Vocation militaire (1660-1816)
L’histoire de Québec et du fleuve Saint-Laurent sont indissociables. Au début du régime français, la colonie est très isolée, si bien que le fleuve constitue son unique lien avec la métropole française. De là arrivent les colons, le commerce et la prospérité, mais aussi les menaces d’invasions. Dès ses débuts, l’aménagement du port reflète ces préoccupations.
Le site de la ville est surtout choisi pour ses qualités maritimes, le grand bassin pouvant accueillir annuellement plus d’une centaine de navires et l’étroitesse du fleuve à cet endroit facilitant le contrôle de la navigation. Au début, les installations du port sont rudimentaires. Vers la fin du 17e siècle, les premières concessions sont faites le long de la rive de Québec. Les propriétaires riverains y érigent d’abord des clôtures en pieux de cèdre.
Mais Québec est une ville militaire et cela se manifeste très tôt dans l’apparence du port, notamment par l’établissement de deux plateformes de canons en 1660 et en 1690 à la pointe aux Roches, où l’on construit également dès 1691 la batterie royale à la suite de l’attaque de la ville par William Phips.
Le front portuaire s’élargit au cours du 18e siècle et deux autres batteries sont posées sur les quais privés : la batterie Dauphine en 1709 et celle de la Pointe-à-Carcy, pendant la guerre de Sept Ans. Le port prend alors une apparence rectiligne, avec une petite anse à l’ouest, celle du Cul-de-Sac, où se développe entre 1746 et 1748 un chantier naval. Les attaques répétées des Anglais en 1690 et en 1759 justifient cette vocation militaire.
Après la Conquête, les circuits commerciaux transatlantiques s’orientent vers l’Angleterre et le port amorce une transformation radicale. Sa vocation est désormais davantage commerciale. Les batteries sont désarmées et on remblaie une partie du fleuve pour y construire des entrepôts et des marchés. Le front portuaire rectiligne des Français se dentèle pendant la période britannique, avec la construction de ports en eau profonde privilégiés par les Anglais.
Un port à vocation commerciale (1816-1880)
Dans la première moitié du 19e siècle, le port de Québec connaît une forte croissance. À l’exemple de celui de John Goudie, construit en 1816 parmi les premiers de ce genre, de nouveaux quais marchands comprenant une jetée s’élancent vers le fleuve. Goudie assure d’ailleurs la construction et la mise en service du premier traversier à vapeur reliant Québec et Pointe Lévy, le Lauzon, en 1817. À partir de 1854, Québec est aussi desservi par le terminus ferroviaire de la compagnie le Grand Tronc de la Pointe Lévy, améliorant considérablement la mobilité des marchandises depuis le port.
Rapidement, les installations se développent sous l’impulsion d’importateurs et exportateurs de marchandises variées : céréales, porc, bœuf, sucre, rhum, mais surtout, le bois (voir aussi Importations; Exportations). Québec est une ville prospère qui attire les marchands désireux de profiter de cette prospérité en faisant construire leurs propres quais.
Le développement du quartier St-Roch jusque dans les années 1840 donne vie à de nouvelles jetées à l’embouchure de la rivière St-Charles. Ce cours d’eau offre un havre sécuritaire et un accès direct au fleuve. Dans le premier quart du 19e siècle, une vingtaine de chantiers navals situés le long de la rivière embauchent environ de 3 000 ouvriers.
De 1760 à 1825, les chantiers de Québec et de ses environs produisent environ 38 % des vaisseaux construits dans le Bas-Canada. À l’ouest, les quais s’étendent jusqu’à l’Anse-au-Foulon, dont tout le secteur forme un immense entrepôt flottant où le bois en provenance de l’Outaouais échoue (voir Histoire du commerce du bois).
Les jetées Burnett et Olivier bouclent le dispositif portuaire au nord. C’est là que seront érigés l’édifice de la Douane (voir Douanes et accises) et le quai des Commissaires, au milieu du 19e siècle; des structures qui seront au cœur de l’autre grande vocation du port qui va en façonner durablement l’apparence, soit l’immigration.
Commerce du bois
À partir du début du 19e siècle, le bois équarri est assemblé en radeaux, eux-mêmes assemblés en cages qu’on laisse flotter en utilisant le courant naturel du fleuve Saint-Laurent lors du dégel. La cage est manœuvrée par un équipage réduit, les « cageux » ou draveurs, lors d’un voyage qui dure environ un mois. Plusieurs cages forment un train de bois, dont le premier à arriver à Québec est le Colombo, en 1806. Le bois est ensuite emmagasiné dans des navires qui, une fois la cale pleine, filent lourdement vers l’Angleterre. Grâce à ce commerce, au milieu du 19e siècle le port de Québec devient l’un des plus importants ports d’Amérique du Nord. Dans ses belles années, vers 1845, la valeur des exportations de bois dépasse le million de livres. Cette nouvelle réalité est due au blocus continental exercé par Napoléon sur les îles britanniques depuis 1806 (voir Guerres napoléoniennes), empêchant les Anglais de s’approvisionner sur le continent européen et forçant ces derniers à se tourner vers le Canada pour s’approvisionner en pin et en chêne.
Port d’immigration
Souvent, une fois le bois déchargé dans les ports anglais, les capitaines vont chercher à rentabiliser leur retour en profitant du désir des immigrants de faire la grande traversée vers le Nouveau Monde. Les mêmes cales insalubres ayant transporté le bois sont alors remplies de passagers. Ces traversées improvisées se déroulent bien souvent dans des conditions déplorables et dangereuses, si bien que ces bateaux deviennent de véritables foyers d’infection. Le choléra dans les années 1830 puis le typhus, communément appelé la « fièvre des navires », s’y développent rapidement et fait des ravages tant à Québec, qu’à Montréal, Bytown (Ottawa) et Toronto, plus particulièrement au cours de l’été 1847 (voir Épidémie). Pour réduire l’impact des maladies, une zone de quarantaine est créée à Grosse-Île en 1832 et reste en activité jusqu’en 1937.
La prospérité du Canada attire les populations d’Europe et des îles britanniques, dont l’arrivée nécessite une adaptation des installations portuaires. En effet, les jetées commerciales grouillantes d’activités sont impropres à l’accueil des arrivants transportant de lourds bagages.
De 1815 à 1851, le port de Québec enregistre plus de 800 000 immigrants d’origine britannique et irlandaise. Ils sont en moyenne 26 000 par année à franchir ce passage obligé pour entrer en Amérique. Les infrastructures de la ville doivent s’adapter à cette nouvelle réalité.
Dans le dernier quart du 19e siècle, l’économie portuaire de Québec tourne au ralenti. L’émergence de Montréal comme pôle économique concurrent à Québec, la fin des tarifs préférentiels avec l’Angleterre et la construction de navires de fer, puis en acier, font brusquement chuter les exportations de bois et la construction navale au point de les faire disparaître presqu’entièrement. Cependant, l’immigration continue. Une reconversion du port est donc inévitable.
Reconversion nécessaire (1882-1960)
L’aménagement d’un grand port moderne est tellement vital pour la relance économique de Québec que même la reine Victoria l’appuie officiellement. Le chantier prévoit des constructions immenses, des jetées et des bassins qui feront de Québec un port compétitif. Ce projet, c’est le Bassin Louise, en hommage à la princesse Louise, fille de la souveraine britannique et épouse du Gouverneur général du Canada, qui en a symboliquement posé la pierre angulaire.
Deux bassins séparés par une écluse visent à protéger les navires des variations de marée. Le côté nord de la jetée sert d’ancrage aux gros navires transatlantiques. Le tout est connecté au réseau ferroviaire autour duquel seront emménagés des hangars, des bâtiments de service et des équipements d’entreposage.
Commencé en 1877 puis terminé en 1882, la construction du Bassin Louise est aussi la nouvelle porte d’entrée des immigrants. Pour servir ces ambitions, un grand édifice de deux étages est érigé sur la jetée Louise dès 1888. La « bâtisse des immigrants » permet d’accueillir 4 000 personnes et elle est équipée de dortoirs, d’une salle à manger, un bureau de change, de magasins, d’un bureau d’immigration et d’un bureau médical, ainsi que des nouvelles technologies de télégraphie. De là, les arrivants peuvent sauter directement dans un train qui les mène vers leur vie nouvelle. Ces installations constitueront la porte d’entrée du Canada pour des générations d’immigrants.
Port de plaisance (1960 à nos jours)
En 1920, la construction des énormes silos à grain — qui marquent encore aujourd’hui le paysage portuaire de la ville — contribue à réorienter les activités du port dans le sens de l’industrie agricole (voir Manutention et commercialisation du grain). Dans les années 1960 à 2000, le port brise plusieurs fois des records d’activité notamment en termes de volume de marchandises qui passent par Québec et qui atteignent en 2012 un sommet de 33 millions de tonnes.
Progressivement, les espaces entre les quais sont remplis pour servir deux vocations nouvelles, qui vont elles aussi façonner le visage du port : le tourisme et la navigation de croisière. En 1991 sont lancées officiellement les croisières à Québec, au cours d’une décennie par ailleurs marquée par la chute du commerce des produits céréaliers dans les activités portuaires. Ce nouveau marché touristique continue de croître rapidement. En 2017, le port accueille pour la première fois plus de 200 000 visiteurs, faisant du tourisme une de ses activités majeures.
Par un étonnant coup du sort, le port de Québec a aujourd’hui retrouvé le profil rectiligne parallèle au fleuve qu’il arborait sous le régime français, comme si les échos de l’histoire continuaient de se répercuter dans sa forme, mélangeant les époques au gré des besoins qui évoluent.