L’achat Johnson‑Butler de 1787‑1788 (également connu sous le nom de « Traité
du coup de fusil », en référence à la distance à laquelle une personne
pouvait entendre un coup de feu depuis le bord du lac) est l’un des premiers
accords territoriaux conclus entre les représentants de la Couronne et les peuples autochtones du Haut‑Canada, qui deviendra ultérieurement
l’Ontario. Ce traité débouche sur la
possibilité de colonisation d’une vaste étendue au nord du lac Ontario. Ces terres seront
ultérieurement intégrées aux traités Williams de 1923 (voir aussi Cessions de terres au Haut‑Canada et Traités autochtones au Canada).
Contexte historique
Les premières colonies britanniques
au Haut‑Canada
s’établissent dans la région
de Niagara
et le long de la rive nord du
Saint‑Laurent
. Les terres de Niagara sont
négociées par voie de traités
, en 1764 et 1781,
tandis que celles situées le long de la rive nord du Saint‑Laurent sont cédées,
en vertu de l’achat Crawford
de 1783. Ces deux
régions sont séparées par un territoire autochtone
,
sauf pour les terres autour de York (aujourd’hui Toronto
) acquises auprès des Mississaugas, en 1787. L’achat de Toronto original
a été revu en 1805, dans le cadre du traité 13, et a fait l’objet d’un
règlement définitif en 2010.
Lorsque le gouverneur lord Dorchester
remplace sir Frederick Haldimand
en 1786,
il sait que le Haut‑Canada sera bientôt une province distincte du Québec
. Il lui incombe alors de choisir la
nouvelle capitale et, en dépit de sa préférence pour Kingston
, son choix se porte finalement sur York. Dans ce cadre, il a pour
objectif d’établir la jonction entre les terres visées par l’achat Crawford et
celles de York, permettant ainsi la création d’une continuité territoriale,
entre Brockville
et York, ouverte à la
colonisation.
En outre, les Britanniques souhaitent
disposer d’une voie navigable protégée reliant le lac Ontario au lac Huron
, loin de toute interférence
américaine potentielle. Deux des itinéraires possibles pour atteindre cet
objectif partent de la rive nord du lac Ontario
. Le premier suit la rivière
Trent, de la baie de Quinte au lac Rice, puis au lac Simcoe
, se dirigeant ensuite vers la
baie Georgienne
, le long de la rivière Severn
. Le deuxième part de York, le
long des rivières Humber
et Holland, jusqu’au lac Simcoe, où
il rejoint le premier, jusqu’à la baie Georgienne.
Négociations
En 1787‑1788, le surintendant
des affaires indiennes, sir John Johnson
, et son subordonné, le
colonel John Butler, négocient des cessions de terres supplémentaires avec des
représentants autochtones. En septembre 1787, John Johnson rencontre les chefs
mississaugas, au fond de la baie de
Quinte, près de la ville contemporaine de Trenton
. Quelque 626 personnes
participent à cette rencontre, tandis que 391 autres se réunissent à
York. Finalement, le surintendant remet à ces deux groupes des munitions, des
mousquets et du tabac, pour un montant de 2 000 livres. En dépit
d’interprétations ultérieures, estimant que ce paiement aurait été effectué en
contrepartie de terres, il récompense, en fait, la loyauté des peuples
autochtones envers la Grande‑Bretagne et leur engagement durant la Révolution américaine
.
En 1788, lord Dorchester, John
Johnson et John Butler acquièrent effectivement ces terres, contre des
marchandises, lors d’une visite à York. Les deux premiers ne restent sur place
que jusqu’aux premières distributions de marchandises aux Mississaugas, tandis
que le dernier demeure présent pour remettre leur paiement aux autochtones
arrivés sur les lieux tardivement, conduisant également des réunions
supplémentaires avec les Mississaugas, pour confirmer l’achat et en déterminer
la portée exacte.
Suites
L’achat Johnson‑Butler porte sur les
terres situées le long de la rive nord du lac Ontario, entre la baie de Quinte
et la rivière Etobicoke, s’étendant à l’intérieur des terres jusqu’au lac Rice.
Ces cessions de terres, mal documentées, vont nécessiter 135 ans supplémentaires
pour être réglées, avec la signature des traités Williams
. En 1787, les
Britanniques rédigent un acte en blanc, toutefois, des détails importants,
comme les nations autochtones concernées, les conditions de paiement et les
limites du territoire visé, n’ont jamais été insérés dans ce document.
Controverse
Lorsque le Haut‑Canada devient une
province distincte, en 1791, John Graves Simcoe
en est le premier lieutenant‑gouverneur
. Il
fait part au gouverneur Dorchester de la négligence et de l’insouciance avec
lesquelles ces ententes ont été conclues et rédigées. En janvier 1794, le
gouverneur statue que, même si les limites du territoire visé ne sont pas
correctement documentées, le transfert est valide et qu’il est « préférable
de ne pas insister sur cette question ou de faire part d’un doute quelconque »
auprès des Mississaugas. Cela amène, cependant, les nouveaux colons à ressentir
une certaine insécurité quant à leurs droits de propriété. C’est à cette
situation que Graves Simcoe souhaite trouver une solution.
En 1795, il rencontre les Chippewas
du lac Simcoe, lors d’un
conseil à York, en vue de discuter de l’achat d’une petite parcelle de terrain
au port de Penetanguishene
, où il souhaite construire un
fort, profitant de cette occasion pour discuter des autres acquisitions de
terres du gouvernement auprès des Autochtones. (Voir aussi Traité de Penetanguishene.) À l’issue de cette réunion, il
informe le gouverneur Dorchester que les Chippewas considéreraient les
marchandises reçues pour le terrain de Penetanguishene comme un paiement
suffisant pour couvrir également « ce qui est censé avoir été acheté à
d’autres occasions ». Malheureusement, la rédaction des documents relatifs
à l’achat de Penetanguishene, ne mentionne pas ce point, peut‑être parce que l’accord
n’a été finalement conclu qu’en 1798, après le départ de Graves Simcoe et
de lord Dorchester.
Le successeur de Graves Simcoe, le
président du Conseil exécutif Peter Russell, tente, avec John Johnson, de
clarifier les conditions des achats de terrains de 1787‑1788 et de mettre
ainsi fin aux incertitudes entourant cette entente. En réponse, John Johnson
suggère qu’il faudrait simplement inviter les peuples autochtones concernés à
signer un nouvel accord. Cette solution semble toutefois ne pas convenir au
président du Conseil, qui propose plutôt d’acheter des terres adjacentes à la
zone en question. Cependant, le gouverneur Robert Prescott rejette cette idée,
car, selon lui, elle pourrait s’apparenter à une manœuvre trompeuse.
Cette décision déçoit Peter Russell
qui discute toutefois, à nouveau, de ce sujet, avec les Chippewas, lorsqu’ils
se rendent à York, en mai 1798, pour mener à bien l’achat de
Penetanguishene. Sous le prétexte de ne pas vouloir offenser les Autochtones
par une intrusion non voulue sur leurs terres, il suggère de confirmer le bras
ouest de la rivière Holland comme la frontière occidentale de l’achat Johnson‑Butler.
C’est le chef Yellowhead qui s’exprime au nom des Chippewas, faisant remarquer
que si les Blancs ont oublié la transaction qu’ils ont conclue, les Chippewas,
eux, s’en souviennent parfaitement. Il poursuit, en déclarant : « Les
terres que vous venez juste de nous montrer vous appartiennent. Elles ne nous
concernent en rien. Nous vous les avons vendues […] et nous avons été bien
payés pour cela. Vous pouvez donc avoir l’esprit tranquille à ce sujet. »
Peter Russell informe Robert Prescott
de cette réaction, par courrier, dès le lendemain. Il explique que, les
Chippewas étant convaincus d’avoir cédé toutes les terres visées par l’achat
Johnson‑Butler, il n’est pas nécessaire d’aller plus loin à ce sujet.
Traités Williams
Finalement, le problème n’a pas été
résolu. Deux autres ententes importantes de cession de terres autochtones –
l’achat de Toronto, en 1805, et les traités Williams
, en 1923 – sont conclues
en vue de régler cette question des terres non cédées. Cependant, cela ne
suffit pas, et les montants restant à payer continuent de faire l’objet de
différends entre les Autochtones et le gouvernement. En 2018, les
Premières Nations des traités Williams et les gouvernements de l’Ontario et du
Canada parviennent à un accord définitif, réglant les litiges concernant les
cessions de terres et les droits de récolte connexes.
Commémoration
En 1929, l’achat Johnson‑Butler
a été commémoré par une plaque de la Commission des lieux et monuments
historiques du Canada sur une route de portage, à l’extrémité occidentale de la
baie de Quinte, où l’achat a été négocié pour la première fois, à l’intersection
des routes 33 et 64.