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Pelletier, Wilfrid

(Joseph Louis) Wilfrid (Wilfred) Pelletier. Chef d'orchestre, pianiste, administrateur (Montréal, 20 juin 1896 - New York, 9 avril 1982). D.Mus. h.c. (Montréal) 1936, D.Mus. h.c. (Laval) 1952, D.Mus. h.c. (Alberta) 1953, D.Mus. h.c. (New York College of Music) 1959, doctorat en belles-lettres h.c.

Pelletier, Wilfrid

(Joseph Louis) Wilfrid (Wilfred) Pelletier. Chef d'orchestre, pianiste, administrateur (Montréal, 20 juin 1896 - New York, 9 avril 1982). D.Mus. h.c. (Montréal) 1936, D.Mus. h.c. (Laval) 1952, D.Mus. h.c. (Alberta) 1953, D.Mus. h.c. (New York College of Music) 1959, doctorat en belles-lettres h.c. (Hobart College, N.Y.) 1960, doctorat h.c. (Ottawa) 1966, D.Mus. h.c. (McGill) 1968, doctorat h.c. (Université du Québec) 1978. Après un premier contact avec la musique grâce à l'harmonie que dirigeait son père, boulanger de son métier, il étudia de 1904 à 1914 le piano, le solfège et l'harmonie avec Mme François Héraly. Il était à peine âgé de 12 ans lorsqu'il entreprit sa carrière de musicien à titre de percussionniste - instruments auxquels l'avait initié son frère Albert - dans le corps de musique de la Tempérance de la paroisse Saint-Pierre-Apôtre et dans une salle de vues animées. En 1910, il devint le pianiste de l'orchestre du théâtre National, l'établissement du genre le plus réputé à l'époque. Cette même année constitua une étape déterminante dans l'orientation de sa jeune carrière. Après avoir assisté à une représentation de Mignon au His Majesty's de Montréal, il prit sur-le-champ la résolution de se tourner vers le domaine du théâtre lyrique. L'été suivant, Henri Delcellier, dir. du corps de musique du parc Dominion dont Pelletier était percussionniste, lui proposa de devenir pianiste-répétiteur de la Compagnie d'opéra de Montréal où il assumait la fonction de chef des choeurs. L'expérience tourna court toutefois : la compagnie fut dissoute en 1913 à cause de difficultés financières. Déçu, Pelletier décida de s'exiler, d'aller aux États-Unis ou en Europe. L'occasion se présenta à lui sous la forme d'un concours, le Prix d'Europe, auquel il se prépara en étudiant l'harmonie et la composition avec Alexis Contant et l'interprétation avec Alfred La Liberté. Il se présenta sans succès au concours de 1914 mais décrocha le prix en 1915.

Malgré la guerre qui sévissait, il se rendit à Paris à l'automne 1916 avec sa jeune femme, Berthe Jeannotte, soeur d'Albert Clerk-Jeannotte. Ses professeurs furent Isidor Philipp pour le piano, Marcel Samuel-Rousseau pour l'harmonie, Charles-Marie Widor pour la composition et Camille Bellaigue pour le répertoire lyrique. Les hostilités le forcèrent cependant à quitter la France à la fin de juin 1917 et il décida alors, vu l'insécurité relative de la vie musicale dans son pays, d'aller tenter sa chance aux É.-U. Une suite de circonstances l'amenèrent à faire la connaissance du chef d'orchestre Pierre Monteux qui le fit pénétrer dans le milieu musical et lyrique de New York, ville où il décida de s'établir. Bientôt, il se vit offrir un poste de répétiteur du répertoire français au Metropolitan Opera, ce qui lui procura l'occasion inespérée, en même temps que l'expérience enrichissante, de travailler avec Caruso, Farrar, Rothier, Grace Moore et bien d'autres chanteurs célèbres. Parallèlement, il se joignit à la troupe de tournée du célèbre baryton italien Antonio Scotti, à titre d'adjoint des chefs d'orchestre Gennaro Papi et Carlo Peroni. C'est au cours d'une de ces tournées que Pelletier se vit confier pour la première fois la direction d'un opéra complet, Il Trovatore, le 21 mai 1920, à Memphis, Tenn. En 1922, il devint chef adj. au Metropolitan Opera et fut engagé par la Ravinia Park Opera Company de Chicago pour sa saison d'été et par l'Opéra de San Francisco. Le 19 février 1922, il dirigea pour la première fois les Concerts du dimanche au Metropolitan dont il assuma la direction artistique deux ans plus tard. Le 28 février 1929, il accéda au poste de chef régulier et resta en fonction jusqu'en 1950. En 1936, il créa les « Metropolitan Opera Auditions of the Air », concours radiophonique ayant pour but de découvrir de jeunes chanteurs et dont il assuma la direction. C'est également pendant l'association de Pelletier avec le Metropolitan que les familles Béique et David ainsi que Jean C. Lallemand songèrent à la mise sur pied d'un orchestre symphonique à Montréal et tentèrent de l'intéresser à leur projet. Après avoir manifesté une réticence que son père lui fit vaincre en invoquant des motifs de fierté nationale et de gratitude envers le Québec, il se lança dans l'aventure avec toute son énergie. Le projet se matérialisa en 1934 et Pelletier devint peu après le premier dir. artistique de l'orchestre de la SCSM, aujourd'hui l'OSM, qui donna son premier concert en janvier 1935. Cette même année vit la concrétisation d'une idée qui lui tenait particulièrement à coeur : les Matinées symphoniques pour la jeunesse, inaugurées le 16 novembre 1935. À l'intention des jeunes de langue anglaise, Pelletier inaugura les Young People's Concerts, le 22 octobre 1947.

Fort de l'intérêt suscité par la création de l'OSM, il ébaucha un nouveau projet d'envergure : les Festivals de Montréal dont il dirigea la manifestation inaugurale, La Passion selon saint Matthieu, en juin 1936, dans la chapelle du collège Saint-Laurent, ainsi que la dernière, Les Saisons de Haydn, en août 1965, dans la grande salle de la PDA. Son travail à l'OSM et aux Festivals de Montréal lui ayant permis de toucher du doigt la pénurie d'instrumentistes autochtones de première valeur, il vit la nécessité de créer un conservatoire de musique - réplique au Québec des institutions européennes du genre - où les meilleurs professeurs, peu importe leur nationalité, prodigueraient un enseignement gratuit. Grâce à la compréhension et à l'appui efficace d'Hector Perrier, alors Secrétaire de la province de Québec, les cours débutèrent au CMM le 1er mars 1943. Pelletier en fut nommé dir., poste qu'il conserva jusqu'en 1961. Il s'était lié d'une solide amitié avec Arturo Toscanini, ce dernier l'invitant à plusieurs reprises à diriger son OS de la NBC. En juin 1951, il accepta la direction artistique de lOrchestre symphonique de Québec et y resta attaché pendant 15 ans. Outre toutes ces activités, il a dirigé au Canada les créations de Pelléas et Mélisande de Debussy (Festivals de Montréal, 1940; télévision de la SRC, 1956), de Jeanne d'Arc au bûcher d'Honegger (Festivals de Montréal, 1953) et de L'Enfant et les sortilèges de Ravel (télévision de la SRC, 1950). Son intérêt constant pour les jeunes lui a fait diriger les Children's Concerts de l'Orchestre philharmonique de New York (1952-57) ainsi que les tournées et les sessions de travail de l'ONJ (1960-61). En 1961, le MACQ lui confia le poste de dir. du service de la musique. Le 21 septembre 1963, il participa avec Zubin Mehta au concert d'inauguration de la PDA de Montréal, dont la plus grande des trois salles allait être désignée par son nom en 1966. Il fut nommé (1964) dir. de la Régie de la PDA, devint en 1966 l'un des membres fondateurs de la SMCQ, et fut prés. national des JMC (1967-69). Le 17 janvier 1971, il dirigea le concert inaugural du Grand Théâtre de Québec.

Wilfrid Pelletier était chevalier de l'Ordre du roi du Danemark (1946), compagnon de Saint-Michel et de Saint-Georges (1946) et chevalier de la Légion d'honneur (1947). La médaille du CAC lui fut attribuée en 1962, la médaille d'argent « Bene merenti de patria » lui fut décernée par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal en 1964 et il fut nommé compagnon de l'Ordre du Canada en 1967. Il reçut en 1970 le Diplôme d'honneur de la CCA et, en 1971, le prix de la Société des concerts des écoles juives populaires et des écoles Peretz, décerné annuellement à une personnalité du monde artistique canadien. Il reçut aussi la médaille du canadien de la musique en 1975.

La discographie de Pelletier est surtout constituée d'extraits d'opéras sur 78t. où il dirige les orchestres qui accompagnent des chanteurs renommés comme Rose Bampton, Richard Crooks, Beniamino Gigli, Igor Gorin, Giovanni Martinelli, James Melton, Grace Moore, Jan Peerce, Bidú Sayão, Gladys Swarthout, Lawrence Tibbett et Leonard Warren. Au début des années 1920, il a aussi enregistré au piano sur rouleaux perforés Ampico des réductions d'oeuvres de Bizet, Gounod, Massenet, Offenbach et Wolf-Ferrari. En duo avec le pianiste Arthur Loesser, sous la direction d'Arthur Bodanzky, il a réalisé une seconde série d'enregistrements de même nature comprenant notamment des ouvertures de Mendelssohn, Rossini, Wagner et Weber. La liste de ces enregistrements paraît dans En remontant les années. Vers les années 1940, Wilfrid Pelletier a dirigé une collection d'albums 78t. consacrés à des versions abrégées d'opéras populaires comme Aïda, La Bohème, Carmen, Faust, I Pagliacci, Madama Butterfly, Rigoletto, Tannhäuser, La Traviata et Simon Boccanegra. Ces enregistrements furent réalisés par les chanteurs du Metropolitan Opera, dont les Canadiens Raoul Jobin et Joan Peebles, à la demande du National Committee for Music Appreciation de New York, et parurent sur étiquette World's Greatest Operas. Plusieurs furent repiqués sur micr., d'abord chez Camden puis chez Parade. Des renseignements détaillés concernant ces enregistrements, ainsi que ceux avec Tibbett, Moore, Jobin et autres, y compris les dates des sessions et les divers repiquages, se trouvent dans The Metropolitan Opera on Record (Westport, Conn., 1984) de F.P Fellers. Une des rares compositions de Pelletier, la mélodie « In the Dark, in the Dew », « chantée par Mme Marie [Maria] Jeritza », fut publiée chez Boston Music en 1923.

Chef lyrique très estimé pour sa profonde compréhension des ouvrages des répertoires français et italien, chef symphonique plus discuté, Wilfrid Pelletier n'en apparaît pas moins, avant tout, comme la figure dominante de l'implantation d'une vie musicale structurée au Québec. Par sa détermination, son pouvoir de persuasion, sa foi dans les jeunes musiciens et l'avenir de la musique au Canada, il est parvenu à écarter tous les obstacles, à vaincre tous les préjugés et à établir ainsi une coordination des diverses initiatives qui a pu survivre à plus d'un revers et à un certain nombre de crises sévères.

Il vécut retiré à New York à partir du début des années 1970. En 1925, il avait épousé en secondes noces la cantatrice américaine Queena Mario et, en 1937, à la suite d'un second divorce, il s'était marié avec une autre cantatrice, Rose Bampton (Lakewood, Ohio 28 nov 1907 - Bryn Mawr, Pennsylvania 21 août 2007). Deux fils, Camille et François, naquirent de son premier mariage. En 1972, il publiait un volume de mémoires, Une symphonie inachevée... Il a également signé des articles dans quelques revues, dont Vie musicale qu'il dirigea de 1965 à 1967. Ses documents personnels ont été déposés aux ANQ à Montréal en 1973; le fonds a été transféré ultérieurement à la BN du Q. Son nom fut donné à un boulevard d'Anjou (Montréal) vers 1958, où se trouve également une école primaire de ce nom, ainsi qu'à l'école de musique des Soeurs de Sainte-Anne à Montréal en 1965. En son honneur, un buste de bronze, sculpté par Arto Tchakmaktchian, orne depuis 1984 le foyer de la grande salle de la PDA qui porte son nom. Même s'il avait cessé de diriger depuis plusieurs années, Wilfrid Pelletier monta exceptionnellement au pupitre le 30 août 1978 à l'aréna Maurice-Richard à Montréal lors d'un concert en son honneur. Roger Lemelin a commenté cet événement : Le spectacle s'est terminé sur une note émouvante. Soutenu par deux personnes, le noble vieillard Wilfrid Pelletier, dont l'âge dépasse quatre-vingts ans, est monté sur le podium pour diriger <Va pensiero>, de Nabucco. D'abord tremblante, sa baguette s'est élevée, cherchant la mesure puis, tout à coup, le sang de la musique s'est mis à circuler. Le visage couvert de larmes, le grand chef d'orchestre est devenu droit, s'est tourné vers le public qu'il s'est mis à diriger et qui a entonné avec les chanteurs l'admirable <Va pensiero> (La Presse, Montréal, 1er septembre 1978). Wilfrid Pelletier fut inhumé à Wayne près de Philadelphie.

Fondée en1983, la Fondation Wilfrid-Pelletier octroie des bourses de perfectionnement à des finissants ayant reçu un premier prix du Cons. de musique du Québec.

Discographie

(direction)

A Grace Moore Program : Victor Album M-918 (78t.).

The Art of Gladys Swarthout : RCA Victor O; (1970); Vic VIC-1490.

Charles K.L. Davis Sings Romantic Arias From Favorite Operas : Stadium Symphony Orchestra de New York; (1958); Everest SDBR-3012.

Delibes Lakmé : Pons sop, Pinza basse, Tokatyan tén, Ch et O du Metropolitan Opera?; 1940; Operatic Archives OPA-1045.

Del Riego « Oh, dry those tears », Westendorf « I'll take you home again, Kathleen » : J. Melton tén, Victor Concert O; v. 1941; HMV 18219-A (78t.).

French Opera Arias - Gladys Swarthout : Victor Album M-925 (78t.).

Gounod Faust : Kirsten sop, Di Stefano tén, Tajo basse, Ch et O du Metropolitan Opera; 1949; Cetra « Opera Live » LO-1.

Operatic Recital : Tibbett bar; (1990); RCA Victor GD-87808 (CD).

Papineau-Couture Concerto grosso : orch chamb SRC Mtl; (1958); RCI 156 et 6-ACM 4.

Pons in Operatic Selections and Songs : De Luca bar, Blaisdell fl; Victor Album M-702 (78t.).

Richard Crooks Arias : (1969); Vic VIC-1464.

Smetana The Bartered Bride : Burke sop, Chamlee tén, Engleman bar, Browning mezzo; Ch et O du Metropolitan Opera?; 1937; 2-Golden Age of Opera EJS-523.

Tenor Arias from the Operas - Richard Crooks : Victor Album M-585 (78t.).

Verdi Aïda : Milanov sop, Martinelli tén, Castagna alto, Ch et O du Metropolitan Opera; 1943; 3-Cetra « Opera Live » LO-26.

- Aïda (sélections) : Jepson sop, Bampton sop, Jagel tén, Stanberry bar, Ch et O du Metropolitan Opera?; 1934; Unique Opera UORC-305.

Wagner « Ho Yo To Ho » de Die Walküre : Flagstad sop; 1938; 2-Legendary LRCD-1015-2 (CD).

Les enregistrements de Pelletier se retrouvent également dans diverses anthologies, dont One Hundred Years of Great Artists at the Met« The Gati-Casazza Years II 1921-1935 » (2-MET 403) et « The Johnson Years 1935-1950 » (2-MET 404), RCA Met 100 Singers/Years (8-RCA Red Seal CRM-8-5177) et 50 Years of Guild Performances at the Met (3-MET 50).

Voir aussi DISCOGRAPHIES des Disciples de Massenet, R. Jobin, OSM, Simoneau et Verreau.