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Gilles Tremblay

Gilles Léonce Tremblay, O.C., O.Q., compositeur, pianiste, ondiste (né le 6 septembre 1932 à Arvida [Saguenay], au Québec; décédé le 27 juillet 2017 à Montréal, au Québec). Premier prix piano (CMM) 1953, premier prix analyse (Cons. de Paris) 1957, L.Mus. contrepoint (École normale de musique, Paris) 1958.

Après avoir travaillé en privé avec Jocelyne Binet (contrepoint), Isabelle Delorme (solfège), Jean Papineau-Couture (acoustique) et Edmond Trudel (piano), il entra au CMM où il étudia (1949-54) sous la direction de Claude Champagne (composition, écriture) et Germaine Malépart (piano). Tout en fréquentant les cours d'été de la Marlboro School of Music, Vt (1950, 1951, 1953), il étudia l'histoire de la musique avec Jean Vallerand à l'Université de Montréal (1952-53). Sa rencontre avec Varèse, en 1952, le marqua profondément. Après voir présenté au CMM son Mouvement pour deux pianos avec Serge Garant (1954), il se rendit à Paris poursuivre sa formation (1954-61). Il s'inscrivit au Conservatoire, où il travailla d'abord (1954-57) avec Yvonne Loriod (écriture, piano) et Olivier Messiaen (analyse). C'est à cette époque qu'il fit la connaissance de Pierre Boulez. Il étudia aussi les ondes Martenot avec Maurice Martenot de 1956 à 1958 et obtint alors au Conservatoire une première médaille pour cet instrument. Il s'initia aux techniques électroacoustiques en suivant en 1957 les cours d'été donnés à Darmstadt par Stockhausen. Il se perfectionna ensuite en contrepoint avec Andrée Vaurabourg-Honegger (1957-58). Boursier du CAC (1958-61) - il enseigna cependant l'analyse pendant l'été 1959 au Centre d'art d'Orford JMC - il effectua un stage auprès du Groupe de recherches musicales de l'ORTF (1959-61) dirigé par Pierre Schaeffer, et rencontra alors nombre de compositeurs dont Boucourechliev, Ferrari et Xenakis. En 1960, une bourse du Kranichsteiner Musikinstitut lui permit de retourner à Darmstadt suivre cette fois les cours d'été de Pierre Boulez et Henri Pousseur. La même année, il signa sa première oeuvre d'importance pour orchestre, Cantique de durées, qui sera créée à Paris en 1963 à un concert du Domaine musical sous la direction d'Ernest Bour.

De retour à Montréal en 1961, il enseigna à nouveau au Centre d'art d'Orford JMC pendant l'été. Nommé prof. d'analyse au CMQ (1961-66) et d'analyse et de composition au CMM (1962 -), il collabora aussi au texte ou à la musique de séries radiophoniques de la SRC telles que « Paroles de poètes » et « L'Homme américain » avec Fernand Ouellette (1962-63), et « Festivals » qu'il anima pendant 39 semaines. Sa réalisation en 1966-67 de la « Sonorisation du Pavillon du Québec » (Expo 67) lui valut de recevoir le Prix de musique Calixa-Lavallée 1968. Il prit part au colloque sur le Canada à Cerisy-La-Salle, France (1968), ainsi qu'au 24e festival d'Avignon (1970) où, avec le Trio vocal de Montréal, il présenta son oeuvre Kékoba lors d'un concert en hommage à Varèse. Membre du jury du Concours international de composition à la Biennale de Paris (1971) et du Concours international de flûte au 9e Festival d'art contemporain de Royan (1972), il entreprit la même année un voyage d'études en Extrême-Orient (Japon, Corée, Philippines, Chine, Java, Bali, Inde) comme boursier du CAC. Dès son retour, il siéga à nouveau sur divers jurys (1973, 1976) et fut invité comme conférencier, notamment à l'Université de Montréal, au Centre d'art d'Orford JMC et à Los Angeles.

Parallèlement à ses multiples tâches, Tremblay composa activement, parfois en réponse à des commandes de divers festivals ou d'organismes tels que la SMCQ, la SRC et l'OCNA. L'OSM lui commanda l'une de ses oeuvres majeures, Fleuves, dont la création en 1977 fut placée sous la direction de Serge Garant. La SRC présenta certaines de ses compositions à la Tribune internationale des compositeurs en 1964 (Deux pièces pour piano), 1966 (Kékoba), 1970 (Souffles (Champs II)) et 1972 (Solstices). En 1986, ses Vêpres de la Vierge furent créées à l'occasion du 850e anniversaire de fondation de l'Abbaye de Notre-Dame de Sylvanès, France, qui lui avait commandé l'oeuvre.

Membre du conseil d'administration de la SMCQ (1968-88), il en fut aussi le prés. (1982-88) et le dir. artistique (1986-88). Il fut membre de la Commission consultative du CAC (1957-77) et reçut en 1973 la médaille du canadien de la musique. Le même organisme le proclama « compositeur de l'année » en 1977. En 1991, il fut nommé officier de l'Ordre national du Québec. La même année, il fut récipiendaire du Prix Denise-Pelletier attribué par le gouvernement du Québec. Il était compositeur agréé du Centre de musique canadienne et membre de la LCComp. RCI lui a consacré un volume de sa collection Anthologie de la musique au Canada paru en 1983 (6-ACM 12). Une salle porte son nom au collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse, près de Montréal.

L'esthétique de Gilles Tremblay en est une de la sonorité. Or ce n'est pas sans hésitation que l'on ramène ici à un seul mot une oeuvre aussi riche. Aussi apparaît-il nécessaire de défaire en quelque sorte le mot « sonorité » pour le recomposer sur un mode plus souple qui embrasse, tout en la dépassant, la notion de timbre. Loin de désigner uniquement des combinaisons inédites de timbres, ce mot invite à considérer le son en tant que réseau complexe d'événements à la fois matériels et immatériels, réels et virtuels, soit selon un nombre de perspectives doubles nécessaires à une juste compréhension de l'esprit de l'oeuvre.

La quête pour une plus grande souplesse dans les timbres a amené le compositeur à explorer « l'Autre » de l'instrument, son envers, son ombre : c'est-à-dire à faire ressortir de l'instrument une sonorité limite. Par exemple, dans Souffles (Champs II), les musiciens doivent souffler dans leurs instruments à vent sans que la colonne d'air soit mise en vibration. Le son, légèrement coloré par les hauteurs, existe comme en marge des instruments. Au tout début des Oralléluiants, les contrebassistes sont appelés à explorer les harmoniques les plus aiguës. Dans la même oeuvre, un accord joué fortissimo dans le grave par trois contrebassistes doit faire surgir un si bémol aigu, « invisible » selon l'indication dans la partition. Cette note, qui n'est pas produite directement par aucun des instruments mais plutôt par la convergence des harmoniques, existe en marge des instruments, affranchie de la matière même de tout instrument.

Dans ces régions limitrophes, pour ainsi dire, le carrelage du tempéré n'a guère d'emprise. Celui-ci cède à l'infinité de proximités et de partages du non-tempéré que le compositeur exploite consciemment lorsqu'il précise, par exemple, à un instrumentiste de jouer la cinquième ou la septième harmonique d'une fondamentale donnée. Dans son oeuvre, le compositeur tente de trouver dans chaque instrument un voisinage en tout point exact avec d'autres instruments, du moins dans la mesure du possible. Dans Oralléluiants, les percussionnistes doivent imiter les groupes perçants et aigus d'une feuille d'aluminium que l'on froisse lentement devant un microphone. Dans Solstices, une section de l'oeuvre intervient dans une autre pour l'influencer, pour la rendre ressemblante. Au départ, cette pièce est divisée en quatre régions correspondant aux quatre saisons. La région « hiver », caractérisée par de longs fondus enchaînés, peut intervenir dans la région « été » par exemple, dans une tentative pour la rendre « même » au niveau de la rythmique et des contrastes.

Certaines sections dans les oeuvres de Tremblay sont dites « en mobile ». Dans ces cas, les notes sont encadrées dans la partition; l'exécutant peut choisir l'ordre dans lequel il les exécutera mais il doit respecter les hauteurs indiquées. Si les notes sont entourées d'un triangle, l'instrumentiste doit accorder priorité aux éléments inscrits à la base du triangle, qu'il s'agisse de notes, de dynamiques ou de timbres. Le cas le plus fréquent est celui où plusieurs instruments sont en mobile à la fois. Ici, tous les voisinages sont possibles à l'intérieur des réseaux définis. Dans l'optique de l'oeuvre, ceci présuppose une identité virtuelle ou, du moins, une parenté entre les divers sons d'un réseau de telle sorte qu'un agrégat de sons puisse croiser n'importe quel autre agrégat sans qu'il y ait manque d'affinités, et cela toujours dans les limites fixées par le compositeur. L'équilibre originel du réseau ou de l'aire demeure constant malgré les déplacements possibles à l'intérieur, suivant une pensée pour laquelle le champ de proximités est quasi illimité et pour laquelle une note est en quelque sorte de proche en proche « même » qu'une autre note malgré les différentes hauteurs que leur fixe le compositeur à l'intérieur des encadrements.

La diversité réelle... univoque. Afin d'être clair : le champ du non-tempéré n'est pas seulement latent dans chaque note, il est une présence véritable de sorte que ce son vaste et immatériel est une présence constante dans chaque note - et cela jusqu'à l'oblitération, pourrait-on dire, de la note individuelle, jusqu'à la dématérialisation de celle-ci pour faire place à ce champ omniprésent du non-tempéré, un champ jamais complètement ou concrètement articulé. Le vrai, la vraie note entendue, cède la place, sans que ce dernier ne perde sa qualité d'idéel, de non présentifié. Ainsi l'oeuvre donne à entendre une non-présence en tant que non-présence.

Si l'esquisse qui précède démontre que l'esthétique du compositeur est une extension logique du « sonore », il faut s'attarder maintenant à l'exploitation de la rythmique. Cette dernière que l'on pourrait qualifier d'indéfinie, occupe une place importante dans l'oeuvre de Tremblay. La « durée-souffle » décrit un laps de temps depuis l'attaque jusqu'à l'extinction du souffle du chanteur ou de l'instrumentiste à vent. Souvent, cette étendue de temps délimite les exécutions en mobile d'autres instrumentistes dont le jeu doit évoluer selon le choix de la dynamique de l'attaque, choix réalisé dans plusieurs cas au moment même de l'exécution. Dans les « durée-résonances », l'écoulement du temps est fonction de la résonance naturelle de l'instrument jusqu'à la cessation de toute vibration. Dans les « durée-arcos », la longueur du coup d'archet devient l'élément régisseur. Cette rythmique indéfinie n'est autre qu'une durée à partir du réel sonore de l'instrument.

En dernier lieu, les « réflexes », seul élément majeur qui ne se ramène pas au sonore, désignent des modes de jeu selon lesquels un choix réalisé spontanément par un tel instrumentiste déclenche tel jeu précis parmi plusieurs disponibles chez un autre instrumentiste. Ces jeux en réflexe peuvent assumer le caractère de duels où un instrumentiste provoque un ou plusieurs autres musiciens, essayant même de déjouer ces derniers par un choix rapide et inattendu. Les réflexes ont donc tendance à susciter une « rythmique de tension » où le temps se trouve morcelé par réactions et contre-réactions. Cette rythmique se trouve néanmoins liée aux durées de type indéfini. Ici, un instrument déploie un laps continu jusqu'à l'extinction naturelle, là deux ou de nombreux musiciens diffractent le temps, lui apportant une tension souvent très forte. La rythmique de tension correspond, en s'opposant, aux rythmiques indéfinies. Le temps propre (en tant qu'élément commun, appartenant à toute situation en mouvement) est le foyer et le lieu de renversement, en sorte que d'essence la première rythmique est « l'autre » de la deuxième, et vice versa.

L'oeuvre de Tremblay a donc comme unité principielle le sonore. Une infinité de points sonores indique toujours autrement chaque son, l'oblitérant (tout comme le nom indique et tue la chose). Ainsi se profile dans l'élément ponctuel (le son) le devenir de toute la gamme non tempérée, son mouvement de continuel surgissement.

Compositions (Sélection)

Théâtre
Un 9 : 1987; mime, 2 tpt, 2 perc; Sala 1988.

Écrits

« Thèse analytique sur la Messe de Guillaume de Machaut », thèse (Cons. de Paris 1956).

Tremblay et autres, « Hommage à Messiaen », Melos, 25 (déc. 1958).

« Les Sons en mouvement », Liberté 59 (sept.-oct. 1959).

« Vers une nouvelle écoute » et autres textes, Musiques du Kébèk, Raoul Duguay dir. (Montréal 1971).

« Notice (1967) pour <Phases> (1956) et <Réseaux> (1958) », VM, 7 (1967).

« Note pour Cantique de durées », Revue d'esthétique (Paris 1968).

« Le Bruit, prospective négative et prospective positive », Le Bruit, quatrième pollution du monde moderne (Montréal 1970).

« Oiseau-nature, Messiaen, musique », CaCM, 1 (print.-été 1970).

« R. Murray Schafer : The Book of Noise », CaCM, 2 (print.-été 1971).

« Le Point de vue d'un compositeur », Vie spirituelle, LVI (mars-avril 1974).

« Olivier Messiaen », Dictionary of Contemporary Music.

Orchestre

Cantique de durées : 1960; 7 gpes instr (50 ex); ms.

Jeux de solstices : 1974; orch; ms; RCI 477 et 6-ACM 12 (voir DISCOGRAPHIE).

Fleuves : 1976; grand orch, p, perc; Sala 1976; (1983); 6-ACM 12 (O national de France).

Vers le soleil : 1978; orch; Sala 1978; 1986; SNE 523-CD (Nouvel O phil de Radio France).

Katadrone (Contrecri) : 1988; orch; Sala 1988.

Musique du feu : 1991; p, orch; ms.

Musique de chambre

Mobile : 1962; vn, p; ms.

Champs I : 1965 (rév 1969); p, 2 perc; Sala 1974; RCI 370 et 6-ACM 12 (voir DISCOGRAPHIE).

Souffles (Champs II) : 1968; 2 fl, hb, cl, cor, 2 tpt, 2 trb, 2 perc, cb, p; Sala 1974; RCI 370 et 6-ACM 12 (SMCQ).

Vers (Champs III) : 1969; 2 fl, cl, tpt, cor, 3 vn, cb, 3 perc; Sala 1974; RCI 370 et 6-ACM 12 (SMCQ).

« ... le sifflement des vents porteurs de l'amour... » : 1971; fl, perc, micros; Éd. musicales transatlantiques v. 1980; Mel SMLP-4037, RCI 565 et 6-ACM 12 (Aitken).

Solstices (ou Les Jours et les saisons tournent) : 1971; 1, 2, 3 ou 4 gpes de 6 sol : fl, cl, cor, cb, 2 perc; Québec-Musique 1981; RCI 298 et 6-ACM 12 (voir DISCOGRAPHIE).

Compostelle I : 1978; 18 instr; Sala 1978; RCI 527 et 6-ACM 12 (SMCQ).

Le Signe du lion : 1981; cor, tam-tam; Sala 1982; 6-ACM 12 (G. Masella).

Envoi : 1983; p, 15 instr; Sala 1983.

Envol : 1984; fl; Sala 1985.

Triojubilus« À Raphaël » : 1985; fl, hp, cloches à vache; Sala 1985; NMC 001 (NMC), SNE 572 (M.-J. Simard).

Cèdres en voiles : 1989; vc; Sala 1989?

Choeur ou voix

Kékoba (Tremblay) : 1965 (rév 1967); sop, mezzo, tén, perc, ondes M; BMIC 1968; RCI 240 et 6-ACM 12 (voir DISCOGRAPHIE).

Oralléluiants : 1975; sop, fl, cl b, cor, 3 cb, 2 perc, micros; ms; RCI 499 et 6-ACM 12 (SMCQ).

DZEI (Voies de feu) : 1981; sop, fl, cl b, p, perc; Sala 1981.

Voir aussi Les Vêpres de la Vierge.

Piano

Deux pièces pour piano : « Phases », « Réseaux »; 1956-58; Ber 1974; (1981); RCI 499 et 6-ACM 12 (C. Helffer), RCI 228 et RCA CCS-1022 (Troup), (« Phases ») CBC SM-162 (Buczynski).

Traçantes : 1976; Sala 1976; (1981); RCI 499 et 6-ACM 12 (C. Helffer), SNE 553 (Bessette).

Musique électroacoustique

Exercice I (1959), Exercice II (1960).

Centre-élan : 1967; 6-ACM 12.

Sonorisation du Pavillon du Québec : 1967; stéréophonie 24 canaux.

1 musique de film pour l'ONF, Dimension Soleils (1970), 6-ACM 12.

Discography

Musique canadienne à Londres, Paris et Bonn : Tremblay Jeux de Solstices; Nouvel O phil de Radio France, Tremblay c orch; 1977; RCI 477 et 6-ACM 12.

Musique d'aujourd'hui I : Tremblay Solstices (ou Les Jours et les saisons tournent) ; J. Morin fl, J. Laurendeau cl, G. Masella cor, R. Desjardins cb, Lachapelle et Béluse perc, Tremblay dir; 1970?; RCI 298 et 6-ACM 12.

Tremblay Champs I : Tremblay p, Lachapelle et Béluse perc; 1970; RCI 370 et 6-ACM 12

- Kékoba : Colle sop, Chiocchio mezzo, G. Morgan tén, Tremblay ondes M, Lachapelle perc; (1969); RCI 240 et 6-ACM 12.

Voir aussi LesVêpres de la Vierge et DISCOGRAPHIE de P. Vaillancourt.