Albert Jackson, facteur (né le 2 novembre 1857 dans le Delaware; décédé le 14 janvier 1918 à Toronto, en Ontario). Albert Jackson a été le premier facteur noir employé par Royal Mail Canada (voir Service postal). Il est né en asservissement aux États-Unis, et il s’est évadé au Canada avec sa mère et ses frères et sœurs quand il était jeune enfant, en 1858. En 1882, Albert Jackson a été embauché comme facteur à Toronto, mais ses collègues blancs ont refusé de le former pour le travail. Tandis que l’affaire a été débattue durant des semaines dans les journaux, la communauté noire de Toronto s’est organisée pour le soutenir, faisant appel au premier ministre sir John A. Macdonald pour qu’Albert Jackson soit correctement engagé. Il est retourné à son poste quelques jours plus tard et il a travaillé comme facteur pendant presque 36 ans.
Jeunesse
Albert Jackson est l’un de neuf enfants nés de Ann Maria Jackson, au Delaware. John Jackson, son père, est un forgeron qui est né libre. Le couple gagne suffisamment d’argent pour payer l’homme qui réclame les services d’Ann Maria afin qu’elle et leurs enfants puissent vivre dans la maison de son mari, bien qu’ils demeurent asservis. Alors qu’Albert est jeune enfant, ses frères aînés, James et Richard, sont vendus (voir aussi Esclavage des Noirs au Canada). Cet événement traumatisant sépare la famille et le père d’Albert Jackson meurt de chagrin à l’hospice local. Après avoir appris que d’autres de ses enfants seraient emmenés au Mississippi par son propriétaire, Ann Maria Jackson s’échappe de son asservissement et s’enfuit dans le Delaware avec ses sept autres enfants.
La famille arrive d’abord au domicile de l’abolitionniste quaker Thomas Garrett à Wilmington, dans le Delaware. Le 21 novembre 1858, Thomas Garrett écrit à William Still, un abolitionniste afro-américain et secrétaire de la Pennsylvania Antislavery Society. Il lui dit qu’il envoie la famille en calèche au chemin de fer clandestin très fréquenté de William Still.
Les Jackson traversent au Canada, et ils arrivent à St. Catharines, dans le Canada-Ouest ( Ontario), à la fin de novembre 1858, avant d’être envoyés ensuite à Toronto. Ils demeurent brièvement avec Thornton et Lucie Blackburn, qui ont échappé à leur asservissement au Kentucky plusieurs années plus tôt, et qui ont créé la première compagnie de taxi de Toronto. Éventuellement, Ann Maria Jackson loue des chambres pour sa famille à St. John’s Ward, la banlieue ouvrière de la ville située au nord d’Osgoode Hall. Le quartier est le foyer de nombreux immigrants récents, incluant des chercheurs de liberté. Ann Maria Jackson et ses filles gagnent leur vie en lavant des vêtements, et ses garçons servent aux tables. La famille parvient à envoyer Albert à l’école. James Henry et Richard M. Jackson, les deux fils aînés d’Ann Maria, réussissent à échapper aux asservisseurs à qui ils avaient été vendus, et ils se rendent eux aussi à Toronto, où ils deviennent de réputés barbiers.
Carrière
Après avoir terminé ses études, Albert Jackson postule pour un emploi de facteur, un poste gouvernemental. À l’époque, la plupart des hommes noirs de Toronto travaillent dans l’industrie des services ou comme ouvriers, mais on compte au moins un médecin noir et un avocat, plusieurs propriétaires d’entreprises prospères, et un propriétaire de compagnie de construction également prospère (voir aussi Communautés noires au Canada; Porteurs de wagons-lits au Canada).
Le 12 mai 1882, Albert Jackson est embauché au système des postes fédéral. Cependant, lors de sa première journée de travail, ses collègues refusent de lui donner une formation pour livrer le courrier, et son superviseur assigne Albert Jackson à un poste inférieur en tant que portier (concierge).
Cette insulte envers Albert Jackson est rapidement publiée dans les journaux. Le 17 mai 1882, The Evening Telegram publie un article intitulé « The Objectionable African » (l’Africain indésirable). Albert Jackson y est décrit comme un « homme de couleur odieux » dont l’embauche comme facteur a suscité « le profond dégoût du personnel existant du bureau de poste ».
Quelques jours plus tard, le Telegram publie un éditorial soutenant que « l’objection au jeune homme en raison de sa couleur est indéfendable. Les impôts ne sont pas réduits d’un sou à un homme parce qu’il se trouve que ce dernier a la peau foncée ». L’histoire occupe la presse pendant des semaines, et elle est accompagnée d’attaques racistes contre les Noirs dans les rues et de débats qui tournoient dans les pages d’opinions sur la question de savoir si les personnes noires sont intrinsèquement inférieures. Un éditorial explique que bien que « les races inférieures soient un fait », l’égalité politique est une réalité au Canada. Le 29 mai, la communauté noire, incluant plusieurs membres de la famille Jackson, tient une réunion publique à la Richmond Street Methodist Church. Un comité est créé pour protester contre cette affaire. L’un des membres, le célèbre barbier local et porte-parole de la communauté, George Washington Smith, rédige une lettre à l’éditeur dans laquelle il explique que les Noirs sont des personnes aussi compétentes que quiconque lorsqu’on leur offre les mêmes opportunités.
Le 30 mai, George Washington Smith dirige un comité de cinq Torontois noirs lors d’une réunion avec le premier ministre sir John A. Macdonald pour demander qu’Albert Jackson reçoive une formation de facteur. À moins d’un mois des élections fédérales, sir John A. Macdonald est désireux de gagner la faveur des électeurs noirs (voir aussi Droit de vote des Noirs au Canada), et il ordonne au maître des postes de réintégrer Albert Jackson et de lui donner une formation pour livrer le courrier. Trois jours après cette réunion, Albert Jackson retrouve son poste de facteur.
Après une brève mention dans le Globe annonçant qu’Albert Jackson est retourné au travail « sans qu’aucune d’objection n’ait été soulevée », ce dernier se remet au travail. Il travaille comme facteur pendant près de 36 ans, de 1882 jusqu’à sa mort en 1918, et il livre le courrier sur sa route qui passe à travers le quartier Harbord Village.
Vie personnelle
Albert Jackson épouse Henrietta Jones le 3 mars 1883. Le couple a quatre fils : Alfred, Richard, Harold et Bruce. Au cours de leur vie, Albert Jackson et sa femme achètent plusieurs maisons dans le centre-ville de Toronto. Après la mort d’Albert Jackson, Henrietta et leurs fils achètent plus de propriétés dans Harbord Village. Elle meurt en 1958 à l’âge de 99 ans, et est enterrée aux côtés de son époux dans le cimetière Toronto Necropolis.
Legs
L’histoire d’Albert Jackson est bien connue des membres de sa famille pendant des générations, mais elle est également mentionnée dans la thèse de doctorat de Colin McFarquhar en 1998, ainsi que dans le livre de l’historienne Karolyn Smardz Frost I’ve Got a Home in Glory Land: A Lost Tale of the Underground Railroad (2007), qui décrit la vie de Thornton et Lucie Blackburn. Ce livre est le résultat de recherches archéologiques et d’archives approfondies, et Karolyn Smardz Frost y développe l’histoire d’Albert Jackson après avoir découvert qu’à la fois sa mère, Ann Maria Jackson, et son frère Richard M. Jackson, sont enterrés dans la parcelle de terrain des Blackburn au cimetière Toronto Necropolis.
En 2013, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes publie une affiche commémorative sur Albert Jackson. Cette même année, une ruelle de Harbord Village est nommée en son honneur. En 2015, The Postman, une pièce de théâtre en plein air de David Ferry, est présentée sur les pas de portes mêmes où Albert Jackson livrait le courrier. En 2017, une plaque commémorative est placée à l’endroit où se trouvait autrefois le bureau de poste général de Toronto, là où Albert Jackson ramassait son courrier à livrer. En février 2019, Postes Canada émet un timbre dépeignant Albert Jackson en l’honneur de Mois de l’histoire des Noirs. En mai 2022, Postes Canada inaugure le centre de traitement Albert-Jackson dans le nord de Scarborough, le plus grand centre de tri de courrier. Ce centre ouvre ses portes au début de 2023.