S’ils ont déjà entendu parler d’Irene Parlby, les Canadiens et les Canadiennes la connaissent certainement comme l’une des « Cinq femmes célèbres », ce groupe de cinq femmes de l’Alberta ayant été des plaignantes dans une célèbre affaire judiciaire ayant abouti à la décision que les femmes étaient effectivement « des personnes » aux termes de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (aujourd’hui la Loi constitutionnelle de 1867) et pouvaient donc être nommées au Sénat. Il s’agissait d’une affaire et d’une décision historiques, s’étant inscrite dans le contexte de la longue lutte des femmes pour obtenir une égalité politique et juridique au Canada. Toutefois, l’importance historique d’Irene Parlby va bien au‑delà de l’affaire « personne ».
Le premier caucus législatif de United Farmers of Alberta à l'été 1921. C'était la réunion au cours de laquelle Herbert Greenfield a été choisi comme premier ministre provincial. À droite, Richard Reid, qui deviendra lui-même le premier ministre provincial. À gauche, au chapeau blanc, se trouve Irene Parlby, la première femme ministre de l'Alberta.
Née en Angleterre en 1868, Irene Marryat immigre au Canada en 1896, après avoir accepté l’invitation d’une vieille amie de la famille, qui avait immigré au Canada, à lui rendre visite dans une ferme située à proximité du village contemporain d’Alix, en Alberta. Peu de temps après, elle rencontre et épouse Walter Parlby.
Tous deux s’intéressent fortement à la politique. En 1909, à la fondation des Fermiers unis de l’Alberta (FUA), Walter Parlby devient le premier président de la section d’Alix. Au départ, les FUA ne sont pas tant un parti politique qu’un mouvement économique et social, mettant l’accent sur « l’équité » et promouvant le principe économique de la coopération et de la création de sociétés coopératives (voir également Mouvement coopératif). Globalement, le mouvement espère « promouvoir les intérêts des agriculteurs et des éleveurs, dans toutes les branches de l’agriculture ».
Irene Parlby s’implique, elle aussi, dans le mouvement, contribuant à mettre sur pied, en 1913, un groupe local de femmes, l’Alix Country Women’s Club qui, bien que s’investissant, au départ, dans un certain nombre de préoccupations locales, comme la création d’une bibliothèque, adopte également des objectifs plus larges. Les représentantes du club jouent un rôle majeur dans la création des United Farm Women of Alberta (UFWA). En 1916, Irene Parlby est nommée présidente de cette association provinciale.
La Première Guerre mondiale, ainsi que les rééquilibrages et les évolutions de l’après‑guerre, mettent à rude épreuve les partis et les valeurs politiques traditionnels. Les FUA et la UFWA, ainsi que d’autres groupes, notamment ouvriers, sont, à l’époque, fortement influencés par les idées du théoricien de la politique Henry Wise Wood. Ce dernier propose une approche radicalement nouvelle de la représentation dans les assemblées législatives. Il suggère que les gouvernements soient organisés en fonction de groupes économiques, plutôt que de partis politiques. Il estime que les élus devraient représenter des groupes de ce type plutôt que des partis « à l’ancienne » (voir Système de partis au Canada). Si l’on adopte ce point de vue, les agriculteurs ont besoin de représentants issus du monde agricole. Après 1919, les FUA lancent la construction d’une organisation politique, avec pour objectif de présenter des candidats lors d’élections provinciales à venir.
Le conseil d'administration de United Farmers of Alberta en 1919. Irene Parlby est assise au premier rang, troisième à partir de la droite.
Irene Parlby est choisie pour faire campagne comme candidate des FUA dans la circonscription de Lacombe. Bien que ses adversaires aient largement axé leur campagne sur son sexe et qu’elle‑même ne prise pas beaucoup les activités visant à obtenir des votes et des soutiens, elle est facilement élue, le 18 juillet 1921.
En tant que principale porte‑parole des FUA et de l’UWFA, on spécule énormément sur le poste qui pourrait lui être offert au sein du Cabinet, si les FUA obtenaient la majorité à la législature. Il est cependant révélateur qu’on ne lui a jamais confié la gestion d’un ministère… En 1921, le concept d’égalité des femmes souffre encore d’importantes limites. Elle a toutefois été nommée ministre sans portefeuille, ce qui fait d’elle la deuxième ministre, au Canada, après Mary Ellen Smith en Colombie‑Britannique.
Lors de ses premières années, le gouvernement des FUA connaît de nombreuses difficultés. Henry Wise Wood choisit de ne pas se présenter aux élections et de nombreux membres des FUA estiment qu’ils peuvent et doivent s’opposer au gouvernement, si un texte législatif proposé ne convient pas à leurs électeurs. Finalement, le premier ministre Herbert Greenfield est obligé de clairement expliquer aux membres des FUA que s’ils ne soutiennent pas le gouvernement, ce dernier pourrait tomber. En 1923, une crise financière contraint le gouvernement à réduire les dépenses et à augmenter les impôts pour équilibrer les comptes publics. De nombreux historiens suggèrent que cette décision marque une transition, les FUA cessant d’être un mouvement politique pour devenir un parti politique. En 1923, la plupart des idées d’Henry Wise Wood sur le gouvernement s’appuyant sur des groupes plutôt que sur des partis ont dû être abandonnées. Les FUA dirigent l’Alberta pendant les 12 années suivantes, en tant que gouvernement populiste, mais budgétairement conservateur.
Bien qu’elle ne gère pas de ministère, Irene Parlby joue un rôle important au sein du gouvernement des FUA. Elle intervient souvent, en tant que porte‑parole du gouvernement, sur des questions liées à la santé et à l’éducation, tout en s’intéressant tout particulièrement aux problématiques relatives aux femmes et aux familles. Cependant, une grande partie de son activité est centrée sur des enjeux nationaux et internationaux, notamment l’affaire « personne » et son travail en tant que déléguée à la Société des Nations. Au début des années 1930, elle est manifestement de moins en moins séduite par les manœuvres politiques partisanes de l’Assemblée législative albertaine. En 1931, elle se présente avec succès aux élections générales, dans un contexte d’essoufflement du gouvernement des FUA. En 1935, elle choisit de ne pas se présenter lors d’élections qui voient le gouvernement des FUA être balayé par un nouveau mouvement politique, le Crédit social.
Après 1935, Irene Parlby continue de s’exprimer sur toute une série d’enjeux, en dépit du peu d’influence politique directe qu’elle a sur une Alberta dominée par le Crédit social. Toutefois, à son décès, en 1965, à l’âge de 97 ans, la Commission des lieux et monuments historiques du Canada s’empresse de la reconnaître comme une personne d’importance historique nationale, essentiellement pour son rôle dans l’affaire « personne », mais également pour son travail de législatrice et ses activités éminentes, dans les domaines de « de l’éducation, de la protection sociale et de la réforme législative ».