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Relations fédérales-provinciales

De nombreux domaines modernes d'administration publique chevauchent les limites floues des compétences définies par la Constitution. Souvent, les objectifs nationaux ne peuvent être atteints qu'avec la collaboration des provinces.
Conférence fédérale-provinciale
Mackenzie King est l'h\u00f4te de la premi\u00e8re conférence. Dans la premi\u00e8re rangée, \u00e0 partir de la gauche, on reconna\u00eet W.M. Lea, de l'\u00cele-du-Prince-\u00c9douard; John Bracken, du Manitoba; A.L. MacDonald, de la Nouvelle-\u00c9cosse; Mitch Hepburn, de l'Ontario; le premier ministre King; L.-A. Taschereau, du Québec; T.D. Pattullo, de la Colombie-Britannique; A.A. Dysart, du Nouveau-Brunswick; William Aberhart, de l'Alberta (avec la permission des Biblioth\u00e8que et Archives Canada).

Relations fédérales-provinciales

 Les relations entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux du Canada ont engendré graduellement un tissu de réseaux d'influence complexes et variés. Ces relations fédérales-provinciales, qui sont une caractéristique fondamentale du fédéralisme canadien, sont devenues un mécanisme central de gouvernement et d'élaboration des politiques. Elles sont la conséquence d'une grande interdépendance entre les deux paliers de gouvernement. Les activités du gouvernement central et des gouvernements provinciaux s'entremêlent dans un système de partage et de chevauchement des compétences, des pouvoirs et du financement dans beaucoup ou même dans la plupart des domaines d'intérêt public.

De nombreux domaines modernes d'administration publique chevauchent les limites floues des compétences définies par la Constitution. Souvent, les objectifs nationaux ne peuvent être atteints qu'avec la collaboration des provinces. De même, les objectifs provinciaux nécessitent souvent une aide fédérale. À mesure que s'est élargi le rôle des gouvernements dans la vie sociale et économique et dans d'autres domaines, il est devenu plus nécessaire de collaborer et de coordonner les efforts, et plus coûteux de ne pas le faire. Grâce aux relations fédérales-provinciales (et aux mécanismes connexes des FINANCES INTERGOUVERNEMENTALES, des programmes à coûts partagés et ainsi de suite), le gouvernement fédéral intervient beaucoup dans des domaines qui relèvent largement de la compétence provinciale, et les provinces cherchent de plus en plus à influencer les politiques fédérales dans des domaines comme le commerce extérieur et les transports. Les relations fédérales-provinciales ont donc surtout évolué par suite de l'évolution des rôles des gouvernements au sein du fédéralisme canadien.

Elles sont également entretenues par des facteurs plus politiques. La faiblesse des mécanismes de représentation régionale dans le gouvernement fédéral, ajoutée au fait que les appuis apportés aux grands partis nationaux se sont concentrés dans certaines régions pendant la majeure partie de l'histoire récente, a renforcé la capacité des provinces à être les principaux porte-parole des intérêts régionaux. La difficulté de modifier la distribution constitutionnelle des pouvoirs a rendu d'autant plus importants les mécanismes officieux de conciliation.

Les relations fédérales-provinciales ont des formes multiples. Elles vont des innombrables communications quotidiennes officieuses entre fonctionnaires aux réunions officielles et planifiées entre ministres et premiers ministres. Les réunions multilatérales de représentants des 11 gouvernements sont celles qui attirent le plus d'attention, mais il existe aussi beaucoup de relations bilatérales ou ne faisant intervenir que quelques gouvernements. Quoique les relations entre gouvernements soient souvent influencées par l'évolution du contexte politique en général, et bien que des gouvernements prennent fréquemment des décisions unilatérales sans longues consultations avec les autres, le terme de « relations fédérales-provinciales » désigne le plus souvent les rapports entre fonctionnaires et ministres que l'on résume par le terme descriptif de « fédéralisme exécutif ».

Les interrelations fédérales-provinciales n'ont jamais été entièrement répertoriées, et leur intensité et leur objet ont varié avec le temps. Selon une estimation faite pour 1977, 158 organismes intergouvernementaux distincts ont tenu un total de 335 réunions pendant l'année. La fréquence semble avoir quelque peu diminué pendant le mandat du gouvernement libéral de 1980 à 1984, avec une moyenne de 132 réunions par année. Pendant la première année au pouvoir du gouvernement progressiste-conservateur élu en 1984, le nombre des réunions fédérales-provinciales atteint 438 : 123 au niveau des premiers ministres et 353 au niveau des ministres. Ces dernières années, les questions constitutionnelles et celles qui ont trait au développement économique, notamment le commerce international, sont devenues les principaux sujets des discussions intergouvernementales. Dans l'après-guerre, de telles relations ont joué un rôle capital dans la mise en place de l'État providence au Canada. En matière de programmes, une recension faite pour 1982-1983 énumère 316 activités communes, allant des grands programmes nationaux comme la PÉRÉQUATION et l'assurance-maladie (voir SÉCURITÉ SOCIALE) à une série d'ententes mineures. Les ententes mixtes sont des éléments essentiels des FINANCES INTERGOUVERNEMENTALES et de la fiscalité (voir IMPOSITION). Les activités de développement régional sont menées dans le cadre d'ententes intergouvernementales, les ententes de développement économique et régional (EDER).

Le ton et le style des relations fédérales-provinciales varie considérablement avec le temps. Pendant l'après-guerre, le terme de « fédéralisme coopératif » désignait un système selon lequel le fédéral assumait la direction des finances et des politiques. Dans les années 60 et dans les années 70, alors que les provinces se renforcent et s'affirment davantage, les relations prennent un tour plus égal, et les relations fédérales-provinciales sont généralement considérées comme un mécanisme grâce auquel les provinces revendiquent avec succès une plus large part des ressources financières, plus de latitude pour prendre des initiatives d'intérêt public et plus d'influence sur les politiques fédérales dans leurs domaines de compétence. La montée d'un nationalisme québécois plus affirmatif, puis les tensions interrégionales autour de questions d'énergie dans les années 60 et dans les années 70, ainsi que les profondes divergences constitutionnelles, ont amené bien des gens à considérer les rencontres intergouvernementales comme des occasions d'envenimer les désaccords plutôt que comme des moyens d'entretenir l'harmonie et la collaboration.

De 1980 à 1984, le gouvernement libéral, préoccupé par ce qu'il considérait comme une évolution vers un renforcement des pouvoirs des provinces, a cherché à réduire au minimum la place des relations fédérales-provinciales dans la prise commune de décisions, agissant de façon unilatérale dans de nombreux domaines et cherchant à communiquer directement avec la population et les organisations des provinces, sans l'intermédiaire des gouvernements provinciaux. Au contraire, le gouvernement conservateur a fait de la « réconciliation nationale » un objectif primordial et a cherché à rétablir des relations plus harmonieuses en procédant à des consultations sur toutes sortes de sujets.

Mécanismes

Le mécanisme fédéral-provincial le plus important est la CONFÉRENCE DES PREMIERS MINISTRES, présidée par le premier ministre du Canada. Ces conférences sont devenues de grands événements, abondamment couverts par les médias nationaux et souvent télévisés du début à la fin. Néanmoins, les négociations acharnées se déroulent en majeure partie au cours de séances à huis clos et lors de rencontres en coulisse entre ministres et fonctionnaires. À un plus bas échelon, se tiennent de nombreuses conférences de ministres, qui rendent compte aux premiers ministres. Certaines se réunissent régulièrement, d'autres, comme le comité ministériel sur les négociations de libre-échange avec les États-Unis, se rencontrent selon les besoins du moment. Il est devenu courant que de telles réunions se tiennent ailleurs qu'à Ottawa et soient présidées par des ministres provinciaux. Parallèlement, il existe de nombreux comités de fonctionnaires, dont le plus important est le Comité permanent des questions fiscales et économiques, formé en 1955. La mesure dans laquelle de telles réunions réussissent à harmoniser les politiques et à coordonner la manière d'aborder les nouveaux problèmes est très variable. Beaucoup de rencontres fédérales-provinciales bénéficient de services d'organisation et de secrétariat grâce à un organisme intergouvernemental, le Secrétariat des conférences intergouvernementales canadiennes. À mesure que les relations fédérales-provinciales ont grandi en importance, tous les gouvernements ont organisé des bureaux rattachés au premier ministre pour superviser les affaires intergouvernementales.

Relations interprovinciales

Outre les relations fédérales-provinciales, les relations interprovinciales sont également importantes. Des rencontres annuelles des premiers ministres provinciaux se tiennent depuis 1960, non seulement pour tenter d'harmoniser les politiques provinciales, mais aussi pour élaborer des politiques provinciales communes sur des questions de portée fédérale-provinciale. Dans bien des domaines, la collaboration est restreinte en raison des orientations politiques et des intérêts régionaux. Il existe aussi deux regroupements régionaux de provinces, le Conseil économique des provinces des Prairies et le Conseil des Premiers ministres des Maritimes, qui tiennent des réunions régulières pour régler les questions interprovinciales et formuler des positions communes. Le conseil des Maritimes dispose d'un secrétariat et dirige un certain nombre de programmes communs dans la région. Ces provinces ont également créé plusieurs organismes ministériels interprovinciaux.

Malgré leur importance, les relations fédérales-provinciales se sont développées de façon spontanée et ponctuelle. La Constitution n'en fait aucune mention. Toutefois, l'ACCORD DU LAC MEECH de 1987 (voir ACCORD DU LAC MEECH : DOCUMENT) en fait une obligation constitutionnelle en prévoyant faire inscrire dans la Constitution que les premiers ministres devront tenir une réunion annuelle sur la Constitution et l'économie. L'accord donne aussi aux relations intergouvernementales une plus grande influence sur l'orientation des grandes institutions nationales en prévoyant, dans le cadre des relations fédérales-provinciales, la sélection commune des juges et des sénateurs et la discussion en commun des nouveaux programmes fédéraux de dépenses dans les domaines de compétence fédérale.

Critique

L'importance et l'utilité des relations fédérales-provinciales sont évaluées de façon très diverse. De façon quasi unanime, les observateurs admettent qu'un haut degré de coordination entre les deux paliers de gouvernement est essentiel à la formulation de politiques efficaces et que beaucoup de programmes indispensables n'auraient pas pu être mis sur pied sans cette collaboration. Toutefois, les critiques sont nombreuses. Un premier argument est que les conférences fédérales-provinciales ont été trop souvent des tribunes où les gouvernements avivent les conflits en se disputant les ressources et l'appui de la population. En deuxième lieu, on affirme qu'une trop grande insistance sur le consensus entre les gouvernements entraîne des délais excessifs et un nivellement des politiques par le bas.

Ceux qui souhaitent un gouvernement fédéral plus fort soutiennent que la forte médiatisation des conférences fédérales-provinciales donne une trop grande importance aux provinces dans la formulation des politiques nationales, ce qui entraîne un effritement du pouvoir fédéral. D'autres affirment que le caractère secret et occulte de beaucoup d'activités fédérales-provinciales entrave la participation du public et réduit la capacité de consulter efficacement les groupes de pression qui représentent des intérêts « non territoriaux ». Dans la mesure où les ententes intergouvernementales sont conclues sur la scène fédérale-provinciale, puis présentées comme un fait accompli aux 11 corps législatifs, on estime que le processus compromet les principes du gouvernement responsable et de la souveraineté parlementaire. Le haut degré d'interaction en matière de finances et de politiques, selon les critiques, affaiblit aussi l'obligation de rendre compte des gouvernements.

De tels détracteurs ont tendance à préconiser que l'accent porte moins sur la coopération intergouvernementale à grande échelle et davantage sur le fait d'encourager les provinces à agir de façon indépendante dans leurs domaines de compétence. Selon ce modèle de « fédéralisme compétitif », la capacité d'intervention des gouvernements et l'efficacité de leurs politiques sont favorisées davantage par une concurrence énergique que par une recherche d'accords intergouvernementaux considérés comme une fin en soi. Par contre, les partisans d'un modèle plus axé sur la collaboration ou le partenariat insistent sur les coûts de la concurrence et sur la rareté des domaines où les gouvernements peuvent efficacement réaliser seuls leurs objectifs. Ils jugent essentielle la collaboration entre deux ordres de gouvernement puissants et égaux.

De part et d'autre, on ne nie pas l'importance des relations fédérales-provinciales. La question débattue consiste à savoir si elles devraient constituer en quelque sorte un troisième ordre de gouvernement doté de pouvoirs décisionnels véritables ou si elles devraient plutôt être considérées comme des moyens de consultation et de débat. Chacun des deux camps a tendance à préconiser une manière différente de réformer le processus; les partisans d'un modèle plus compétitif réclament un « démêlage » des compétences et une clarification des pouvoirs de chaque palier, et ils préconisent des réformes du gouvernement central qui le rendront plus attentif aux régions et donc plus capable de court-circuiter les provinces. Les partisans du fédéralisme coopératif souhaitent un réseau de structures intergouvernementales plus officielles, conçues pour rendre la collaboration plus efficace.