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We Demand

We Demand était un document de 13 pages faisant appel à des changements sur les lois et les politiques fédérales discriminatoires concernant les droits des gais, des bisexuels et des lesbiennes du Canada. Le mémoire, qui contenait 10 points, a été présenté au gouvernement fédéral en 1971. Il établissait une stratégie nationale qui a été poursuivie pendant des décennies jusqu’à ce que toutes les demandes soient satisfaites.

Historique

We Demand est parrainé par 12 des premiers groupes LGBTQ du Canada qui aident à lancer le mouvement de libération des personnes homosexuelles et celui des lesbiennes féministes du Canada. Ces organismes sont formés dans la foulée des amendements de 1969 sur les dispositions relatives à la sodomie et à la grossière indécence qui sont utilisées pour poursuivre les hommes gais, les bisexuels et les lesbiennes. Depuis les débuts de la colonisation du Canada, les actes sexuels entre hommes (et plus tard entre femmes) sont illégaux. À la suite des amendements de 1969, les actes sexuels entre deux hommes ou deux femmes deviennent légaux dans certaines circonstances. Néanmoins, de nombreux articles du Code criminel continuent de faire de la discrimination envers les personnes s’identifiant comme LGBTQ.

Une lettre accompagnant le dossier We Demand énonce: « dans notre vie quotidienne, nous sommes encore confrontés à la discrimination, au harcèlement policier, à l’exploitation et aux pressions de devoir nous conformer en niant notre sexualité. Ce préjugé porté contre les personnes homosexuelles imprègne notre société, et il est en grande partie attribuable aux pratiques du gouvernement fédéral. » La lettre souligne en outre la menace envers tous les membres de la société qui tolèrent cette discrimination en concluant: « dans une société démocratique, si on refuse la liberté à une minorité, tous les citoyens sont brimés. »

Les demandes

Les dix demandes sont:

  • La suppression des termes « grossière indécence » et « actions indécentes » du Code criminel, et le remplacement de ces termes par des infractions spécifiques s’appliquant de manière égale à des actes homosexuels et hétérosexuels.
  • La suppression de « grossière indécence » et de « sodomie » comme motifs de mise en accusation en tant que « délinquant sexuel dangereux. »
  • L’imposition d’un âge de consentement uniforme pour les actes homosexuels et hétérosexuels.
  • Des amendements à la Loi sur l’immigration de 1952, qui interdit aux personnes homosexuelles l’entrée ou la présentation d’une demande d’immigration ou de résidence permanente au Canada. Les personnes qui ont une « personnalité psychopathique constitutionnelle » se voient également refusées, cette catégorie comprenant les « homosexuels ».
  • Le droit à un emploi et promotion égal à tous les niveaux du gouvernement.
  • Des amendements à la Loi sur le divorce de 1968, qui placent la sodomie et les actes homosexuels dans la même catégorie que la cruauté physique et mentale, la bestialité et le viol, comme motifs de divorce.
  • La décision de la garde d’un enfant basé sur les mérites de chaque parent, quelle que soit la sexualité de ceux-ci. En pratique, les tribunaux refusent souvent la garde de leurs enfants aux gais et aux lesbiennes.
  • Le droit de savoir si la GRC a pour pratique d’espionner ou d’identifier les gais et lesbiennes au gouvernement fédéral afin de les expulser de leur emploi, et le cas échéant, de mettre fin à cette pratique et détruire tous les dossiers. (C’était effectivement la politique de la GRC à cette époque. Voir Purges dans le service public canadien pendant la guerre froide: le cas des personnes LGBTQ).
  • Le droit des gais, lesbiennes et bisexuels de servir dans les Forces armées. (voir aussi Purges dans les Forces armées canadiennes pendant la guerre froide: le cas des personnes LGBTQ).
  • Des amendements aux lois sur les droits de la personne afin qu’elles étendent leur portée pour que les gais, lesbiennes et bisexuels bénéficient des mêmes privilèges et libertés que le reste de la société. (We Demand n’a pas abordé la question d’identité de genre, et donc les droits de la communauté trans).

L’un des auteurs de ces demandes, Herbert Spiers, rappelle plus tard que ces demandes se sont « pratiquement écrites d’elles-mêmes parce qu’elles sont évidentes et justes. » Néanmoins, elles sont considérées comme étant si radicales pour leur époque qu’elles sont perçues comme l’équivalent d’un appel à une « révolution sociale. »


Ralliement We Demand

Le 28 août 1971, les militants et leurs partisans se rassemblent sur la Colline du Parlement à Ottawa, accompagnés d’un plus petit groupe de manifestants qui se trouve à Vancouver. Leur objectif est de promouvoir le dossier We Demand. Ces rassemblements sont les premières manifestations LGBTQ publiques d’envergure du Canada (environ 100 à 200personnes au total). Charlie Hill, du groupe Toronto Gay Action, prend la parole à la manifestation d’Ottawa:

Nous vivons aujourd’hui un tournant de notre histoire. Nous ne demanderons plus aux autres de nous donner nos droits. Nous sommes ici pour exiger nos droits en tant que citoyens égaux, selon nos propres conditions.

Réponse

Malgré les manifestations publiques soutenant We Demand, le mouvement est vu comme représentant une petite minorité de la communauté LGBTQ. Quelques mois seulement après le lancement de We Demand, The Body Politic publie sa première édition, incluant l’article « A Program for Gay Liberation » (un programme pour la libération des personnes homosexuelles). Le périodique deviendra la principale publication de la libération des personnes homosexuelles du Canada dans les années1970 et 1980. L’article résume le problème auquel font face les militants comme suit:

Tant que nous serons considérés et perçus comme représentant seulement une petite minorité de notre propre communauté, le gouvernement, les médias, les églises, le système éducatif, etc. continueront tous de fonctionner comme à l’habitude.

Le programme We Demand a peu de soutien de la part du public ou du gouvernement en 1970. Un groupe de militants, Gays of Ottawa, note que les législateurs font preuve d’un « mépris flagrant envers l’oppression que subit la minorité homosexuelle. » Le progrès de ce programme est en outre saboté par les craintes qu’ont les gens de la communauté LGBTQ de représailles de la part du public et des autorités s’ils osent défendre leurs droits. Certains sont hostiles envers la cause. Un lecteur de Body Politic exaspéré écrit en 1978:

Si vous pensez qu’en publiant des articles qui exaspèrent le public et créent une réaction contre nous, vous nous rendez service, vous vous trompez. […] Vous pourriez être surpris d’apprendre que la plupart d’entre nous préfèrent garder un profil bas en ce qui concerne nos préférences sexuelles, et nous n’avons pas besoin d’idiots bruyants pour nous faire du mal. Pourquoi ne vous taisez-vous pas ?

Succès, défis et legs

Le progrès est lent. En 1973, Toronto devient la première municipalité à bannir la discrimination basée sur l’orientation sexuelle dans le milieu de travail municipal, suivi par Ottawa et Windsor en 1976. La première et seule victoire de We Demand dans les années1970 est l’adoption de la Loi sur l’immigration de 1976, qui entre en vigueur en 1978, et met fin à l’interdiction des immigrants et visiteurs homosexuels. En 1977, Québec devient la première province à interdire la discrimination basée sur l’orientation sexuelle. Alors que les années1970 prennent fin, la plupart des objectifs de We Demand ne sont pas atteints.

Cependant, au début des années1980, une nouvelle ère d’organisation politique émerge, insufflant une nouvelle vie à la cause. Ceci arrive littéralement du jour au lendemain. Le soir du 5février 1981, la police de Toronto effectue une série de violentes descentes dans les saunas de Toronto, impliquant des centaines d’arrestations. Ces descentes déclenchent de vastes et furieuses manifestations la soirée suivante de la part de la communauté LGBTQ qui attirent l’attention et la sympathie nationale. D’autres manifestations s’ensuivent. Pour la première fois, un important échantillon de la communauté LGBTQ est prêt à s’élever et à se battre pour ses droits. Cette réaction crée un nouvel environnement durable de militantisme, de protestation publique et de contestations judiciaires qui mènent éventuellement à l’abrogation de toutes les lois et politiques ciblées par We Demand.