Article

Rafle des années soixante

La « rafle des années soixante » désigne l’enlèvement à grande échelle, ou « rafle », des enfants autochtones à leur domicile, à leur communauté et à leur famille d’origine dans les années 1960, ainsi que leur adoption ultérieure par des familles de classe moyenne, la plupart non autochtones, aux États-Unis et au Canada. Cette expérience a privé de nombreux adoptés de leur sentiment d’appartenir à un groupe culturel. Cette séparation physique et émotionnelle des enfants continue aujourd’hui à se faire ressentir sur les adoptés devenus adultes et sur les communautés autochtones.

Ce texte est l’article intégral sur la rafle des années soixante. Si vous souhaitez lire un résumé en langage simple, veuillez consulter notre article Rafle des années soixante (résumé en langage simple).

Rafle des années soixante

La « rafle » des enfants autochtones entre 1951 et les années 1980

C’est Patrick Johnston, chercheur au Conseil canadien de développement social, qui utilise pour la première fois l’expression « rafle des années soixante » dans son rapport publié en 1983 sur le traitement des enfants autochtones par les services de la protection de la jeunesse et intitulé Native Children and the Child Welfare System. Dans son rapport, Patrick Johnston décrit l’enlèvement à grande échelle, dans les années 1960, des enfants autochtones à leur foyer, à leur communauté et à leur famille d’origine, souvent sans le consentement de leurs parents ou de leur bande, et leur adoption ultérieure par des familles, le plus souvent non autochtones, aux États-Unis et au Canada. La rafle des années soixante n’est pas un événement isolé motivé par des compétences parentales autochtones inférieures, mais plutôt une manifestation des politiques paternalistes mises en œuvre au Canada pour assimiler les cultures et les communautés autochtones.

Ces enlèvements commencent en 1951, lorsqu’une modification de la Loi sur les Indiens accorde aux provinces toute autorité pour gérer le bien-être des enfants autochtones (article 88) lorsqu’aucun texte de loi n’existe au niveau fédéral. Au début des années 1960, après avoir subi pendant près d’un siècle des politiques fédérales dévastatrices, telles que la Loi sur les Indiens, et les pensionnats indiens, de nombreuses communautés autochtones – en particulier celles qui vivent sur des réserves – croupissent dans la plus grande pauvreté, pâtissent d’un taux de mortalité élevé et doivent faire face à de sérieux obstacles socio-économiques. (Voir aussi Autochtones : conditions économiques et Conditions sociales des Autochtones.) Sans disposer de ressources financières supplémentaires adéquates, les organismes provinciaux héritent en 1951 d’une série de problèmes concernant les enfants et leur bien-être dans les communautés autochtones. Faisant face à de nombreuses communautés mal servies, manquant de ressources et devant se conformer à la Loi sur les Indiens, les organismes provinciaux chargés de la protection de l’enfance choisissent d’extraire les enfants de leur foyer plutôt que d’offrir des ressources et un soutien aux communautés.

Du début des années 1960 à la fin des années 1980, les gouvernements provinciaux considèrent que l’extraction des enfants autochtones est le moyen le plus rapide et le plus facile de résoudre les problèmes associés au bien-être de ces enfants. À l’époque, les services de la protection de la jeunesse n’exigent pas de ses travailleurs sociaux qu’ils possèdent des connaissances spécifiques ou qu’ils soient formés en matière de protection des enfants autochtones. Par ailleurs, ces services ne sont pas obligés d’obtenir le consentement de la communauté pour « rafler » les nouveau-nés et les jeunes enfants des bras de leurs parents et les placer dans des foyers non autochtones. C’est seulement après l’adoption du Child, Family and Community Services Act en 1980 que les travailleurs sociaux sont obligés d’informer les conseils de bande de l’extraction d’un enfant de sa communauté.

Nombre d’enfants affectés (1960-1990)

Les rafles s’étendent de manière exponentielle durant les années 1960, à une époque où les enfants autochtones sont particulièrement surreprésentés dans les personnes prises en charge par les services de protection de la jeunesse. En 1964, par exemple, le nombre d’enfants autochtones sous la protection de la Province en Colombie-Britannique (1 466) est 50 fois plus élevé qu’en 1951 (29). Les enfants autochtones ne représentent qu’un pour cent des enfants pris en charge par les services de protection de l’enfance dans les années 1950 au niveau national, mais à la fin des années 1960, ils en constituent le tiers.

Le nombre d’enfants enlevés de leur famille d’origine varie d’une province à l’autre, mais la pratique atteint un record de popularité dans les Prairies. En Saskatchewan, des programmes spécifiques sont mis sur pied pour faciliter les adoptions. Au Manitoba, entre 1971 et 1981, approximativement 3 400 enfants autochtones sont adoptés, dont près de 80 % dans des foyers non autochtones.

Le ministère d’Affaires autochtones indique que le nombre d’enfants adoptés entre 1960 et 1990 s’élève à 11 132. Des études plus récentes suggèrent cependant que plus de 20 000 enfants des Premières Nations, des Métis et des Inuits ont en fait été enlevés de leur foyer. De nombreux enfants ont également été envoyés à l’étranger, certains jusqu’en Nouvelle-Zélande. Suivant les sources, juste en 1981, 45 à 55 % des enfants ont été adoptés par des familles américaines.

Changement d’orientation des politiques relatives à la protection de l’enfance, de la fin des années 1980 à aujourd’hui

Dans les années 1980, les conclusions du rapport de Patrick Johnston, les demandes formulées par plusieurs bandes autochtones de modifier les lois provinciales relatives à l’adoption et d’autres rapports critiques à l’égard de la rafle des années soixante, notamment celui du juge Edwin Kimelman intitulé No Quiet Place (1985), amènent à la modification des politiques relatives à la protection de l’enfance. Avant de pouvoir placer un enfant dans une famille non autochtone, la priorité doit être donnée à la famille élargie, puis à une autre famille autochtone.

De nouveaux changements surviennent en 1990, lorsque le gouvernement fédéral crée le Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations. Ce programme accorde aux bandes locales le pouvoir d’administrer les services à l’enfance et à la famille conformément à la législation provinciale ou territoriale en vigueur. Les bandes ont depuis pris un contrôle croissant des services axés sur leurs propres enfants.

La surreprésentation des enfants autochtones chez les enfants qui bénéficiant des services axés sur la protection de l’enfance reste néanmoins préoccupante. Dans son rapport de 2015 aux premiers ministres du Canada intitulé Report to Canada’s Premiers, le Groupe de travail sur le bien-être des enfants autochtones met en lumière le nombre disproportionnellement élevé d’enfants autochtones pris en charge (sous tutelle) dans l’ensemble du pays. Selon les données du recensement de 2016 de Statistique Canada, alors que les enfants autochtones ne représentent que 7,7 % de tous les enfants du pays, ils constituent 52,2 % des enfants placés en famille d’accueil privée au Canada.

Impacts socioculturels

Les effets à long terme de la rafle des années soixante sur les adoptés devenus adultes sont considérables, allant de la perte de l’identité culturelle à une faible estime de soi en passant par des sentiments de honte, de solitude et de confusion. Les actes de naissance ne pouvant être consultés sans le consentement de l’enfant et des parents, de nombreux adoptés n’ont appris leur véritable origine que tard dans leur vie, ce qui a provoqué chez eux des sentiments de frustration et de détresse. Certains enfants ont été placés dans des foyers où ils ont bénéficié de l’amour et du soutien des personnes présentes, mais ces dernières n’ont pas pu offrir l’éducation et les expériences spécifiquement culturelles qui sont pourtant essentielles à la formation d’une identité autochtone saine. Certains adoptés ont par ailleurs signalé avoir été victimes d’abus d’ordre sexuel, physique et autre. Ces expériences et les sentiments qu’elles ont engendrés ont fait naître des défis à long terme pour la santé des adoptés et leur capacité à subvenir à leurs besoins. Par conséquent, à partir du début des années 1990, des recours collectifs ont été engagés contre les gouvernements provinciaux en Ontario, en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba, et ces procès sont toujours en cours.

Excuses du gouvernement et entente

Le 18 juin 2015, la Province du Manitoba a publié des excuses pour la rafle des années soixante et a annoncé que cet épisode de l’histoire serait inclus dans les programmes scolaires. Cette excuse coïncide avec la publication des « Appels à l’action » de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) concernant les pensionnats indiens. La CVR cite la rafle des années soixante comme étant un aspect important du « génocide culturel » opéré par voie législative au Canada à l’encontre des peuples autochtones. (Voir aussi Génocide.)

Le 1er février 2017, le gouvernement canadien annonce qu’il est prêt à négocier un règlement pour le recours collectif de 1,3 milliard de dollars intenté contre lui en 2009. Le 14 février, le juge Edward Belobaba de la Cour supérieure de l’Ontario statue en faveur des victimes de la rafle des années soixante, considérant que le gouvernement fédéral n’a pas pris les mesures adéquates pour protéger l’identité culturelle des enfants dans les réserves qui ont été enlevés à leur foyer. Ceci représente la première victoire d’une poursuite de la rafle des années soixante au pays. Le 6 octobre 2017, le gouvernement fédéral annonce un règlement de 800 millions de dollars conclu avec les survivants.

En mai 2018, la première ministre de l’Alberta, Rachel Notley, présente ses excuses aux survivants de la « rafle des années 1960 » à l’Assemblée législative de l’Alberta : « Pour la pratique gouvernementale qui vous a coupés, vous, Autochtones, de votre famille, de votre communauté et de votre histoire, nous sommes désolés. Pour ce traumatisme, cette douleur, cette souffrance, cette aliénation et cette tristesse, nous sommes désolés. » Avant que le gouvernement ne présente ses excuses, le ministère des Services à l’enfance et le ministère des Relations autochtones travaillent en collaboration avec la Sixties Scoop Indigenous Society of Alberta (SSISA), et organisent des consultations avec les survivants. Au total, 575 personnes prennent part aux séances de consultation, tandis que 286 autres personnes soumettent leurs observations en ligne et par courrier. Adam North Peigan, survivant et président de la SSISA, collabore avec le gouvernement sur le processus des consultations et des excuses, et déclare qu’il croit que ces excuses sont « significatives ». Pour Adam North Peigan, c’est le résultat d’un partenariat fructueux entre les peuples autochtones et le gouvernement de l’Alberta. Pour Suzanne Wilkinson, une survivante, le processus de consultation et d’excuses la mène vers la guérison : « Chaque fois que nous racontons notre histoire, des parties de notre cœur, et de notre âme, et notre esprit se réparent ».

En janvier 2019, le gouvernement de la Saskatchewan fait suite au Manitoba et à l’Alberta en offrant des excuses aux survivants de la « rafle des années 1960 ». Le premier ministre Scott Moe reconnaît le rôle important de la Sixties Scoop Indigenous Society of Saskatchewan (SSISS) lors du processus de consultation et il s’excuse au nom du peuple et du gouvernement de la Saskatchewan : « Nous avons échoué auprès des survivants dont nous avons entendu les témoignages… et auprès de tant d’autres. Nous avons échoué auprès de leurs familles. Nous avons échoué auprès de leurs communautés. Nous avons échoué. » La SSISS espère que les excuses entraîneront des actions sérieuses, telles que l’ajout de la « rafle des années 1960 » au programme scolaire, l’accès public aux registres d’adoption et la création d’un plus grand nombre de cercles de partage afin de soutenir la guérison des survivants.

En novembre 2020, la Sixties Scoop Healing Foundation, établie pour soutenir le processus de guérison des survivants de la « rafle des années 1960 », a annoncé le premier conseil d’administration permanent. Celui-ci est composé de dix membres : Cheryl Swidrovich, Danelle St. Laurent, Eric Phillips, Gary McDermott, Halie Bruce, Selina Legge, Wayne Garnons-Williams, Vicky Boldo, Anna Watts et le juge Harry LaForme.

Guide pédagogique perspectives autochtones

Collection des peuples autochtones