Le droit de la responsabilité civile délictuelle est une pierre angulaire du système judiciaire canadien. Il a pour but d’indemniser ceux qui ont subi un préjudice ou dont les biens ont été endommagés par la faute d’autrui. Le droit de la responsabilité civile délictuelle est un vaste domaine du droit privé. Il a évolué pour s’adapter aux questions sociales et technologiques, et a été utilisé par un nombre accru de victimes de crimes pour les aider à obtenir justice contre les auteurs. Il est aussi au centre de cas canadiens hautement médiatisés concernant l’abus envers les enfants et la responsabilité des gouvernements pour avoir manqué à l’obligation de protéger les citoyens contre les maladies contagieuses contre les appareils médicaux défectueux.
Droit de la responsabilité civile délictuelle
Le mot « torts » est dérivé du latin tortum, qui signifie « tordu, de travers ». L’objet du droit de la responsabilité civile délictuelle n’est pas de punir l’auteur du délit civil, mais de fournir des dommages-intérêts à la victime en indemnisation de ses pertes. Il touche presque tous les domaines de la vie, des fabricants et des propriétaires immobiliers aux propriétaires d’animaux domestiques, aux conducteurs, aux médecins et aux barmen, qui ont tous un devoir de diligence.
Bien que la plus grande part du droit de la responsabilité civile délictuelle soit élaborée par les juges, quelques éléments proviennent de la législation, qui varie d’une province à l’autre. Par opposition au droit criminel, qui fait intervenir l’État, le droit de la responsabilité civile délictuelle met en scène des individus qui demandent une indemnisation. Il diffère aussi du droit des contrats, où deux parties s’entendent sur leurs droits et obligations respectifs.
Délits civils intentionnels
Les délits civils intentionnels sont les plus graves. Ils impliquent des actes accomplis avec l’intention délibérée de porter préjudice à autrui ou de porter atteinte à leurs droits. Une batterie est un exemple courant. Elle peut impliquer de la violence avec l’intention de blesser, mais comprend aussi des actes qui, quoiqu’ils ne visent pas à blesser autrui, interfèrent avec l’autonomie d’autrui et le droit à la sécurité et à la dignité. Par exemple, chaque traitement médical réalisé sans le consentement du patient constitue une batterie, même s’il vise la bonne santé du patient. Le droit respecte le droit absolu de toutes les personnes compétentes de décider du traitement médical qu’elles doivent accepter ou refuser.
Les voies de fait et la séquestration sont aussi des délits civils intentionnels. (Voir Condamnations injustifiées.) Une action est également recevable si l’acte vise à causer un préjudice émotionnel. Le harcèlement sexuel ou le harcèlement en milieu de travail peut donner lieu à une cause d’action fondée en responsabilité civile délictuelle. Pour ces délits civils, le tribunal peut accorder non seulement des dommages-intérêts compensatoires, mais aussi des dommages-intérêts additionnels ou punitifs dont l’objet est de punir la partie fautive.
Lorsqu’une personne est blessée par suite d’un acte criminel, le contrevenant peut être poursuivi en vertu du Code criminel tout aussi bien qu’en dommages-intérêts au civil. Les victimes d’agression sexuelle recourent de plus en plus au droit de la responsabilité civile délictuelle puisque certaines peuvent trouver utile de réclamer des dommages-intérêts, peu importe s’il y a des poursuites au criminel. Cependant, souvent les criminels ne possèdent pas l’argent nécessaire pour payer les jugements en responsabilité civile délictuelle. La plupart des provinces et territoires permettent donc un recouvrement des dommages-intérêts auprès des fonds d’indemnisation des victimes d’actes criminels.
La personne qui commet un délit civil intentionnel peut plaider qu’elle avait une défense valide, par exemple le consentement de la victime, la légitime défense, la défense de ses biens, la nécessité ou l’autorité de la loi. Par exemple, la défense portée sur le consentement protégera les athlètes contre les poursuites pour contacts physiques se produisant au cours d’une activité sportive, tant que ces contacts font ordinairement partie de l’activité comme elle se pratique généralement. Par ailleurs, de nombreuses lois, telles que leCode criminel, permettent à la police notamment de détenir et d’emprisonner des personnes, ou de saisir leurs biens. L’action en vertu du droit de la responsabilité délictuelle est rejetée si l’une de ses défenses est accueillie par le tribunal.
Des délits civils intentionnels peuvent causer des blessures de même que des dommages aux biens. Pénétrer dans la maison ou sur le bien-fonds d’un tiers sans sa permission constitue une intrusion, porter atteinte aux biens d’un tiers constitue une appropriation illicite et refuser de remettre quelque chose qui appartient à un tiers est une rétention illicite.
La diffamation est une autre action en responsabilité délictuelle importante. Elle protège la réputation d’une personne de contenu faux et diffamatoire sous forme verbale, publiée ou diffusée.
Délit civil de négligence
Les gens subissent plus souvent un préjudice en raison d’un manque de diligence plutôt que du fait des actes délibérés d’autrui. Il s’agit du délit de négligence. C’est le plus important des délits civils modernes. La célèbre cause anglaise Donoghue c. Stevenson, dans laquelle un fabricant de boisson gazeuse avait négligemment laissé entrer un escargot dans une de ses bouteilles (où il s’est décomposé et a rendu la demanderesse malade), a établi le principe voulant que chacun ait l’obligation juridique de faire preuve d’une diligence raisonnable afin qu’autrui ne subisse pas un préjudice en raison de son comportement négligent, à l’exception de quelques situations exceptionnelles.
Chacun doit respecter le critère de la « personne raisonnable ». C’est une notion importante en ce qui concerne le délit de négligence. Fondée sur des lignes directrices objectives et inspirée de précédents, la norme permet aux tribunaux d’adapter aux circonstances changeantes ce qui peut être considéré comme « raisonnable ». Par ailleurs, la personne qui en raison de sa propre négligence, se cause elle-même un préjudice ou y contribue, sera tenue au moins en partie responsable de ses dommages en vertu du moyen de défense de négligence concourante de la victime.
La notion de la négligence s’est élargie considérablement au cours du 20esiècle. Elle couvre une grande variété d’accidents. Par exemple, les propriétaires des bars peuvent être tenus responsables s’ils ne s’assurent pas que leurs clients en état d’ébriété prennent des mesures raisonnables pour rentrer chez eux. Les conducteurs peuvent être tenus responsables s’ils ne s’assurent pas que les occupants de la voiture bouclent leur ceinture de sécurité ou s’ils permettent à des personnes incompétentes de conduire leur voiture. Toutefois, les tribunaux hésitent à tenir les autorités publiques responsables de leurs décisions de négligence, contrairement à leurs actes de négligence. On estime qu’il est préférable que les décisions qui soulèvent des questions sur les principaux enjeux politiques concernant l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire soient confiées aux élus et qu’elles ne soient pas remises en question par les tribunaux.
Indemnisation
L’auteur d’un délit civil qui est jugé responsable doit indemniser la victime de toutes ses pertes. L’indemnisation porte non seulement sur les frais médicaux non couverts par l’assurance maladie, la perte de revenus passés et futurs et les frais entraînés par les soins futurs. Elle inclut également des réparations pour douleurs et souffrances et pour perte d’agrément. Si un délit civil cause la mort, la succession et les personnes à charge ont le droit de réclamer une indemnisation à l’auteur du délit. Les personnes à charge ont le droit d’être indemnisées pour la perte du soutien qu’elles auraient obtenu de la personne qui a été tuée. Certaines provinces comme l’Albertapermettent le recouvrement des dommages-intérêts pour la douleur et le chagrin éprouvés par les survivants. Les successions ne peuvent recouvrer que les pertes pécuniaires causées par le décès ; les frais funéraires par exemple.
Responsabilité stricte
Le risque est tellement inhérent à certaines activités que l’indemnisation des personnes qui subissent un préjudice est accordée en général sans qu’il soit nécessaire d’établir la faute de la partie défenderesse. C’est le cas des délits civils de responsabilité stricte. Selon la cause anglaise Rylands c. Fletcher, quiconque apporte sur son terrain une chose qui ne s’y trouve pas naturellement est strictement responsable si cette chose s’en échappe et porte préjudice à un tiers. Ainsi est-on strictement responsable des préjudices causés par des animaux sauvages que l’on garde, ou même d’animaux familiers si on sait qu’ils sont dangereux, ou par les incendies qu’ils ont causés. Cependant, compte tenu de l’extension du droit de la négligence, ces actions de responsabilité stricte sont relativement rares.
Un exemple important de responsabilité stricte est la responsabilité du fait d’autrui. C’est le cas d’un employeur qui est responsable des fautes commises par ses employés dans leur emploi. Puisque les employeurs disposent habituellement d’une assurance responsabilité et de davantage de ressources pour payer les jugements que leurs employés, la responsabilité du fait d’autrui est fréquemment plaidée.
Responsabilité du produit et droit de propriété
Il existe d’autres délits d’importance. Celui qui porte atteinte de façon déraisonnable à l’usage et à la jouissance d’un bien-fonds d’autrui sera tenu pour responsable d’une nuisance privée. En matière de responsabilité civile de l’occupant, quiconque occupe un bâtiment a l’obligation de faire preuve de diligence à l’égard de ses visiteurs pour éviter qu’ils ne se blessent sur sa propriété.
Les fabricants sont responsables au titre de la responsabilité du fait des produits envers ceux qui sont blessés par des produits qui sont conçus, fabriqués ou commercialisés avec négligence. En vertu de la loi, les fabricants ont l’obligation d’aviser les consommateurs des risques liés à l’utilisation de leurs produits. Au cours des dernières années, cette règle de droit a fait que des fabricants ont été ainsi tenus responsables de n’avoir pas informé les femmes des effets secondaires des pilules contraceptives et du risque que des implants mammaires pouvaient se rompre, causant des problèmes graves aux patientes qui les utilisaient.
Délits civils économiques
Au titre des délits civils économiques ou professionnels, on sera tenu responsable si on interfère avec l’intérêt économique d’autrui. Il existe un certain nombre de ces délits civils notamment les violations de contrat, l’intimidation et la conspiration. Le recours à des moyens illicites pour empêcher une tierce partie de tirer des avantages économiques en faveur d’une personne déterminée peut aussi entraîner de la part de la personne qui a été victime du délit une demande d’indemnisation accordée.
À qui la faute
Évidemment, de nombreuses atteintes résultent purement d’un accident. Ainsi, malgré son innocence, une victime n’aura pas droit à une indemnisation si elle ne peut prouver que la personne qui a causé l’accident a agi d’une manière répréhensible, à moins que le délit civil ne relève d’un des délits civils de responsabilité stricte. Les critiques du droit de la négligence ont sévèrement condamné cette règle. Ils jugent en effet qu’il est injuste que les personnes qui ne peuvent prouver que leurs blessures résultent de la négligence d’un tiers soient abandonnées à elles-mêmes et doivent supporter leurs pertes.
De nombreux accidents se produisent soit en milieu de travail, soit sur la route. (Voir aussi Droit de la circulation routière au Canada.) En raison de la fréquence des accidents du travail et de l’incapacité du droit de la responsabilité civile d’indemniser suffisamment les accidentés, chaque province a une loi sur les indemnisations des accidents du travail. Celles-ci permettent aux travailleurs d’être indemnisés sans devoir établir la faute. Les travailleurs qui sont couverts par un programme d’indemnisation des accidents du travail n’ont pas le droit d’intenter une poursuite en responsabilité délictuelle.
Plusieurs provinces canadiennes ont adopté des lois semblables en ce qui concerne les accidents de la route et ont remplacé le droit de la responsabilité civile par des régimes d’indemnisation « sans faute ». Un vif débat porte sur la question de savoir dans quelle mesure ces régimes devraient être élargis aux dépens des principes du droit traditionnel de la responsabilité civile délictuelle.
Nouveaux délits civils
De nouveaux délits civils sont apparus récemment. L’atteinte à la vie privée a gagné en importance. En effet, elle a été reconnue comme une nouvelle action en responsabilité délictuelle par certains tribunaux. Les délits civils plus anciens, tels que la négligence, sont de plus en plus appliqués aux groupes professionnels, comme les avocats, les architectes et les ingénieurs pour les forcer à respecter les normes plus élevées de compétence, même en ce qui concerne les gens qui ne sont pas leurs clients, mais qui peuvent être touchés par leur négligence. Par ailleurs, le droit de la négligence a permis aux tiers victimes de choc nerveux après avoir été témoins d’accidents terribles touchant leurs parents d’intenter une action en dommages-intérêts en raison de leur expérience traumatisante. Les sauveteurs qui sont blessés en tentant d’aider les victimes dans des situations dangereuses peuvent poursuivre en négligence la personne qui a créé la situation d’urgence.
Le droit de la négligence a même commencé à atténuer sa réticence traditionnelle à exiger que l’on vienne en aide à autrui ou qu’on empêche qu’un préjudice lui soit causé. La liste des exceptions à la règle selon laquelle nul n’est tenu d’aider les personnes qui sont en danger s’allonge de plus en plus.
On est tenu responsable non seulement de ses propres actes de négligence, mais aussi de ses conseils trompeurs qui causent un préjudice à autrui. Ce développement a trait au recours croissant du droit de la responsabilité civile dans le cas de négligence se produisant dans le cadre des relations commerciales ou contractuelles.
Même les fonctionnaires et les organismes gouvernementaux sont tenus responsables en responsabilité civile pour les dommages qu’ils causent au public dans l’exercice de leurs fonctions. Les partisans du droit de la responsabilité civile se sont réjouis de ces développements. Ils font valoir que le recours civil a constitué et peut continuer de constituer pour les citoyens un moyen précieux de lutter contre les éléments plus puissants de notre société.
Voir aussi Restitution juridique ; Faute professionnelle ; Assurance.