Éditorial

Animaux arctiques en voie de disparition

L'article suivant fait partie d'une exposition. Les expositions précédentes ne sont pas mises à jour.


La liste des espèces menacées au Canada est longue.

En 2013, elle s’établit à 456 espèces. De ce nombre, plus de 40 pour cent sont considérées comme en voie d’extinction.

Quoiqu’on les trouve dans l’ensemble des provinces et des territoires canadiens, c’est dans l’Arctique qu’il est possible de saisir les raisons de leur déclin, parmi lesquelles on peut mentionner le changement climatique et la destruction de leurs habitats. Ainsi, les scientifiques ont constaté que les températures à proximité du Pôle Nord augmentent deux fois plus vite que partout ailleurs sur la planète, ce qui a pour conséquence la fonte de la glace de mer, une composante essentielle des écosystèmes de l’Arctique. Pendant ce temps, les communautés inuites observent d’importants changements dans les trajectoires de migration des animaux et une baisse importante de leur population : des éléments qui affectent directement la pratique de la chasse traditionnelle chez ces communautés.

Cette exposition vous propose de découvrir six espèces animales qui vivent avec difficultés les transformations environnementales que connaît actuellement l’Arctique canadien. Il s’agit de l’ours polaire, le caribou, le narval, la baleine boréale, le beluga (ou baleine blanche) et le morse. En plus d’y trouver des extraits de l’ Encyclopédie canadienne qui vous fourniront des informations relatives aux défis que rencontre chacune de ces espèces, l’exposition présente des clichés du photographe de réputation internationale Paul Nicklen. Enfin, la contribution du journaliste Ashleigh Gaul de Yellowknife, sur la chasse au morse au Nunavut, met en évidence les liens étroits entre la destruction des habitats fauniques et la menace qui pèse sur la survie de la culture inuite.

Narval

Les narvals se rassemblent pour manger de la morue au Nunavut.

Au Canada, la distribution du narval est centrée sur le détroit de Davis, la baie de Baffin, le détroit de Lancaster et les bras de mer et les fjords de l’archipel Arctique. Elle comprend également le détroit d’Hudson, la baie Repulse et le Nord de la baie d’Hudson. L’évolution rapide de l’état de la glace marine dans l’Arctique est considérée comme une menace potentiellement sérieuse pour le narvale. Ces changements pourraient entraîner des piégeages plus fréquents de l’animal sous la glace, et donc une mortalité plus importante due à la famine, la noyade ou la prédation. La réduction des glaces marines est également associée à une intensification des activités humaines dans l’Arctique, les zones impossibles à naviguer jusqu’alors devant plus accessibles. L’habitat du narval pourrait donc subir des menaces grandissantes dues aux activités liées à l’exploration pétrolière, à la pêche commerciale et au transport maritime.

Baleine boréale

L’aire de répartition canadienne comprend les régions arctiques de l’est et de l’ouest qui abritent deux populations distinctes. La chasse commerciale de la baleine a commencée dans l’Est du Canada dans les années 1500, puis dans la région Beaufort-Chukchi-Beaufort en 1848. Les deux opérations commerciales sont terminées à la fois vers 1915. Les deux populations ont été durement touchées par cette chasse. Le nombre de baleines boréales a augmenté depuis 1931, lorsque leur chasse commerciale fut interdite. Aujourd’hui, la baleine boréale peut être affectée par toute une gamme d’activités humaines, notamment le bruit provenant des bateaux et des activités d’exploration et de production du pétrole ainsi que par les collisions avec les navires et les prises accidentelles dans les files de pêche qui peuvent les blesser ou les tuer. La réduction de la glace de mer dans l’Arctique provoquée par les changements climatiques pourrait entraîner un regain d’activités humaines et permettre aux épaulards d’accéder plus facilement à l’habitat fréquenté par les baleines boréales et ainsi intensifier ainsi la prédation.

Béluga

Les bélugas sont très répandus dans l’Arctique et la région subarctique. Les contaminants présents dans l’eau sont une menace plus préoccupante pour les bélugas du Saint-Laurent que pour ceux de l’Arctique. De fortes concentrations de BPC (produits chimiques fabriqués par l’homme et utilisés dans l’industrie) ont en effet été détectées dans les tissus de la population du Saint-Laurent. Les bélugas doivent également être affectés par le changement de climat, bien que la nature et l’amplitude de ses effets demeurent incertaines et varieront probablement d’une population à l’autre. Mis à part les effets écologiques, la réduction de la glace de mer entraînera des modifications importantes au niveau des activités humaines telles que celles liées à l’exploration et à l’exploitation en mer du pétrole et du gaz naturel ainsi qu’aux développements hydroélectriques et à la pêche commerciale. Ces activités peuvent en retour avoir des impacts importants sur les bélugas et leur habitat.

Ours polaire

Un ours polaire nage sous la banquise dans le détroit de Lancaster, au Nunavut.

L'ours polaire est le plus gros des huit espèces d'ours. On estime que la population mondiale d’ours polaires se situe entre 20 000 et 25 000 animaux, dont 64 à 80 pour cent se trouvent au Canada. Dans ce pays, les ours polaires fréquentent le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut, ainsi que les régions septentrionales du Manitoba, de l’Ontario, du Québec et de Terre-Neuve et Labrador. Une espèce hautement spécialisée, l’ours polaire dépend des glaces marines et est donc particulièrement vulnérable aux modifications de son environnement. On sait déjà que des modifications des glaces marines ont causé une baisse du nombre et de la productivité de quelques populations d'ours polaires. La perte des habitats causée par la disparition des glaces de mer est la principale préoccupation des spécialistes de la préservation. Parmi les autres menaces potentielles, on note l'exploitation pétrolière (comme le site de la Mer de Beaufort), la prospection, le déglaçage et le transport de marchandises.

Caribou

Au Canada, les caribous sont généralement classés suivant trois types : le caribou de Peary, le caribou de la toundra et le caribou des bois. Les pertes d’habitat et le réchauffement climatique constituent des vecteurs clés du déclin des caribous. Les températures plus douces ont permis aux caribous et aux cerfs de s’étendre plus au nord. L’abondance des prédateurs dépendant de l’abondance de leurs proies, les loups, couguars et les coyotes élargissent eux aussi leur aire de répartition et deviennent plus nombreux. Le caribou des bois du Sud, contrairement à l’original et au cerf, ne peut pas coexister avec un si grand nombre de prédateurs. Plus au nord, le réchauffement climatique se traduit par une couverture plus importante de la végétation par une croûte de glace ou de neige dure, ce qui entraîne plus de famines au sein des populations de caribous de Peary et de caribous de la toundra. Dans le cas du caribou de la toundra, les températures plus douces affectent les itinéraires de migration puisque la glace de mer sur laquelle se déplaçaient les animaux fond de plus en plus.

Morse

On compte deux sous-espèces de morse : le morse du Pacifique et le morse de l'Atlantique. Au Canada, on ne retrouve que le morse de l'Atlantique. Certains chercheurs ont suggéré que c’est la chasse excessive qui menace le plus sérieusement le morse de l’Atlantique. La chasse du morse est aujourd’hui accessible à la fois aux communautés Inuits et aux chasseurs sportifs alors que seuls les Inuits pouvaient la pratiquer de 1928 à 1994. Les permis de chasse sportive sont délivrés dans le but de bénéficier aux communautés du Nord. Même si des quotas existent pour certaines régions, il n’y a pas eu suffisamment d’études pour que l’on soit sûr que ces quotas sont suffisamment restrictifs pour protéger les populations de morses concernées. Les données concernant le nombre de morses tués sont par ailleurs limitées, ce qui complique les recherches. Le morse de l’Atlantique est également menacé par l’intensification des activités humaines telles que le développement industriel (p. ex., les exploitations minières) et l’écotourisme.

Se souvenir de la chasse au morse

Les scientifiques et les Inuits s’accordent pour dire que les changements qui touchent l’Arctique affectent profondément les populations animales et ces perturbations se répercutent sur la culture et les traditions des peuples du Nord.

Les Aivilingmiuts de Nunavut sont des chasseurs de morse. Comme de nombreux autres groupes régionaux d’Inuits, ils ont été nommés d’après l’animal qui assurait jadis leur survie. En toutes saisons, ils suivaient l’aivik (le morse, en inuktitut) au nord de la baie d'Hudson, jusqu’à l’île de Baffin. Aujourd’hui, personne ne dépend plus uniquement du morse pour sa survie. Cependant, lorsqu’une ancienne Aivilingmiutdéclare sur une chaîne de radio locale qu’elle a très envie d’igunaq – la viande de morse fermentée –, les chasseurs locaux ont le devoir d’aller en chercher.

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Les bateaux au départ d’une rive de galets de calcaire. Le mois de juillet tire à sa fin et la baie Igloolik est libre de glace. Chaque bateau transporte une famille : la mère, le père et un ou deux fils qui ont été choisis pour apprendre à chasser. Le plan succinct prévoit que les Airuts, Ammaqs, Irngauts et Awas seront partis pour une semaine. Ils ont pris avec eux suffisamment de nourriture et de collations pour environ trois jours. Le reste du temps, ils dépendront de la terre. Ils devront recueillir l’eau de pluie sur la nappe glaciaire, chasser les canards et tirer sur les phoques lorsque leur tête noire apparaîtra au loin, sur l’eau à peine ondulée. Ils naviguent au moteur pendant des heures, contournant une centaine de petites îles. Personne ne se soucie de ne plus apercevoir la terre.

En 2008, les chasseurs et les trappeurs d’Igloolik ont institué un moratoire sur le tourisme axé sur le morse. Ce moratoire interdisait les expéditions de chasse sportive et de photographie au sud de l’île de Baffin. Selon eux, la fréquentation accrue de la zone par les touristes avait fait fuir les animaux vers l’est, en direction de Cape Dorset. Le moratoire a depuis été levé mais certains pensent que l’intensification du trafic maritime et des développements autour et sur l’île de Baffin continue à perturber les morses. D’autres soutiennent que le problème vient de la disparition de la glace de mer. On ne sait pas si la population des morses de l’Atlantique est en train de disparaître ou si elle se déplace mais les locaux disent qu’il y en a moins aujourd’hui qu’il y a trente ans. Quoi qu’il en soit, les scientifiques et les Inuits s’accordent pour dire que les changements qui touchent l’Arctique affectent profondément les populations animales et ces perturbations se répercutent sur la culture et les traditions des peuples du Nord.

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Le soir venu, les chasseurs installent leur camp sur les lieux d’un ancien poste de chasse au morse, sur la petite île Qaisuut, juste au nord de la pointe la plus septentrionale de la partie continentale du Canada. Dans la clarté continuelle des hautes latitudes, personne ne dort. Le père et chasseur Lukie Airut découpe des peaux de phoque en fines bandelettes, les débarrasse de leurs poils puis les met à sécher contre des rochers oranges. Elizabeth Awa apprend à ses petites-filles comment aller cueillir la bruyère dans les champs verdoyants, en altitude, pour l’étaler ensuite au camp afin d’en faire un matelas. L’ancien Abraham Uruyaralok, assis sur son matelas, fredonne des chansons traditionnelles. Il reste aussi attentif à la radio haute fréquence qui lui permet de bavarder avec d’autres chasseurs présents dans le secteur. Les enfants arpentent toute la nuit le sentier millénaire, baignés dans une lumière violette, carabine à l’épaule. Ils montent la garde contre les ours polaires. Arrivés sur une plage toute plate, ils se répètent les histoires racontées par leurs parents. Jadis, les morses foisonnaient sur cette île et les chasseurs n’avaient pour ainsi dire qu’à se baisser pour les cueillir. Dans une hutte de terre située un peu au-dessus de la plage, ils trouvent les restes d’anciens outils et de jouets d’enfants, ainsi qu’un crâne humain. Ces enfants connaissent bien le crâne. Ils lui rendent visite chaque fois qu’ils viennent sur Qaisuut. Ce crâne témoigne de ce qu’il se passe lorsque la chasse devient mauvaise et que les gens sont forcés de changer leur style de vie. Toute la nuit, Peter Awa joue de son violon et un chaudron de tripes de phoque bouillies passe de tente en tente. Ils ne font que tuer le temps, en attendant le matin.

Se souvenir de la chasse au morse (suite)

Les enfants gardent leur couteau à la main mais se contentent d’observer comment se déroule le dépeçage. Il en sera ainsi lors de plusieurs chasses, jusqu’à ce qu’ils soient prêts à s’essayer à la tâche.

Le premier troupeau que nous apercevons, nous nous contentons de le regarder. Ils sont comme des éléphants dans l’eau, maladroits. Même en pleine mer, ils sont lents et peine à respirer car il leur est difficile de garder leur nez et leur gueule au-dessus de la surface. Leur tête vient régulièrement percer la surface, leurs défenses fendant les vagues. Les six bateaux se regroupent derrière eux, mais les morses n’ont pas besoin de nous voir pour comprendre qu’ils sont en danger. Ils remontent un peu plus fréquemment à la surface. Le troupeau se sépare. Awa tire et touche un mâle dans la nuque. Le mâle fait un saut en arrière. Deux bateaux arrivent vite à ses côtés et un chasseur le transperce avec un harpon maison connecté par une corde à un jerrican vide. Il frappe sur le jerrican avec ses défenses. L’animal le malmène mais ne peut pas le percer. Ses coups de reins brusques bousculent le bateau en aluminium de vingt pieds.

Un autre coup de feu retentit sur le bateau voisin. Une femelle est touchée. Avant que les chasseurs ne parviennent à la harponner, le reste du troupeau s’est regroupé autour d’elle et deux d’entre eux l’emportent sur leur dos. Un bouc de glace s’interpose alors entre le bateau et les morses. Mais Lukie Airut n’hésite pas, il saute sur la glace. Pendant quelques secondes, il reste là, son harpon armé au-dessus de sa tête. Lorsqu’il apprit à le lancer, c’était à partir d’un kayak. Il projette son harpon mais l’arme ne perce pas le cuir de l’animal. Il la harponne une deuxième fois, cette fois à travers sa nageoire pectorale de gauche. Airut remonte à bord de son bateau puis éloigne l’animal du troupeau en ramenant sa corde en peau de phoque. Le bateau, tiré de côté par la femelle d’une tonne, dérive vers une plaque de glace de la taille d’un gymnase.

Ce matin-là, neuf morses de ce troupeau seront tués. Leur dépeçage occupera toute l’après-midi et une partie de la soirée. Il faut neuf hommes et un système de treuillage à poulie pour sortir chaque morse de l’eau. Lorsque les couteaux à fileter plongent dans les peaux grises et abîmées, la glace rougit sous le flot de sang. Il n’y aura pas de pause déjeuner. Les foies et les cœurs des animaux sont rassemblés devant une chaise de jardin posée sur la glace et les chasseurs viennent s’y rassasier à tour de rôle. Chaque famille dépèce son propre morse et chaque famille a sa propre façon de procéder. Mais tout le monde prépare la même chose : la spécialité desAivilingmiuts, l’igunaq. Ils replient des poches de gras, de viande et de peau en formant des sacs hermétiques puis les ferment en les cousant avec des lanières de peau prélevée sur la poitrine et la cage thoracique des animaux. Les enfants gardent leur couteau à la main mais se contentent d’observer comment se déroule le dépeçage. Il en sera ainsi lors de plusieurs chasses, jusqu’à ce qu’ils soient prêts à s’essayer à la tâche. S’ils manquent une année, ils commencent déjà à oublier.

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Les bateaux sont remplis, la chasse est terminée. De toute façon, il tarde aux enfants de revenir à la maison. Une fois revenues sur la terre ferme, les familles se séparent puis vont entreposer leurigunaq dans des caches de rochers aménagées en bordure de la ville. La viande de morse, transportée deux hommes par poche, est entreposée dans un terrier creusé à même le pergélisol. Elle y fermentera jusqu’à deux ans. Le jour de la fête du Canada, d’un anniversaire ou simplement quand un ancien passe à la radio et fait part de son envie de manger du morse, les chasseurs viendront en chercher et toute la ville se souviendra de ce goût.