La grève qui a commencé le 14 février 1949 à Asbestos, au Québec, figure parmi les événements dont les répercussions s’étendent bien au-delà des faits immédiats. Comme Pierre Trudeau l’écrira plus tard, « le drame d’Asbestos annonçait violemment l’avènement de temps nouveaux. »
Contexte
Au moment de la grève, le premier ministreMaurice Duplessis et son parti de l’Union Nationale exercent un contrôle absolu sur la province de Québec. Celui qu’on surnomme « le Cheuf » se perçoit comme un patriarche et considère les citoyens comme ses enfants. Ceux qui le soutiennent bénéficient de ses faveurs ; ceux qui s’opposent à lui sont ignorés ou punis. Même quand il dépasse les bornes, il a un talent particulier pour se racheter par un grand discours ou un grand geste. Surtout, il est passé maître dans l’art typiquement canadien de gagner le soutien de sa province en vilipendant le gouvernement fédéral à Ottawa.
S’il y a une chose que Duplessis ne peut supporter, c’est bien le « changement ». Or, sa toute-puissance est sur le point d’être mise à l’épreuve pour la première fois dans l’obscure petite ville minière d’Asbestos.
En décembre 1948, s’amorce la négociation de la convention collective qui doit entrer en vigueur en 1949. Les mineurs présentent six demandes de base, notamment un salaire horaire porté à un dollar, neuf congés payés, la participation du syndicat dans la gestion des mines, un régime de pension et des mesures visant à protéger les mineurs contre les maladies causées par l’inhalation de la poussière d’amiante. Début février, les négociations arrivent à une impasse et une loi oblige les deux parties à se soumettre à un arbitrage. C’est de bon augure pour la compagnie, puisque le gouvernement a tendance à choisir des arbitres favorables aux entreprises.
Grève
Le litige attire de Montréal de nombreux activistes qui appuient les travailleurs. L’un d’eux, le militant syndicaliste Jean Marchand, prononce, le 13 février 1949, un discours enflammé qui incite les travailleurs à s’écrier : « On veut la grève! » Au début, le débrayage prend une allure de vacances, alors que les gens vont et viennent au son des violons et accordéons.
La réaction du premier ministre ne se fait pas attendre. Après quelques jours seulement, il déclare la grève illégale et déploie un détachement de la police provinciale. Pendant environ un mois, les grévistes gardent leur calme. Cependant, comme le Québec fournit 85 % de l’amiante extrait dans le monde entier, les dirigeants de la Johns-Manville, compagnie qui appartient à des intérêts américains, deviennent nerveux et se mettent à embaucher des ouvriers de remplacement. La police commence à patrouiller activement les environs et à menacer les mineurs. De leur côté, les travailleurs installent des barrages pour empêcher le passage des briseurs de grève (appelés les scabs). Le 14 mars, une explosion survient sur la voie ferrée qui mène à l’usine. Quelques jours plus tard, un groupe de grévistes enlève un représentant de la compagnie et le passe à tabac.
À l’usine, les policiers se rassemblent pour briser les lignes de piquetage. Ils attaquent les grévistes au gaz lacrymogène et tirent des coups de semonce en l’air. Les ouvriers sortent les policiers de leurs voitures et les rouent de coups les laissant inconscients. Le matin du 6 mai, un corps de police fortement armé entre dans la ville, arrête environ 180 grévistes et en bat plusieurs. La brutalité de la police provinciale devient alors le principal enjeu de la grève et attire l’attention des médias bien au-delà des frontières du Québec.
Maurice Duplessis s’en prend aux dirigeants syndicaux, les traitant de « saboteurs » et d’« agents subversifs ». Or, voilà que même l’Église catholique conservatrice est sensible à la cause des grévistes ; c’est elle qui apporte le plus gros du soutien aux familles dans le besoin suite à des semaines de salaires perdus. Lorsque l’archevêque de Montréal, Mgr Joseph Charbonneau, prend ouvertement parti en faveur des grévistes, Maurice Duplessis convainc apparemment le Vatican de soulager l’archevêque de son mandat et de l’envoyer en Colombie-Britannique. En juin, l’archevêque Maurice Roy, de la ville de Québec, intervient en tant que médiateur et on parvient enfin à un accord le 1er juillet.
Importance
La grève continuera à jouer un rôle crucial dans l’esprit des intellectuels québécois au cours des années qui mènent à la Révolution tranquille. Elle pousse beaucoup de gens à remettre en question le type de nationalisme qui est la marque du gouvernement conservateur et antisyndical de Maurice Duplessis. Elle offre aussi leur première tribune à Pierre Trudeau, Jean Marchand et Gérard Pelletier, surnommés « Les trois colombes », qui joueront plus tard des rôles marquants non seulement dans la politique du Québec, mais aussi dans celle du Canada.
Pour les hommes qui retournent travailler dans la dangereuse atmosphère des mines d’amiante, la grève n’a rien d’une révolution. Leurs gains matériels sont minces. Bon nombre ne sont pas réembauchés, et on fait bien peu pour améliorer les conditions de travail qui faucheront bien des vies dans cette génération. En 1974, le Dr Irving J. Selikoff, qui fait autorité en la matière, décrit les mines d’amiante du Québec comme les plus dangereuses du monde du point de vue de la santé (voir aussiSanté et sécurité dans les mines).
La grève laisse un goût amer qui perdure pendant des décennies dans la bouche des résidents d’Asbestos. En 2003, André Bachand, député de la circonscription Richmond-Arthabaska, déclare en Chambre que « même aujourd’hui, seuls le prêtre et quelques Chevaliers de Colomb se présentent au salon funéraire pour prier pour le salut de l’âme d’un ex-briseur de grève décédé ».