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Emily Carr

Emily Carr, peintre, autrice (née le 13 décembre 1871 à Victoria, en Colombie-Britannique; décédée le 2 mars 1945 à Victoria). De même que Tom Thomson, que le Groupe des Sept, et que David Milne, Emily Carr a été l’une des peintres canadiennes les plus éminentes de la première moitié du 20e siècle, et possiblement la plus originale. Elle a également été l’une des plus grandes artistes féminines de cette période, que ce soit en Amérique du Nord ou en Europe. Ses œuvres audacieuses, presque hallucinatoires, dépeignent la nature comme un furieux vortex de croissance organique. Elles ont également été critiquées comme étant des appropriations de la culture autochtone. Emily Carr a aussi été une autrice célèbre. Klee Wyck, son recueil de nouvelles décrivant l’influence que les peuples et la culture autochtones de la côte nord-ouest ont eue sur elle et son art, a remporté un Prix littéraire du Gouverneur général en 1941.

Emily Carr

Jeunesse

Les parents d’Emily Carr sont des immigrants britanniques. Ils s’installent dans la petite ville provinciale de Victoria, en Colombie-Britannique. Son père devient un marchand prospère. Emily Carr est la deuxième cadette de neuf enfants, et elle grandit avec son frère et ses quatre sœurs aînées. La maison est disciplinée et ordonnée, et les mœurs et valeurs britanniques y sont maintenues. En grandissant, Emily Carr n’a pas de modèle de rôle artistique, mais enfant, elle aime dessiner.

La mère d’Emily Carr meurt en 1886, et son père meurt en 1888 (tous deux de tuberculose). Lorsqu’elle atteint l’âge de 18 ans, Emily Carr persuade ses tuteurs de lui permettre d’aller étudier l’art à la California School of Design à San Francisco. C’est là qu’elle apprend les bases de l’art de la peinture. Lorsqu’elle revient à la maison trois ans plus tard, elle commence à peindre à l’aquarelle. Elle met également en place des cours de peinture pour enfants.

Début de carrière artistique

Un voyage d’études en Angleterre en 1899 ne fait pas grand-chose pour faire avancer l’art de Emily Carr. Une longue maladie l’y retient jusqu’en 1905, année où elle retourne à Victoria. En 1910, elle est déterminée à découvrir ce qu’est le nouvel art moderniste, alors elle utilise ses économies et part en France avec sa sœur Alice. À Paris, elle suit des cours à l’Académie Colarossi. Cependant, elle trouve qu’il est plus utile d’étudier en cours privés avec l’artiste britannique Harry Gibb. Toutefois, les expériences radicales du cubisme et du fauvisme alors entreprises à Paris par Pablo Picasso, Georges Braque, Henri Matisse et d’autres, lui échappent. Mais elle développe son propre style de peinture, un style audacieux, coloré et postimpressionniste. Emily Carr retourne à Victoria en 1912.

 Maison en Bretagne

Exposition à la culture autochtone

Même avant 1908, lorsqu’Emily Carr avait visité plusieurs villages des Kwakiutl du sud, elle avait manifesté un intérêt pour les peuples autochtones, leur culture traditionnelle et leurs œuvres matérielles, comme leurs maisons longues, leurs totems, et leurs masques. Mais à cette époque, on croyait que la culture autochtone était en train de s’éteindre sous les vagues d’empiétement des colons blancs. Et malgré son vif intérêt pour la culture autochtone, Emily Carr partageait cet état d’esprit prédominant selon lequel il s’agissait d’un processus d’assimilation inévitable.

Le saviez-vous?
En 1862-1863, une épidémie de variole qui a commencé à Victoria a décimé la population autochtone de la région. Près de 14 000 Autochtones le long de la côte nord-ouest, environ la moitié de la population de la région, en sont morts. L’épidémie a laissé derrière elles des charniers, des survivants endeuillés, et des colonies vides. (Voir Épidémie de variole en Colombie-Britannique.)


Après son retour de France au cours de l’été de 1912, Emily Carr décide de créer une documentation visuelle des totems autochtones dans leurs villages avant qu’ils ne disparaissent. Elle effectue un ambitieux voyage de six semaines vers le nord jusqu’aux îles de la Reine Charlotte (maintenant Haida Gwaii) et à la rivière Skeena. C’est là qu’elle documente l’art des peuples haïdas, gitksans et tsimshians. Les dessins et les aquarelles qu’elle réalise lors de ce voyage et des suivants lui fournissent la matière première pour l’un des deux grands thèmes de sa carrière de peintre : la présence matérielle des cultures autochtones du passé. Ses voyages aventureux à la recherche de matériel la mènent également plus profondément dans son deuxième grand thème : le paysage distinctif de la côte nord-ouest du Canada.

Emily Carr peint dans son « style français » vif et éclatant pendant environ dix ans. Elle produit des petits tableaux qui auraient été considérés comme avancés dans n’importe quelle partie du Canada. Mais ce n’est pas cette approche qui la mène à la plénitude de son art. En 1913, elle a à son actif un corpus substantiel d’œuvres remarquables. Toutefois, elle est découragée par l’absence d’encouragement et de soutien, et elle est incapable de vivre de son art. Elle bâtit une petite maison à logements à Victoria pour avoir un revenu. Pendant les 15 déprimantes années qui suivent, elle administre cette maison et ne peint que très peu.

Percée de sa carrière

La période de travail mature et hautement original sur lequel repose la réputation de Emily Carr commence lorsqu’elle a 57 ans. Elle est déclenchée par la découverte de ses premières œuvres sur des sujets autochtones par un ethnologue qui étudie en Colombie-Britannique. Il attire l’attention des conservateurs du Musée des beaux-arts du Canada sur ses toiles ayant des thèmes autochtones. Les conservateurs sont à ce moment en train d’organiser une exposition sur l’art autochtone de la côte nord-ouest. Emily Carr est invitée à participer à l’exposition et elle assiste à l’inauguration en novembre 1927.

C’est là qu’elle fait la rencontre de Lawren Harris et des autres membres du Groupe des sept, qui est à l’époque le groupe artistique le plus en vue au Canada anglais. Les artistes l’accueillent dans leur groupe comme une artiste de même calibre. Leurs tableaux illustrant le paysage accidenté du nord de l’Ontario impressionnent Emily Carr profondément, tout comme leur intention déclarée de produire un art distinctement canadien. Elle sort rapidement de son sentiment d’isolement artistique, et elle se remet à peindre avec une ambition renouvelée.

Suite à ce succès, et mentorée par Lawren Harris, Emily Carr commence à peindre les toiles audacieuses, presque hallucinatoires, que les gens identifient comme étant les siennes : des tableaux de mâts totémiques situés au plus profonds de la forêt, ou des sites de villages autochtones abandonnés. Après un an ou deux, elle délaisse les sujets autochtones et se consacre aux thèmes de la nature.

À partir de 1928, elle commence à recevoir une reconnaissance critique et ses œuvres sont présentes dans des expositions majeures comme le Musée des beaux-arts du Canada et le American Federation of Artists à Washington DC. Il lui arrive parfois même de vendre un tableau, mais ces ventes occasionnelles ne sont jamais suffisantes pour améliorer sa situation financière. En pleine possession de son talent et avec une vision approfondie, elle continue à produire un grand nombre de tableaux. Ceux-ci expriment librement les vastes rythmes des forêts de l’ouest, ses plages parsemées de morceaux de bois flottants, et son ciel sans fin.

Dans les tableaux matures d’Emily Carr, comme Church at Yuquot Village (anciennement Indian Church, 1929), la nature est un furieux vortex de croissance organique. Elle est dépeinte par des formes courbes qui créent une impression de mouvement et de transformation constants. En comparaison, l’élément humain, les églises, les maisons et les totems, semblent petits et fragiles.


Carrière d’autrice

En 1937, Emily Carr subit sa première crise cardiaque. Ceci marque le début du déclin de sa santé et de son énergie qui est nécessaire à la peinture. Elle commence à consacrer plus de temps à l’écriture, une activité qu’elle a commencée des années plus tôt sous les encouragements de Ira Dilworth, une éducatrice et cadre à la CBC. Le premier livre d’Emily Carr, Klee Wyck, un recueil de nouvelles inspirées de ses expériences avec les peuples autochtones, est publié en 1941. Cette année marque également la fin de sa carrière de peintre.

Le saviez-vous?
Klee Wyck (« Laughing One » [celle qui rit]) est le nom que les Nuu-chah-nulth (Nootkas) ont donné à Emily Carr. Son livre du même nom est un mémoire évocateur. Il décrit en détails saisissants l’influence qu’ont eue la culture et les peuples autochtones de la côte nord-ouest sur elle et sur son art.


Klee Wyck remporte le prix littéraire du Gouverneur général d’un ouvrage de non-fiction en 1941. Le livre est suivi de la publication de quatre autres livres, dont deux sont publiés à titre posthume. Traduits dans plus de vingt langues, ils sont tous de nature autobiographique, et ils dépeignent une personne à l’esprit et l’individualité énormes. Rédigés dans un style simple et sans prétention, ils conquièrent rapidement pour Emily Carr un public populaire que ses toiles plus difficiles n’auraient jamais atteint. Mais finalement, c’est surtout en tant que peintre qu’Emily Carr est acclamée par la critique.

Expositions récentes

Au cours des dernières décennies, l’attrait pour les œuvres d’Emily Carr s’est étendu au-delà des frontières du Canada. Bien qu’elle demeure une icône nationale, elle commence à être reconnue en tant qu’artiste importante du 20e siècle. En 2001-2002, elle est incluse aux côtés de Georgia O’Keeffe et de Frida Kahlo dans une exposition itinérante acclamée par la critique intitulée Places of Their Own. Cette exposition est organisée par la Collection McMichael d’art canadien.

En 2012, sept de ses tableaux de la collection permanente de la Vancouver Art Gallery sont choisis pour être exposés à dOCUMENTA (13), la prestigieuse vitrine d’art internationale de Kassel, en Allemagne. En 2020, l’exposition Emily Carr : Fresh Seeing — French Modernism and the West Coast se tient au Royal BC Museum de Victoria. Elle présente 67 œuvres d’Emily Carr et de certains de ses contemporains de Paris, et elle est considérée comme étant la plus grande exposition jamais réalisée des tableaux parisiens d’Emily Carr. Également en 2020, la Galerie d’art Beaverbrook au Nouveau-Brunswick présente plus de 50 des toiles d’Emily Carr. En 2022, certains de ses paysages figurent parmi plus de 200 œuvres présentées dans le cadre de Uninvited : Canadian Women Artists in the Modern Moment. Cette exposition, qui a vu le jour à la galerie McMichael et a également été exposée à la Vancouver Art Gallery, met en lumière des œuvres d’artistes féminines notables des années 1920–1940, qui ont été largement exclues par l’establishment artistique de l’époque.

Legs

Plus d’un demi-siècle après sa mort, Emily Carr est devenue une icône canadienne. On ne peut la considérer comme une carriériste, mais elle ne pouvait pas tomber mieux, ce qui s’est avéré parfait à plusieurs égards. Sa longue préoccupation concernant la culture des peuples autochtones de la côte nord-ouest du Canada coïncide avec le début d’une vague de prise de conscience et d’auto-identification confiante des peuples autochtones, qui ont été considérées pendant un certain temps comme faisant partie d’une culture moribonde. En même temps, ceci coïncide également avec la reconnaissance de la part d’une société dominante que les problèmes des Premières Nations doivent être abordés.

Emily Carr a été sévèrement critiquée pour son appropriation de la culture autochtone. Son implication passionnée avec la nature ainsi que sa manière de la dépeindre coïncident avec une prise de conscience populaire grandissante des problèmes environnementaux et du sentiment de perte associé à la disparition de la « nature ».

Les deux principaux thèmes de l’œuvre d’Emily Carr, la culture autochtone et le monde de la nature, sont des portes latérales par lesquelles le grand public peut accéder à son art. D’autres facteurs contribuent également à sa renommée. Sa lutte contre les obstacles auxquels étaient confrontées les femmes de son époque pour devenir une artiste d’une originalité et d’une force époustouflantes fait d’elle une favorite du mouvement des femmes. De plus, la structure de sa carrière, avec son début retardé (pas avant l’âge de 57 ans), et sa réussite tardive, crée un récit personnel attirant. Toutefois, de telles considérations contournent le fait central que ce sont ses habiletés de peintre et sa vision picturale qui lui ont permis de donner forme à un mythe du nord-ouest qui a été soigneusement distillé dans son imagination. Même si nous n’avons jamais visité la côte nord-ouest, c’est comme si nous la connaissions, grâce à son œuvre.

Voir aussi Peinture : les débuts; Peinture : les mouvements modernes; Art autochtone de la côte nord-ouest; Peuples autochtones de la côte nord-ouest au Canada.

Les oeuvres sélectionnées de
Emily Carr

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