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Histoire des mathématiques au Canada

Chaque université canadienne possède un département de mathématiques qui offre un ou plusieurs programmes d’études dans ce domaine. Il en va sans doute de même dans presque toutes les universités de la planète, ce qui témoigne de l’importance des mathématiques dans la société contemporaine (voir Mathématiques et société). Les mathématiques sont devenues une discipline scientifique de premier plan après la Renaissance, pendant la période que les historiens appellent la révolution scientifique (1450-1700), lorsque de brillants astronomes-mathématiciens tels que Copernic et Newton ont découvert la vraie nature du système solaire, avec le soleil au centre et les planètes qui tournent autour de lui. (Voir aussi Astronomie.) Le rôle qu’ont joué les mathématiques dans ces importantes découvertes a donné à cette discipline la stature qu’elle conserve encore aujourd’hui.

Les débuts de l’histoire du Québec

L’évolution des mathématiques en Nouvelle-France suit de près l’évolution de cette stature nouvellement acquise. Bien qu’il n’y ait aucune nouvelle découverte, la qualité de l’enseignement est pratiquement égale à celle que l’on trouve dans les collèges de France. Les Jésuites fondent le Collège de Québec en 1635 et commencent à y enseigner les mathématiques intermédiaires en 1651. (Voir aussi Collège des Jésuites.) Jusqu’en 1760, les élèves apprennent l’arithmétique, les rudiments des équations du second degré ou quadratiques, la trigonométrie, la géométrie et un peu de calcul différentiel et intégral, le tout durant l’une des deux dernières années du programme d’études de huit ans. Le premier professeur titulaire est Martin Boutet de Saint-Martin. En 1678, Louis XIV le nomme à la nouvelle chaire royale de mathématiques et d’hydrographie à Québec, le roi voulant que les pilotes du fleuve Saint-Laurent, les arpenteurs et les cartographes soient formés dans la colonie. (Voir aussi Cartographie au Canada : 1600–1763.) La chaire n’est abolie qu’à la fin du régime français.

Le titulaire le plus célèbre de cette chaire est Louis Jolliet, le découvreur du Mississippi. Après son décès, la chaire passe officiellement aux Jésuites.

Après la conquête de la Nouvelle-France (de 1759 à 1760), le Collège de Québec doit fermer ses portes, mais le Séminaire de Québec prend la relève et conserve la même structure de cours classique. Encouragé par l’abbé Jérôme Demers, l’enseignement des sciences et des mathématiques prospère, plus particulièrement vers 1840. Cependant, il tombe bientôt en disgrâce pour des raisons sociologiques et religieuses. Même à l’École polytechnique de Montréal, une école d’ingénierie fondée en 1873, seules les mathématiques intermédiaires sont enseignées jusqu’en 1910. Les francophones du Québec ne reconnaissent la valeur des sciences qu’en 1920. Cette année-là, l’Université Laval à Québec fonde son École supérieure de chimie (qui devient sa faculté de sciences en 1937) et l’Université de Montréal établit sa faculté de science.

Débuts de l’histoire du Canada anglais

Avant 1855, au Canada anglais, il ne se passe rien d’important dans le domaine des mathématiques. Des quelques universités au Canada qui sont anglophones, seule l’Université de Toronto offre des programmes avec spécialisations, l’une étant les mathématiques et la philosophie naturelle (autrement dit les sciences physiques). (Voir aussi Philosophie.) Cependant, chaque université a un professeur de mathématiques et de philosophie naturelle. Formés en Grande-Bretagne, ces quelques professeurs apportent avec eux l’idée que la science et la technologie sont au cœur de de la révolution industrielle (voir Industrialisation au Canada).

Une communauté scientifique canadienne commence donc à prendre forme et le besoin de communication se fait sentir presque immédiatement parmi ses membres. En 1856, le Canadian Journal of Science, Littérature and History, publié sous l’égide du Royal Canadian Institute, accepte des articles sur les mathématiques et continue à le faire jusqu’en 1912. Le professeur J. Bradford Cherriman (Université de Toronto) est chargé de la section des mathématiques et de la philosophie naturelle.

Dans les années 1870, l’idée d’études universitaires plus spécialisées émerge. En 1877, l’Université de Toronto lance ses programmes de mathématiques et de physique, qui deviennent des modèles pour le reste du Canada durant la première moitié du 20e siècle. D’autres universités, par exemple l’Université Queen’s, l’Université McGill et l’Université Dalhousie, s’engagent graduellement dans la même direction. À cette époque, les départements de science sont subdivisés, et en 1890, presque toutes les universités (à l’exception de l’Université McGill) ont déjà au moins un professeur de mathématiques (et non plus « de mathématiques et de philosophie naturelle »). Au même moment, des bourses sont offertes pour des études en mathématiques; deux à l’Université de Toronto et deux à l’Université Dalhousie.

En plus de J. Bradford Cherriman, trois mathématiciens méritent une mention particulière pour l’impulsion qu’ils donnent à l’établissement et au développement de programmes de mathématiques dans leurs universités respectives : James Loudon de l’Université de Toronto, Alexander Johnson de l’Université McGill et Nathan Fellowes de l’Université Queen’s. En 1890, ils sont tous membres de la Société royale du Canada. Fondée en 1882, cette société est initialement divisée en quatre sections, dont une de mathématique et de philosophie naturelle. La société réserve une place aux publications sur les mathématiques de ses membres dans sa revue Proceedings and Transactions, offrant ainsi un nouveau moyen de communication à la communauté de mathématiques. Le American Journal of Mathematics est fondé en 1878 à l’Université Johns Hopkins de Baltimore, suivi en 1886 par la American Mathematical Society qui, depuis 1891, publie son Bulletin et, depuis 1900, sa revue Transactions. Des mathématiciens canadiens contribuent régulièrement à ces revues.

Début du 20e siècle

Le nombre de départements de mathématiques augmente durant les deux premières décennies du 20e siècle en raison de l’importance croissante des mathématiques dans les domaines professionnels (par exemple l’ingénierie). L’Université de Toronto est la première université d’Amérique du Nord à se lancer dans le domaine des sciences actuarielles (c’est-à-dire dans le calcul des assurances, des primes d’assurance et des dividendes). L’Institut canadien des actuaires, une association professionnelle, est fondé en 1907.

En 1915, l’Université de Toronto attribue le premier doctorat canadien en mathématiques à Samuel Beatty, qui devient éventuellement le chef de son département de mathématiques. L’Université de Toronto fait de plus en plus figure de chef de file au Canada, et ce, jusqu’à la fin des années 1950. L’une des figures les plus remarquables du département est sans aucun doute John Charles Fields, célèbre pour ses travaux sur les fonctions algébriques, et l’un de ceux qui réussissent à remettre sur pied le International Congress of Mathematics, dont les réunions ont été suspendues après la Première Guerre mondiale. La première réunion d’après-guerre a lieu à Toronto en 1924. En 1936, l’algébriste et géomètre Harold Scott MacDonald Coxeter se joint au département.

Le saviez-vous?
John Charles Fields, en réaction à l’absence de prix Nobel dans le domaine des mathématiques, a commencé à travailler à la création d’un prix équivalent. (Voir aussi Les prix Nobel et le Canada.) La médaille Fields, nommée en son honneur, est maintenant universellement reconnue comme le plus grand honneur conféré à un mathématicien.


Médaille Fields

Le haut calibre de l’enseignement alors dispensé à Toronto se constate durant les premières années de la American William Lowell Putnam Mathematics Competition. Seuls les bacheliers peuvent participer à ce concours, et chaque université y envoie une équipe de trois étudiants. La première année, en 1938, l’équipe de l’Université de Toronto remporte la première place devant toutes les universités nord-américaines. Le règlement du concours empêche l’Université de Toronto d’inscrire à nouveau une équipe l’année suivante, mais en 1940, elle gagne encore une fois, ainsi qu’en 1942 et en 1946. Au concours de 1986, les équipes de deux universités canadiennes (l’Université de la Colombie-Britannique, et l’Université de Waterloo) se classent parmi les dix premières, les autres étant l’Université de Harvard, l’Université Washington de St Louis, l’Université de Californie à Berkeley, l’Université Yale, le Massachusetts Institute of Technology (MIT), le California Institute of Technology, l’Université Princeton et l’Université Rice. Depuis, le Canada continue à faire bonne figure dans ce concours, qui est dominé par les Universités Harvard et Duke depuis 1985. En 1998, l’Université de Waterloo se classe cinquième avec deux étudiants parmi les 15 premiers; l’Université Simon Fraser a un étudiant parmi les 15 premiers; l’Université Dalhousie en a un parmi les 26 premiers; et l’Université de Toronto a une équipe de trois membres qui reçoit une mention honorable.

La fin de la Deuxième Guerre mondiale marque un tournant pour les mathématiques au Canada. Durant la guerre, les mathématiciens canadiens prennent conscience de leur isolement, même au sein du Canada. Pour se rencontrer, ils doivent participer aux rencontres de la American Mathematical Society. Ils organisent donc le premier congrès de mathématiques canadien à Montréal, en juin 1945. Cette rencontre très réussie mène à la création du Canadian Mathematical Congress qui change de nom pour devenir la Société mathématique du Canada en 1978.

En 1949, cette société commence à publier le Canadian Journal of Mathematics, une publication reconnue à l’échelle internationale, à laquelle s’ajoutent le Canadian Mathematical Bulletin en 1958 et le Canadian Mathematical Congress Notes en 1969. En 1950, toujours sous l’égide du congrès, le professeur R.L. Jeffery de l’Université Queen’s organise un Summer Research Institute à Kingston qui regroupe dix mathématiciens pour diriger conjointement la recherche. Ce type de rencontre s’avère tellement fructueux que quelques universités organisent annuellement des programmes de recherche durant l’été.

Fin du 20e siècle

Dans les années 1950, les départements de mathématiques se développent rapidement. La ville de Toronto perd sa position de chef de file, non pas parce que la qualité de son enseignement décline, mais parce que les départements des autres universités canadiennes se sont améliorés, un exemple où les élèves dépassent leurs maitres.

Les études de troisième cycle apparaissent partout. En raison du développement des statistiques, de la recherche opérationnelle et de l’informatique, l’industrie se montre de plus en plus intéressée envers les diplômés en mathématiques. Cependant, les prévisions d’importantes augmentations de la population étudiante dans les années 1960 indiquent qu’il y a une forte demande de professeurs d’université. Avec le lancement du premier Spoutnik par l’URSS en 1957, les mathématiques se retrouvent à nouveau sous les feux de la rampe et le mouvement des mathématiques modernes commence. Cette même année, le Conseil national de recherches du Canada (CNR) commence à accorder des subventions à des chercheurs en mathématiques et deux nouvelles sociétés sont fondées : la Canadian Information Processing Society et la Société canadienne de recherche opérationnelle.

Le développement prodigieux de l’informatique et les intérêts diversifiés des mathématiciens et des informaticiens entrainent éventuellement la subdivision du département de mathématiques de presque toutes les universités en département de mathématiques et département d’informatique, l’exemple le plus frappant étant la création, en 1966, de la faculté de mathématiques à l’Université de Waterloo avec ses cinq départements : mathématiques pures, mathématiques appliquées, combinatoire et optimisation, analyse appliquée et informatique, et enfin statistique.

Autour de 1945, les universités francophones du Québec se joignent au courant principal canadien après avoir vaincu les difficultés engendrées par le manque prolongé de tradition scientifique dans cette province. En 1970, le département de mathématiques de l’Université de Montréal acquiert une réputation internationale sous la direction de Maurice L’Abbé et fonde un centre de recherches mathématiques, qui jouit d’une excellente réputation à l’échelle internationale.

Le début des années 1970 est un réel âge d’or pour les mathématiciens au Canada. En 1961, les universités canadiennes décernent 11 doctorats en mathématiques; ce nombre passe à 94 en 1973. En 1960-1961, le CNR accorde des subventions de recherche en mathématiques d’un montant de 87 500 $. Cette somme passe à 2 461 500 millions de dollars en 1972-1973. En 1986-1987, le montant est de 8 419 000 millions de dollars.

L’Association canadienne de sciences statistiques, qui devient plus tard la Société statistique du Canada, est fondée en 1971; elle publie le Canadian Journal of Statistics. La Société canadienne d’histoire et philosophie des sciences commence ses activités en 1973. Une autre association, la Société canadienne de mathématiques appliquées (SCMA) est créée en 1980. Elle publie la revue Applied Mathematics Notes et commandite le Canadian Applied Mathematics Quarterly fondé en 1992.

En 1991, un groupe d’universités ontariennes parraine un deuxième centre de recherches, le Fields Institute for Research in Mathematical Sciences. Initialement établi à Waterloo, il est maintenant situé sur le campus de l’Université de Toronto.

Aujourd’hui, le nombre de membres du milieu canadien des mathématiques a augmenté. La Société mathématique du Canada, qui célèbre son 50e anniversaire en 1995, compte 1209 membres individuels et 39 membres institutionnels en 1994. Selon une enquête fondée sur les articles publiés dans la revue internationale Mathematical Reviews, l’impact du Canada sur les mathématiques internationales est aujourd’hui beaucoup plus important que sa population n’aurait pu le laisser prévoir, avec 73 articles de recherches en mathématiques par an et par million d’habitants en 1990. Les États-Unis et les Pays-Bas suivent avec 47 articles de recherches en mathématiques par an et par million d’habitants.

En 1961, on compte environ 250 professeurs de mathématiques (de rang adjoint ou supérieur) dans les universités canadiennes; en 1973, il y en a environ 1300.

Communauté mathématique canadienne

La communauté mathématique canadienne, comme les autres communautés scientifiques, est affectée par le départ des diplômés prometteurs pour les États-Unis, un fait qui témoigne de l’excellence de la formation dispensée dans les départements canadiens. Parmi les mathématiciens de réputation internationale formés initialement au Canada, citons Cathleen Morawetz (Université de Toronto); Robert Langlands (Université de la Colombie-Britannique); Israel Herstein (Université du Manitoba); Irving Kaplansky (Université de Toronto); Louis Nirenberg (Université McGill); G.F. Duff (Université de Toronto); Leo Moser (Université du Manitoba); W.O. Moser (Université du Manitoba); Raoul Bott (Université McGill).

La communauté mathématique canadienne est confrontée à un certain nombre de défis. Des liens semblent exister entre les départements universitaires, l’industrie et le gouvernement dans des domaines comme les statistiques et l’informatique, où l’avenir semble prometteur. Toutefois, d’autres domaines des mathématiques semblent plus sensibles aux conditions économiques difficiles.


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Lecture supplémentaire

  • Canadian Mathematical Society/Société mathématique du Canada, Canadian Mathematical Society/Société mathématique du Canada 1945-1995, Vol 1: Les mathématiques au Canada (1995).

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