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Organisation politique des Autochtones et activisme au Canada

Depuis la fin du 19e siècle, l’activisme politique des Autochtones au Canada se manifeste surtout par la création d’associations politiques qui débordent du cadre de la bande pour défendre leurs intérêts communs. Dans le sillage des critiques persistantes de la politique exposée en 1969 dans le « Livre blanc » du gouvernement fédéral, d’importantes organisations autochtones, notamment l’Assemblée des Premières Nations, sont dorénavant reconnues sur la scène politique et deviennent des acteurs incontournables au niveau national. Ces organisations sont rejointes en 2012 par le mouvement national Idle No More.

Le présent article décrit les organisations politiques autochtones en tant qu’organismes fédéraux, provinciaux et territoriaux canadiens. Il n’aborde pas la structure politique des communautés autochtones, qui s’est souvent construite avant les premières interactions avec les Européens et l’infrastructure coloniale qui en a résulté.

Affrontement d'Oka
Été de 1990 (avec la permission de la Presse canadienne).
Elijah Harper
Siégeant comme membre de la Terre de Rupert, Harper retarde l'Assemblée législative du Manitoba jusqu 'après le délai fixé pour l'approbation de l 'Accord du lac Meech (avec la permission de Reuter).
Négociations avec les peuples autochtones
Le premier ministre Harry Strom, Harold Cardinal et Jean Chrétien, ministre des Affaires indiennes, le 18 décembre 1970 (avec la permission des Provincial Archives of Alberta/J-547).

Premières campagnes pour la reconnaissance gouvernementale

L’une des premières associations politiques autochtones, le Grand Conseil général des Indiens de l’Ontario et du Québec, est le fruit des efforts déployés par les missionnaires pour créer un conseil des nations ojibwées avant la Confédération. Durant son existence, des années 1870 à 1938, le Conseil reste prudent et conciliant dans ses rapports avec les fonctionnaires fédéraux. Les Cris des Prairies, au contraire, au cours des cinq années qui précèdent la Rébellion du Nord-Ouest de 1885, commencent à mettre sur pied une alliance politique dans le but de forcer le gouvernement fédéral à honorer les engagements qu’il a pris dans les traités. Bien que de peu d’envergure et en grande partie non voulue, la participation des Autochtones à la rébellion les contraint à renoncer au rassemblement des dirigeants des Premières Nations des Prairies qu’ils avaient antérieurement prévu et au cours duquel on devait décider des meilleurs moyens de pression à exercer pour inciter le gouvernement fédéral à apporter les modifications désirées aux politiques autochtones et à leur administration. La rébellion a pour conséquences une emprise plus serrée du gouvernement sur les réserves et une érosion supplémentaire de l’autonomie des Autochtones. Malgré les limitations sévères que la Loi sur les Indiens (1876) impose aux organisations et à l’activisme politiques et même si la plupart des Autochtones n’ont pas le droit de voter aux élections fédérales et provinciales avant 1960, la lutte pour la réalisation des différents objectifs se poursuit.

Dans les années 1890, les Nisga’a de la Colombie-Britannique commencent à faire campagne pour que le gouvernement reconnaisse leurs droits fonciers. En 1906, le chef de la bande de Capilano se rend en Angleterre pour présenter au roi Édouard VII une pétition décrivant ses revendications territoriales. Une nouvelle organisation, les Allied Tribes of British Columbia, est fondée en 1916 avec l’intention, qui se révèle vaine, de contraindre le Conseil privé britannique à rendre un arrêt sur leurs revendications territoriales. Le gouvernement ayant rejeté ses revendications en 1927, l’organisation est dissoute et remplacée en 1931 par la Native Brotherhood of British Columbia. Cette organisation, née des activités syndicales des Autochtones employés dans l’industrie côtière, reste une force majeure qui s’engage pour les droits de pêche et plusieurs autres causes liées aux communautés autochtones côtières de la Colombie-Britannique.

Organisation politique des Autochtones

En 1918, la League of Indians of Canada est fondée en Ontario par Frederick O. Loft, un ancien combattant de la Première Guerre mondiale de retour au pays, qui est membre de la réserve des Six Nations de la rivière Grand. Frederick Loft milite en faveur du règlement d’un ensemble de griefs communs à tous les Autochtones au Canada : la perte de terres de réserves et la non-reconnaissance des droits fonciers des Autochtones; les restrictions imposées aux droits de chasse et de piégeage; les politiques et les pratiques administratives destructives sur le plan culturel dans le domaine de l’enseignement; et les mauvaises conditions économiques et sanitaires qui règnent dans les réserves.

Les efforts déployés par Frederick Loft au début des années 1920 pour amener les Autochtones de l’Ouest à se joindre à la ligue finissent par porter leurs fruits malgré l’opposition des hauts fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes (voir Ministères fédéraux des Affaires autochtones et du Nord) qui tentent, entre autres mesures, de dépouiller Frederick Loft de son statut d’Indien. La ligue ne parviendra cependant pas à ses fins, n’ayant pu surmonter les difficultés que présente la réunion, au sein d’une même organisation autochtone nationale, de bandes géographiquement éloignées et divisées sur les plans ethnique, linguistique et religieux.

Du début des années 1930 à la fin des années 1940, plusieurs organisations politiques autochtones voient le jour, surtout aux échelons régional et provincial. On peut ainsi citer, par exemple, l’Indian Association of Alberta (1939), la Federation of Saskatchewan Indians (1944) et la North American Indian Brotherhood créée en 1945 par Andrew Paull, un chef Squamish, pour tenter de mettre une nouvelle fois sur pied une organisation nationale représentant les Autochtones. Elle échouera également, en partie à cause du fait qu’elle est rapidement suspectée d’être un organisme axé principalement sur la diffusion du catholicisme.

Livre blanc

L’émergence de la Fraternité nationale des Indiens (FNI), en 1967, amène sur la scène politique cette organisation qui va dorénavant définir le paysage politique des Premières Nations à l’échelle nationale. En proposant, dans son Livre blanc de 1969, d’abolir la Loi sur les Indiens et le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (aujourd’hui Affaires autochtones et du Nord Canada) et de transférer la responsabilité administrative des affaires indiennes aux gouvernements provinciaux, le gouvernement fédéral déclenche une flambée de l’activisme et un regain d’activité de la part des organisations politiques au Canada.

L’opposition aux propositions du gouvernement entraîne la création de plusieurs nouvelles associations provinciales et la transformation de certains groupes en organisations politiques actives que les gouvernements commencent à reconnaître au niveau politique. Travaillant avec des sommités telles qu’Harold Cardinal, la FNI et divers autres organismes régionaux atteignent un dynamisme politique suffisant pour empêcher l’adoption formelle du Livre blanc au début des années 1970. Malgré cette victoire, de nombreux chefs des Premières Nations sont convaincus que les objectifs de cette politique n’ont pas été enterrés.

Organisation nationale

La Fraternité nationale des Indiens devient l’Assemblée des Premières Nations en 1982 et représente aujourd’hui 634 chefs du Canada qui en sont membres. Le Conseil national des autochtones du Canada (CNAC), fondé en 1970, représentait les Métis et les Indiens non inscrits, et essayait de faire modifier les politiques gouvernementales concernant les droits des Autochtones, le développement économique, l’éducation et de nombreuses autres questions. En 1993, le CNAC est réorganisé et rebaptisé le Congrès des Peuples autochtones.

En 1973, la Cour suprême du Canada se prononce sur le premier dossier de revendications territoriales présenté par une Première Nation du Canada (l’affaire Calder). Baptisée en l’honneur du regretté Frank Calder, cette affaire est portée en 1967 devant les tribunaux par les Nisga’as qui cherchent à faire reconnaître la pérennité de leur titre autochtone. Même si l’arrêt Calder est à l’époque une défaite technique, il représente une victoire politique importante pour toutes les Premières Nations du Canada qui cherchent à obtenir le règlement de leurs revendications territoriales globales. Le jugement de la Cour suprême prononcé en 1973 dans le cadre de cette affaire amène entre autres le gouvernement fédéral à adopter une politique concernant les revendications territoriales globales. Cette politique deviendra l’outil de base pour la négociation et la mise en œuvre des ententes d’autonomie gouvernementale.

Entre 1978 et 1982, des organisations représentant les Premières Nations, les Métis et les Indiens non inscrits, aux côtés d’Inuit Tapirisat of Canada (aujourd’hui Inuit Tapiriit Kanatami), interviennent dans les discussions concernant le rapatriement de la Constitution du Canada pour s’assurer que leurs droits ancestraux sont bien inscrits dans la loi. Depuis les années 1970, les dirigeants autochtones au Canada sont également devenus des acteurs de premier plan au sein des organisations internationales qui représentent les minorités autochtones, telles que la Conférence circumpolaire inuite (aujourd’hui le Conseil circumpolaire inuit) et le Conseil mondial des peuples indigènes, fondé lors d’une conférence tenue à Port Alberni, en Colombie-Britannique, en 1975.

Le contexte contemporain des organisations et de l’activisme politiques des Autochtones peut être défini autour de deux thèmes centraux. Le premier est la reconnaissance politique qui découle de la volonté du gouvernement fédéral de négocier de nouveaux « traités modernes » (revendications territoriales globales) avec les groupes autochtones qui ne sont liés par aucun traité antérieur avec le gouvernement du Canada. Le second thème concerne l’évolution du paysage juridique canadien qui pourrait permettre, à terme, de redéfinir la relation entre les Autochtones et l’État-nation. Ce contexte résulte en large partie de jugements importants prononcés par la Cour suprême, tel son arrêt concernant le dossier Tsilhqot’in c. la Colombie-Britannique qui portait sur la question du titre autochtone.

Droits et titres autochtones

La reconnaissance des « droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones » dans l’article 25 de la Loi constitutionnelle de 1982 a mis en place le contexte juridique qui permet aujourd’hui aux Autochtones de définir leur place dans la démocratie constitutionnelle du Canada. La défense des intérêts de leurs membres et les procédures judiciaires continuent à occuper la plus grande partie de l’emploi du temps des organisations politiques contemporaines. Les conférences constitutionnelles qui ont échoué (accords de Charlottetown et du lac Meech) après le rapatriement de la Constitution ont cependant été suivies de longues batailles judiciaires portant sur le droit constitutionnel de tirer profit des terres et des ressources (voir par exemple les affaires SparrowMarshall et celle des Tlingits de la rivière Taku). Elles se sont également soldées par la reconnaissance politique de certains cas (voir par exemple l’affaire Delgamuukw et celle de la Nation haïda) et ont motivé le déploiement d’efforts visant à établir des mécanismes politiques appropriés pour la négociation des ententes portant sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale.

Depuis la Deuxième Guerre mondiale, l’activisme politique des Autochtones leur a permis de participer, à divers niveaux, aux prises de décisions politiques et de modifier sensiblement certains aspects des communautés autochtones. Le projet de loi C-31, en 1985, a par exemple permis d’éliminer de la Loi sur les Indiens toute discrimination fondée sur le sexe. Ce faisant, cette loi a cependant aussi introduit de nouvelles formes de discrimination contre les femmes autochtones qui perdurent encore aujourd’hui. Elijah Harper, député provincial oji-cri du Manitoba, a de même joué un rôle de premier plan en empêchant en 1990 l’adoption de l’Accord du lac Meech qui avait été préparé sans aucune consultation avec les peuples autochtones. Toutefois, si l’on trouve des Autochtones parmi les députés fédéraux et provinciaux ou au sein des conseils territoriaux, l’activisme autochtone se manifeste surtout en dehors de la politique électorale. (Voir aussi L’obligation de consulter.)

Commission royale sur les peuples autochtones

La Commission royale sur les peuples autochtones publie en 1996 son rapport dans lequel elle formule de nombreuses recommandations, portant notamment sur la nécessité de restructurer complètement le cadre des relations entre les Autochtones et la Couronne. La Commission a en particulier approuvé ce qui est devenu un des objectifs principaux des organisations politiques autochtones en défendant, sur la base du contexte historique, de la Constitution et du droit international, le droit ancestral des Autochtones à l’autonomie gouvernementale. Même si la Commission n’a pas atteint chacun de ses objectifs, sa création à la suite des troubles à Oka, au Québec, en 1990, a permis de renforcer l’importance du soutien et de l’activisme pour la cause des Autochtones.

Politique contemporaine

Après des années de débats, le premier ministre de l’époque, Paul Martin, accepte d’organiser une réunion des premiers ministres sur les questions autochtones en novembre 2005, à Kelowna, en Colombie-Britannique. Les retombées potentielles de la réunion ne se matérialisent pas à cause de l’arrivée soudaine de nouvelles élections fédérales, mais elle fut unique dans le sens qu’elle a permis de rassembler un grand nombre d’acteurs, y compris les treize premiers ministres de chaque province et territoire, le premier ministre du Canada, et des représentants des cinq organisations autochtones nationales.

La défense des droits des Autochtones continue d’influer sur le paysage politique national depuis la publication du Livre blanc en 1969. En 2007, le Canada s’oppose dans un premier temps à l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) par l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones. La DNUDPA concluait deux décennies de travaux auxquels avaient participé de nombreux peuples autochtones du monde entier. Bien qu’ils se soient initialement déclarés en faveur de ses travaux, le Canada et trois autres pays, en refusant de signer la déclaration, provoquent une série de troubles.

En 2008, devant la Chambre des communes, le premier ministre Stephen Harper présente les excuses officielles du gouvernement canadien aux anciens élèves des pensionnats autochtones. À l’époque, de nombreux dirigeants autochtones relèvent l’incohérence évidente du gouvernement qui vient de refuser de signer la DNUDPA. En 2010, le Canada rejoint le groupe des pays anglo-saxons formé de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et des États-Unis qui ont approuvé la DNUDPA en tant que document « idéaliste » (mais apparemment impossible à mettre en pratique). Le Canada est critiqué en 2012 par Amnesty International et le Commissaire des Nations Unies aux droits de la personne pour continuer à nier que la DNUDPA est applicable sur son territoire et pour ne pas respecter les droits des Autochtones, en particulier ceux ayant trait à l’extraction des ressources.

Après un changement de gouvernement fédéral, le Canada ratifie la DNUDPA en mai 2016. En décembre 2020, le gouvernement Trudeau présente un projet de loi visant à aligner la législation canadienne sur la DNUDPA.

Le 14 avril 2016, la Cour suprême du Canada juge à l’unanimité que la définition légale d’un « Indien » – telle que stipulée dans la Constitution – englobe les Métis et les Indiens non inscrits. Cette décision légale va faciliter les négociations concernant les droits territoriaux traditionnels des Autochtones ainsi que leur accès à l’éducation, aux programmes de santé et à un certain nombre d’autres services gouvernementaux. (Voir aussi Statut d’Indien.)

Idle No More

Un mouvement plus récent, Idle No More, initié et porté par les médias sociaux, émerge à la fin de 2012. Les fondateurs du mouvement, Nina Wilson, Sheelah Mclean, Sylvia McAdam et Jessica Gordon, organisent un séminaire en Saskatchewan pour sensibiliser les participants aux problèmes que pose le projet de loi omnibus C–45, notamment l’affaiblissement des processus de protection environnementale, en particulier pour les voies navigables. Plusieurs séminaires ont suivi et une journée nationale d’action a été planifiée. Le nouveau mouvement Idle No More a aussi critiqué d’autres projets de loi proposés par le gouvernement conservateur en faisant valoir qu’ils menacent la souveraineté des Autochtones.

Le 10 décembre 2012, la journée d’action nationale d’Idle No More est programmée de manière à coïncider avec l’annonce de la grève de la faim de la chef Theresa Spence, de la Première Nation Attawapiskat. Theresa Spence a commencé un régime basé sur l’absorption exclusive de liquides pour attirer l’attention sur les mauvaises conditions de vie et le manque d’infrastructures qui règnent sur sa réserve, des conditions qui avaient amené la Première Nation à déclarer un état d’urgence durant l’hiver 2011. Depuis un camp installé sur l’île Victoria, dans le lit de la rivière des Outaouais, près de la Colline du Parlement, la chef Theresa Spence voulait aussi obtenir l’organisation d’une réunion entre le gouverneur général, le premier ministre Stephen Harper et les dirigeants autochtones pour discuter du recadrage des relations entre les Premières Nations et le gouvernement fédéral.

Les premiers séminaires d’Idle No More et la grève de la faim de la chef Theresa Spence finissent par faire naître un mouvement de protestation national caractérisé par des événements culturels tels que des rassemblements éclairs mettant en scène des danses traditionnelles et des cercles de tambours ainsi que des barrages routiers ou ferroviaires. Le mouvement cherche aujourd’hui à restaurer un lien de nation à nation entre les gouvernements autochtones et le Canada, un objectif politique qui est de plus en plus accepté dans les enceintes internationales.