait introduire les Neutres dans le port de Cap Victoire (lac Saint‑Pierre, fleuve Saint‑Laurent), ils répandent de fausses rumeurs à son sujet, le décrivant comme un puissant et dangereux sorcier qui a tué certains Hurons‑Wendats. Ces derniers soulèvent assez de soupçons pour effrayer les Neutres. Craignant pour sa vie, le frère Joseph de la Roche Daillon quitte le territoire des Neutres et se rend en Huronie.

Treize années plus tard, deux prêtres jésuites, Jean de Brébeuf et Pierre‑Joseph‑Marie Chaumonot, passent l’hiver de 1640‑1641 parmi les Neutres pour prêcher le christianisme. Bien que les prêtres ne soient pas particulièrement les bienvenus, les Neutres leur donnent de la nourriture, le logement et les nécessités de base. Les prêtres Brébeuf et Chaumonot consignent des renseignements au sujet du mode de vie des Neutres, de leurs alliances militaires et de leur société. Leurs récits publiés annuellement dans les Relations des Jésuites ou les journaux des missionnaires servent toujours de source d’information au sujet de la culture et l’histoire des Neutres.

Dispersion

Pendant les guerres iroquoises du XVIIᵉ siècle, les Neutres luttent contre d’anciens alliés, notamment les Hurons‑Wendats, pour le contrôle des ressources. Toutefois, lorsque la nation des Hurons‑Wendats est détruite en 1649, les Neutres accueillent dans leur communauté des réfugiés hurons‑wendats. L’année suivante, les hostilités intertribales reprennent lorsque 1 500 guerriers Haudenosaunee (Sénécas et Mohawks) saccagent un village neutre. Bien que les Neutres ripostent et capturent 200 prisonniers, les Haudenosaunee reviennent le printemps suivant et détruisent leur nation. Selon les Jésuites, les pertes des Neutres sont énormes. Depuis l’arrivée des missionnaires au Canada durant les années 1620, des centaines de Neutres sont tués, meurent de famine ou fuient leur foyer parce qu’ils craignent pour leur vie.

Après les guerres iroquoises, les Neutres se dispersent vers l’ouest et le sud de leur ancienne patrie, s’intégrant dans d’autres nations autochtones. En juillet 1653, une nation de 800 Neutres rescapés est retrouvée à Skenchioe (dans le comté actuel de Tuscola, au Michigan), à l’ouest de leurs terres tribales ancestrales.

Dans les écrits des Français, la dernière allusion aux Neutres remonte à 1672. Aujourd’hui, aucune nation neutre n’existe, mais on estime que les descendants des Neutres vivent dans les communautés Haudenosaunee, y compris les Wyandottes et les Sénécas‑Cayuga dans l’Oklahoma.

Découvertes archéologiques

\u00c9tudiants universitaires fouillant le site de Lawson en 2010 (avec la permission du Museum of Ontario Archaeology)

Depuis le milieu du XIXᵉ siècle, les archéologues trouvent des artéfacts dans un village neutre qui existait 500 années avant les premiers contacts avec les Européens. Connu sous le nom de site archéologique Lawson, le territoire occupe un plateau plat, protégé de façon naturelle sur trois côtés par des pentes raides qui descendent vers la confluence du ruisseau Snake et de la rivière Medway dans le nord‑ouest de l’actuel London, en Ontario. Bien que seulement 75 % du site Lawson ait été fouillé, pas moins de 30 000 artéfacts ont été trouvés. Ceux‑ci dévoilent de l’information précieuse sur la vie quotidienne des Neutres. Le village de Lawson a été l’un des premiers sites archéologiques désignés à l’échelle provinciale en vertu de l’ Archaeological and Historic Sites Protection Act (loi sur la protection des sites archéologiques et historiques) et le premier site archéologique de l’Ontario inscrit au Répertoire canadien des lieux patrimoniaux en 2004. Le Canada a aussi commémoré les vestiges d’un village neutre aux Remblais-de-Southwold, près de St. Thomas, en Ontario. Les Neutres ont habité Southwold de 1500 à 1650 de notre ère. Aujourd’hui, le site est reconnu comme un site historique national du Canada.

Guide pédagogique perspectives autochtones

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