Architecture
Les définitions classiques de l'architecture soutiennent qu'elle est « la mère de tous les arts ». De nos jours, on ne définirait pas l'architecture comme un art, mais plutôt selon des termes techniques ou comme l'expression des valeurs d'une société donnée. Ce qu'on appelle architecture peut aussi bien désigner des constructions modestes et provisoires que des édifices monumentaux. Il semble rarement pertinent, du point de vue de la compréhension et de la connaissance de la forme bâtie, de faire une distinction entre l'architecture « grand art » et l'architecture comme simple reflet de traditions vernaculaires. L'historien de l'architecture américain, feu Spiro Kostof, réclamait « une définition plus globale de l'architecture et, par conséquent, une image plus démocratique de l'histoire de l'architecture ». Cette façon démocratique de définir le terme architecture semble convenir à la tradition canadienne, dans laquelle l'histoire de notre environnement bâti est écrite par des artistes, des artisans et des constructeurs dont les origines, la formation et les motivations diffèrent beaucoup.
La définition plus large de l'architecture, qui appelle à l'équilibre entre l'art et la technique de même qu'entre les traditions populaires et celles du grand art, ne date pas d'aujourd'hui. L'architecte et théoricien romain Vitruve (actif entre 46 av. J.-C. et 30 av. J.-C.) écrivait qu'il faut que l'architecture possède trois qualités, habituellement rendues en français par matériaux, solidité et plaisir pour l'oeil, c'est-à-dire une bonne planification, de la solidité dans la construction et le sens de l'esthétique. Vitruve exige que ces trois qualités soient réunies dans une construction pour que l'on puisse parler d'« architecture ». Toutefois, chacune de ces qualités est liée aux normes culturelles et aux procédés techniques d'une société donnée. Toutes les constructions, du tipi à l'église, peuvent nous révéler des choses sur les sociétés qui les ont créées : ce qu'elles valorisent, comment elles composent leurs équipes de construction, à quelles techniques elles font appel et quelles valeurs elles véhiculent par le biais des bâtiments qu'elles se font construire. Les aspects fonctionnel et artistique ne suffisent pas à définir l'architecture, car un bâtiment est plus que la somme de ses parties. L'architecture est une prise de position sociale exprimée en trois dimensions.
En adoptant une définition de l'architecture plutôt ouverte et inclusive, nous pouvons explorer le sujet de plusieurs points de vue. Si nous l'étudions à travers son histoire, sur une longue période de temps, nous pouvons retracer l'évolution du style et la multitude d'influences qui interviennent dans la création de l'environnement bâti. Une approche historique expose les rapports existant entre l'architecture et les autres disciplines, dont la sculpture, le dessin, l'ingénierie et le design d'environnement, pour n'en nommer que quelques-unes. La plupart d'entre nous, cependant, connaissons l'architecture par rapport à certains types génériques de bâtiments. Nous vivons dans une habitation, pratiquons notre religion dans un édifice pour le culte, travaillons dans des gratte-ciel, dépensons notre argent dans les centres commerciaux, faisons le plein dans les stations-services, passons la nuit à l'hôtel, allons à l'hôpital quand nous sommes malades ou encore cherchons à nous récréer dans l'un des nombreux établissements sportifs. Les granges et les silos élévateurs sont des lieux de travail pour certains Canadiens et des repères culturels pour beaucoup d'autres. Les concepteurs de bâtiments, du novice qui veut tout simplement dessiner le plan du chalet qu'il construira au bord d'un lac à l'élite professionnelle qui conçoit des projets expérimentaux ainsi que des bâtiments publics importants (tels que Douglas Cardinal, qui a conçu le Musée canadien des civilisations), sont plus que des praticiens de l'architecture. Ils contribuent à enrichir notre environnement bâti et nous aident à comprendre la notion d'architecture ainsi que le rôle qu'elle joue dans notre vie.
Architecture au Canada
On comprend plus facilement l'histoire de l'architecture canadienne si on l'associe aux événements politiques. L'architecture autochtone au Canada créée durant la période précédant les premiers contacts avec les Européens change à la suite de ces contacts. Les peuples des premières nations du pays produisent une architecture unique, temporaire comme permanente. Dans la première catégorie, on trouve des constructions éphémères telles que les igloos, wigwams et les tipis. Dans la dernière figurent les maisons semi-souterraines et les maisons longues en bois de la côte du Nord-Ouest. Ces bâtiments sont non seulement ingénieux et originaux sur le plan technique, mais ils révèlent des systèmes de croyances culturelles profondément enracinées qui en font les dépositaires d'un sens religieux et spirituel riche. L'architecture indigène contemporaine se pratique toujours, et elle englobe les formes et les matériaux traditionnels et contemporains (voir Architecture, Histoire de l', Constructions autochtones).
Si les peuples autochtones du Canada ont créé un patrimoine architectural durable, les traditions européennes marquent l'histoire de l'architecture du Canada avec des bâtiments et des façons de les décrire et de les catégoriser. Beaucoup des termes utilisés pour décrire les styles de l'architecture au Canada sont hérités d'une tradition européenne. Toutefois, les premiers Européens à venir ici ne s'établissent pas en colonies permanentes. Le Canada possède quelques vestiges archéologiques fragmentaires du passage des Vikings, surtout à l'Anse aux Meadows à Terre-Neuve, qui datent approximativement de l'an 1000. Les marins basques, attirés par les riches bancs de poissons au large de la côte atlantique, à l'Est du Canada, laissent également des traces de leurs séjours ici, comme à Red Bay au Labrador au milieu du XVIe siècle.
Durant le XVIe siècle, on voit apparaître l'architecture européenne avec l'installation permanente des colons français et anglais. Par la suite, au Canada anglais comme au Canada français, on continue, bien après 1800, de classer l'architecture canadienne selon ses origines culturelles. Durant le régime français, de 1608 à 1759, de nombreux bâtiments de pierre d'importance sont érigés à des fins religieuses, publiques ou militaires. La fortification militaire française et les traditions d'aménagement sont importées. Les architectes royaux de France s'assurent de toujours produire une bonne planification et du travail de grande qualité. La forteresse de Louisbourg (détruite en 1758 et reconstruite à partir des années 1960) est le plus bel exemple de planification militaire en Amérique du Nord.
On remarque l'influence britannique pour la première fois dans les fortifications que les Anglais érigent contre la présence française en Amérique du Nord, puis contre celle des Américains. Des ouvrages fortifiés de facture modeste, puis des forts plus complexes sont construits. Le plan d'urbanisme et l'architecture domestique font bientôt leur apparition. La comparaison du plan géométrique de la ville de Halifax (fondée en 1749) avec celui de Québec, plus organique, démontre la façon tout à fait différente dont les Français et les Anglais érigent les villes. Après la conquête de Québec (1759), les traditions britanniques finissent par dominer graduellement. Québec et les autres villes érigées durant le régime français prennent un aspect nouveau et résolument anglais (voir Architecture, Histoire de l', Architecture du régime français jusqu'en 1759).
De 1759 à 1867, l'architecture est définie selon les traditions royales britanniques : les époques georgienne et victorienne. L'époque georgienne est associée au développement d'une architecture résidentielle raffinée. Les loyalistes américains apportent leurs propres traditions en s'installant au Canada, surtout au Canada atlantique et dans l'Ontario que l'on connaît aujourd'hui. La période victorienne est associée à la création de nombreux bâtiments publics. Des années 1840 aux années 1860, on construit de nombreux édifices publics, dont la taille est souvent disproportionnée par rapport aux moyens financiers des villes. Ces dernières les commanditent quand même, car elles rivalisent entre elles pour attirer les colons et obtenir des commandes du gouvernement. Notons ainsi le marché Bonsecours à Montréal et l'hôtel de ville de Kingston. On construit des universités telles que l'University College, université de Toronto (voir Architecture, Histoire de l', 1759-1867).
De la Confédération, en 1867, au déclenchement de la Première Guerre mondiale, en 1914, des gens de cultures autres que celles de la majorité franco-britannique immigrent au Canada, en apportant avec eux leurs traditions architecturales. Au XVIIIe siècle, on sent déjà la présence des loyalistes américains et des immigrants allemands dans des villes canadiennes de l'Atlantique telles que Lunenburg, et au XIXe siècle, les maçons écossais apportent leur expertise dans les villes de la vallée de l'Outaouais, notamment à Perth. Puis arrivent les immigrants d'Europe centrale, surtout d'Ukraine, avec l'intention d'exploiter les terres agricoles de l'arrière-pays, dans l'Ouest, maintenant accessibles grâce au chemin de fer. Ils légueront un bien architectural durable. L'église ukrainienne, érigée à Smoky Lake en Alberta et aujourd'hui conservée au Musée canadien des civilisations, en est un exemple.
Peut-être en réaction contre la diversité culturelle croissante du Canada durant la période qui va de 1867 au début de la Première Guerre mondiale, les architectes et les fonctionnaires canadiens cherchent à créer un style national. Les édifices du Parlement, à Ottawa, mettent à la mode, pour un temps, l'architecture civique de style gothique d'inspiration britannique. Durant la dernière moitié du XIXe siècle, les Américains mettent au point la technologie des gratte-ciel, et l'influence américaine, qui s'oppose à l'influence britannique persistante, se fait de plus en plus sentir. Les architectes canadiens luttent contre la domination des États-Unis, et certains ont le sentiment que les Américains obtiennent une trop grande part du travail offert au Canada.
Tout au long de cette période, une pression de plus en plus forte s'exerce sur les architectes pour qu'ils se dotent d'un statut professionnel en créant des organismes d'autoréglementation responsables d'établir et de maintenir les normes de la pratique. Durant la dernière partie du XIXe siècle, l'architecture, l'arpentage et l'ingénierie deviennent des professions distinctes. Les architectes sont divisés quant à savoir s'ils devraient acquérir leur formation dans les universités ou encore par l'apprentissage (voir Architecture, Histoire de l', 1867-1914).
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les architectes continuent de chercher un langage national et expérimentent timidement les traditions modernistes européennes. Des architectes tels que John Lyle cherchent à exprimer l'identité nationale en utilisant des ornements d'origine régionale. Toutefois, des architectes tels qu'Ernest Cormier affirment qu'il n'est pas à propos d'utiliser des thèmes canadiens et réclament la création d'un style international en architecture canadienne. À cette époque, et ce, après avoir rencontré maintes difficultés, des femmes commencent à exercer la profession d'architectes.
Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, la société canadienne entre dans une période de fébrilité, en ce qui a trait à la construction urbaine, par suite du retour des anciens combattants et de l'explosion démographique. Beaucoup de gens ont les moyens de s'acheter une voiture et les banlieues changent le mode de vie des Canadiens. L'architecture connaît un essor grâce aux recommandations précises du rapport de la Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts,lettres et sciences au Canada (mieux connu sous le nom de rapport Massey, 1951) à l'effet que les Canadiens devraient créer un langage canadien en architecture. Le rapport propose même des étapes à suivre pour y parvenir. Le mouvement moderne en architecture devient populaire, surtout à Vancouver, à Winnipeg et à Toronto (voir Architecture, Histoire de l', 1914-1967).
En 1967, alors que le Canada célèbre son centenaire avec l'Expo 67, des architectes tels qu'Arthur Erickson sont reconnus sur la scène internationale. Après 1967, l'architecture canadienne prend des avenues nombreuses et variées. Des architectes poursuivent leur vision personnelle chacun de leur côté. Certains, tels que Douglas Cardinal d'Alberta, enrichissent le courant dominant canadien avec leur sensibilité autochtone. D'autres, comme Eberhardt Zeidler, apportent leur sensibilité européenne au Canada et acquièrent une renommée internationale. Les villes canadiennes croissent rapidement, et beaucoup de vieux bâtiments sont démolis. Le mouvement pour la conservation du patrimoine, qui soutient la conservation et la restauration de notre histoire architecturale, voit le jour (voir Architecture, Histoire de l', de 1967 à nos jours).
Tandis que la quête d'un langage canadien en architecture se poursuit, on admet généralement que les variantes régionales contribuent à diversifier le vocabulaire architectural, plutôt qu'elles n'aident à former un style national dominant. Ainsi, l'architecture canadienne deviendra diversifiée, à l'image de la société et de la géographie canadiennes.