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Henry Morgentaler

Henekh (Henry) Morgentaler, C.M., défenseur du droit à l’avortement, médecin (né le 19 mars 1923 à Lodz en Pologne; décédé le 29 mai 2013 à Toronto en Ontario). Henry Morgentaler a consacré une grande partie de sa vie à défendre les droits reproductifs des femmes à une époque où celles-ci ne pouvaient pas se faire avorter légalement au Canada. Il a mis sur pied des cliniques d’avortement illégales et clandestines à travers le Canada, mettant au défi le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux d’abroger leurs lois sur l’avortement. À la suite de sa campagne (et du travail d’organisations comme l’Association canadienne pour le droit à l’avortement), la Cour suprême du Canada a invalidé la loi fédérale sur l’avortement en 1988 la jugeant inconstitutionnelle, et ainsi décriminalisant cette procédure. Henry Morgentaler a également été le premier à utiliser la méthode par aspiration au Canada, une opération plus sécuritaire pour les patientes que les méthodes utilisées précédemment.

Henry Morgentaler
Henry Morgentaler, médecin d’avortement et activiste, vers 1975.
(photo de Doug Griffin/Toronto Star via Getty Images)

Éducation et débuts de carrière

Fils d’activistes socialistes juifs tués pendant l’Holocauste, Henry Morgentaler survit aux camps de concentration d’Auschwitz et de Dachau. Il arrive au Canada en 1950 (voir Le Canada et l’Holocauste; Communauté juive au Canada). Il termine ses études en médecine en 1953 à l’Université de Montréal et commence à pratiquer la médecine générale à Montréal en 1955, dès qu’il obtient sa citoyenneté canadienne. En tant que président du groupe Humanist Fellowship of Montreal, il exhorte le Comité parlementaire sur la santé et le bien-être à abroger la loi contre l’avortement en 1967. Après que les médias rendent publique sa proposition, Henry Morgentaler est submergé d’appels de femmes désespérées qui veulent se faire avorter. Ceci contribue à sa décision en 1969 de consacrer sa clinique à la planification familiale. Bien qu’il offre des services de vasectomie, de pose de stérilets et qu’il fournisse des contraceptifs oraux à ses patientes, l’objectif principal de sa clinique demeure l’avortement. (Voir aussi Régulation des naissances au Canada; Histoire de la régulation des naissances au Canada.)

Premières cliniques et poursuites judiciaires

Lorsqu’Henry Morgentaler se présente devant le Comité parlementaire sur la santé et le bien-être en 1967, il est illégal de pratiquer l’avortement. La même année, Pierre Elliott Trudeau, alors ministre de la Justice, introduit un projet de loi omnibus visant à réformer le Code criminel. En plus de décriminaliser l’homosexualité, le projet de loi décriminalise également la distribution de contraceptifs et d’informations sur la contraception; ces changements sont approuvés en 1969 lorsque Pierre Elliott Trudeau est premier ministre. (Voir aussi Régulation des naissances au Canada; Histoire de la régulation des naissances au Canada.) Sur les conseils du corps médical, l’article 251 du Code criminel révisé permet également les avortements, mais uniquement dans des circonstances restreintes. Les avortements sont légaux seulement s’ils sont pratiqués dans un hôpital et ils doivent être approuvés par un comité d’avortement thérapeutique hospitalier. De plus, les avortements ne peuvent être administrés que si la grossesse présente un danger pour la vie ou la santé de la femme. Cependant, les hôpitaux ne sont pas obligés d’offrir le service, et, par conséquent, l’accès à l’avortement demeure limité.

En pratiquant des avortements dans sa clinique, Henry Morgentaler enfreint la loi. Afin d’attirer l’attention sur la sécurité et l’efficacité des avortements en clinique, Henry Morgentaler rend public, en 1973, le fait qu’il a déjà réussi plus de 5000 avortements. Bien qu’il soit arrêté et accusé, un jury le trouve néanmoins non coupable d’avoir enfreint l’article 251 du Code criminel. Cependant, en avril 1974, la Cour d’appel du Québec, dans un jugement sans précédent, révoque la décision du jury et condamne Henry Morgentaler à l’emprisonnement. Bien que ce jugement soit soutenu par la Cour suprême, un deuxième verdict d’acquittement par un jury mène le Parlement à adopter un amendement au Code criminel, qui retire aux juges le pouvoir d’annuler les acquittements et d’ordonner des peines de prison. Après un troisième procès avec jury qui mène à un autre acquittement, toutes les accusations portées contre Henry Morgentaler sont abandonnées.

Manifestation après l'acquittement de Henry Morgentaler en 1975

En 1983, Henry Morgentaler ouvre des cliniques d’avortement (toujours illégales) à Winnipeg et à Toronto. Les policiers effectuent des descentes dans les deux cliniques peu après leur ouverture. En novembre 1984, Henry Morgentaler et deux associés, Robert Scott et Leslie Smoling, sont acquittés pour avoir conspiré à provoquer une fausse couche (autrement dit, un avortement) à leur clinique de Toronto. Le gouvernement de l’Ontario porte le jugement en appel et la Cour d’appel de l’Ontario ordonne la tenue d’un nouveau procès.

R. c. Morgentaler

Henry Morgentaler et ses collègues portent le jugement en appel devant la Cour suprême du Canada, qui a invalidé la loi sur l’avortement en 1988 au motif qu’elle était contraire aux droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. Plus précisément, la Cour avait conclu que la loi sur l’avortement (article 251 du Code criminel) violait l’article 7 de la Charte. Par conséquent, le Canada se retrouve sans loi concernant l’avortement; la procédure n’est donc pas régie par la loi fédérale, mais par les réglementations provinciales et médicales. Cela signifie que même si l’avortement est décriminalisé, il demeure toujours difficile d’accès pour de nombreuses femmes partout au pays. Par exemple, les avortements ne commencent à être pratiqués à l’Île-du-Prince-Édouard qu’en 2017. Avant 2017, les femmes souhaitant se faire avorter doivent se rendre de l’Île-du-Prince-Édouard jusqu’à la Nouvelle-Écosse ou au Nouveau-Brunswick pour l’intervention. Les services d’avortement continuent d’être particulièrement difficiles d’accès dans les régions rurales et le Grand Nord.

Défense des droits et enjeux légaux

Henry Morgentaler continue sa campagne en faveur des droits reproductifs des femmes, voyageant à travers le Canada pour donner des conférences et organiser des tournées de financement. Il ouvre également des cliniques partout au pays pour offrir des services d’avortement et tester les législations fédérales et provinciales. Henry Morgentaler poursuit certains gouvernements provinciaux en justice pour la fermeture de ses cliniques dans ces provinces, et pour le refus de certaines provinces de financer les avortements effectués en clinique privée. En 2003, par exemple, il intente un procès contre le gouvernement du Nouveau-Brunswick pour son refus de financer les avortements en clinique (dont la sienne). Les actions d’Henry Morgentaler attirent l’attention sur les procédures judiciaires ainsi que sur les questions plus vastes concernant l’avortement.

Retraite et décès

En 2006, Henry Morgentaler prend sa retraite de la pratique active, mais il continue de superviser les opérations dans ses cliniques restantes. Il meurt à Toronto le 29 mai 2013 d’une insuffisance cardiaque. À l’époque de son décès, des groupes de conservateurs sociaux et d’activistes pro-vie exercent une pression considérable pour rouvrir le débat sur l’avortement au Canada.

Réponse du public

La réaction du public à la nouvelle du décès d’Henry Morgentaler reflète la controverse qui entoure l’avortement en général. Bien que certains le considèrent comme un héros, d’autres le condamnent comme un meurtrier. Par le passé, il reçoit des menaces de mort et sa clinique de Toronto est brûlée par une bombe incendiaire en 1992. En 2005, l’Université Western Ontario décerne à Henry Morgentaler un doctorat honorifique, qui suscite de nombreuses protestations, incluant une pétition de 12 000 signatures demandant à l’Université de revenir sur sa décision. Lorsqu’Henry Morgentaler devient membre de l’ Ordre du Canada en 2008 (après plusieurs nominations infructueuses), d’autres membres décident de rendre leur médaille, notamment le Cardinal de Montréal Jean-Claude Turcotte, qui a été nommé Officier de l’Ordre du Canada en 1996.

Distinctions et prix

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Lecture supplémentaire

  • Catherine Dunphy, Morgentaler: A Difficult Hero (2003).

  • Hélène Buzzetti, « Henry Morgentaler 1923-2013 : Un féministe s’éteint », Le Devoir (30 mai 2013).

  • La Presse Canadienne, « Henry Morgentaler s’éteint », (29 mai 2013).

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