Pendant des générations, Hebron, l’un des sites historiques les plus importants du point de vue culturel du Nunatsiavut (voir Inuits du Labrador et Terre‑Neuve‑et‑Labrador), constitue un lieu de rassemblement majeur pour les Inuits, ainsi qu’une de leurs principales zones de pêche et de chasse. Au début des années 1800, les missionnaires moraves ont choisi ce site pour établir leur quatrième mission, la plus septentrionale, au Labrador. Elle a été officiellement ouverte en 1830. Les missionnaires créeront ultérieurement des missions plus au nord, à Ramah, en 1871, et à Killinek en 1905. Pendant près de 130 ans, Hebron est une collectivité florissante où vivent en moyenne 200 à 250 Inuits. En 1959, sans consultation avec les Inuits, la collectivité est fermée, obligeant la population locale à aller s’installer ailleurs. Déclarée site historique, en 1976, par le gouvernement fédéral, la mission de Hebron fait actuellement l’objet de travaux de restauration majeurs, lancés en 2004.
Avant l’arrivée des Européens
Située à environ 40 km au nord de la limite forestière et proche de la limite sud du parc national des Monts‑Torngat, Hebron est connue des Inuits sous le nom de Kangerdluksoak (« la grande baie », une appellation également orthographiée Kangikluksoak ou Kangertluksoak). Depuis des temps immémoriaux, le site, situé sur les rives d’une immense baie protégée par une petite crique, constitue également un lieu de rassemblement pour les Inuits de différentes régions.
La région, au sein de laquelle abondent de nombreuses espèces animales, a toujours été une zone de chasse et de pêche de première importance. On y trouve des mammifères marins, comme le phoque du Groenland, le phoque annelé, le phoque barbu, le morse, la baleine blanche, le dauphin à flancs blancs et l’ours polaire; des mammifères terrestres, tels que le renard blanc, le renard roux, la loutre, le caribou, l’ours noir, le lièvre arctique et le lapin; des poissons tels que l’omble et la morue; et des oiseaux comme l’oie, l’eider, le canard noir, le harle, le plongeon et l’arlequin plongeur.
La mission de Hebron, avec une hutte en terre inuite au premier plan.
Colonie morave
Au début des années 1800, les missionnaires moraves ressentent la nécessité d’ouvrir une quatrième mission, au Labrador, afin d’attirer les Inuits non christianisés des fjords du nord. Ils jettent leur dévolu sur Kangerdluksoak, comme un endroit idéal pour établir une nouvelle mission, qu’ils nomment du nom biblique de la ville d’Hébron.
Le travail d’évangélisation commence à Hebron en 1818, mais ce n’est qu’en 1827 que les frères moraves construisent un petit bâtiment destiné à servir d’avant‑poste saisonnier pour accueillir les missionnaires en visite chez les Inuits de la région. Selon un récit historique, cette construction se fait au prix d’un immense effort :
En 1828, le navire de mission Harmony et l’Oliver quittent Londres, en Angleterre, avec, dans leur cale, 60 000 briques, de la chaux, des planches, des madriers, des portes, des fenêtres, des vitres et des clous. Ils arrivent dans la baie de Kangerdluksoak en juillet, où des poutres en bois, des chevrons et des bardeaux sont déjà prêts. Les Inuits d’OkKak avaient transporté ces matériaux de construction par attelage de chiens, effectuant 137 voyages sur la glace printanière.
En 1831, une fois les quartiers temporaires terminés, les premiers missionnaires permanents sont nommés à Hebron. À la fin de 1831, la congrégation compte 102 Inuits.
Au printemps 1835, une nouvelle construction de 53 mètres de long, de 10 mètres de large et d’un étage est érigée pour abriter l’église, la maison de mission et un magasin. Cet enchaînement d’édifices, achevé en octobre 1837, domine toujours le paysage de Hebron.
Du milieu des années 1800 au début des années 1900, la population de Hebron se stabilise autour d’une moyenne de 200 à 250 Inuits. Les Inuits séjournant à la mission vivent dans des huttes de terre, partiellement enfouies dans le sol, dotées d’une charpente en os de baleine ou en bois recouverte de végétation et d’une fenêtre en intestins de phoque. Le grand nombre de huttes de ce type et de tentes en peau d’animaux, construites à Hebron, témoigne de l’importance qu’y ont les activités de subsistance traditionnelles.
Illustration de la mission de Hebron vers 1860, par l’évêque morave Levin Theodore Reichel (1812‑1878).
Grippe espagnole (1918)
Le nord du Labrador détient le triste record mondial du nombre de victimes de l’épidémie de grippe espagnole de 1918 (voir Grippe). Environ 150 personnes meurent à Hebron lors de cette catastrophe, soit près des deux tiers d’une population de 220 personnes. Le virus de la grippe a été introduit localement par un marin malade du navire missionnaire morave Harmony.
Après la tragédie, toutes les huttes en terre inuites sont brûlées. L’Église morave envisage de fermer la mission, mais décide finalement de plutôt fermer sa mission à Killinek. Les familles inuites de Killinek qui déménagent vers le sud pour s’installer à Hebron contribuent à repeupler la localité.
Deuxième Guerre mondiale
En juillet 1943, alors que la Deuxième Guerre mondiale fait rage, l’armée américaine obtient du gouvernement de Terre‑Neuve, l’autorisation d’installer une station météorologique secrète à Hebron. Cette installation est alors considérée comme une contribution vitale à l’effort de guerre. Elle doit en effet permettre aux Alliés (le Canada, la Grande‑Bretagne, les États‑Unis et leurs alliés) de collecter et de diffuser des données météorologiques, essentielles pour faire voler les bombardiers, en toute sécurité, entre l’Amérique du Nord et l’Europe. La présence de militaires à Hebron permet également aux Alliés de garder un œil sur les missionnaires moraves soupçonnés d’être des sympathisants des Allemands.
La station météorologique américaine de Hebron a fonctionné jusqu’en 1945; toutefois, son existence est restée secrète jusqu’en 2017.
Fermeture de Hebron
Le lundi de Pâques 1959, la population de Hebron se réunit à l’église morave locale où des représentants du gouvernement de Terre‑Neuve, de l’Église morave et de l’International Grenfell Association lui annoncent leur décision de fermer la mission. Étant donné que cette réunion est organisée dans l’église, un endroit où les controverses ne sont pas autorisées, les Inuits sont réduits au silence. Ils se sentent toutefois trahis de ne pas avoir été avertis et de n’avoir pas eu l’occasion de discuter de leur départ.
La plupart des 58 familles sont relogées dans d’autres collectivités, situées au sud de la limite forestière, dans des régions qui leur sont inconnues, dont elles ne maîtrisent pas l’environnement et où les terrains de chasse et les lieux de pêche sont déjà occupés. La population locale est en outre séparée, certaines familles étant envoyées à Hopedale, d’autres à Makkovik et d’autres à Nain. Dans ces localités, les maisons prévues pour les reloger ne sont pas prêtes pour accueillir les nouveaux arrivants. Lorsque les logements sont finalement construits, ils sont regroupés dans des villages surpeuplés appelés « petits Hebron ». Ces hameaux sont implantés aux limites de collectivités existantes, renforçant le sentiment d’isolement de nombreux Inuits de Hebron.
Il faudra 46 ans au gouvernement de Terre‑Neuve‑et‑Labrador pour présenter des excuses officielles pour cette réinstallation forcée de la population de Hebron. Ces excuses sont formulées, en 2005, par le premier ministre Daniel Williams, dit « Dany » :
Le gouvernement de Terre‑Neuve‑et‑Labrador présente, au nom des citoyens de la province, ses excuses aux Inuits de Nutak et de Hebron pour la manière dont la décision de fermer ces collectivités a été prise et pour les difficultés qu’ils ont éprouvées, ainsi que leur descendance, de ce fait.
En 2009, un mémorial, composé de trois plaques de bronze, portant respectivement les noms de toutes les personnes déplacées de Hebron, le texte des excuses du gouvernement et l’acceptation de ces excuses par les Inuits du Labrador, est dévoilé à Hebron, à l’occasion du 50e anniversaire de ce déplacement forcé.
Lors de la cérémonie d’inauguration, Andrea Webb, qui comptait parmi les personnes déplacées, lit la déclaration d’acceptation suivante :
Nous acceptons vos excuses, pour nous‑mêmes, pour nos ancêtres et pour nos descendants. Nous avons attendu ces excuses pendant plus de 45 années douloureuses et nous les acceptons parce que nous voulons que la douleur et la peine cessent. Entendre vos excuses nous aide à avancer… Nous vous pardonnons.
Lieu historique national du Canada de la Mission‑de‑Hebron
Lieu historique national
Le 6 novembre 1976, Parcs Canada déclare Hebron comme site historique national, témoignant ainsi de son importance. Soixante ans après son abandon, il ne reste que des ruines à Hebron, en dehors du bâtiment principal de la mission.
Depuis 2004, le gouvernement du Nunatsiavut procède à une restauration majeure, conduite par des charpentiers inuits ayant été eux‑mêmes déplacés, ou descendant de personnes déplacées, de la mission morave. En 2016, le gouvernement du Nunatsiavut reçoit un prix du patrimoine provincial (le prix Manning pour l’excellence dans la présentation de lieux historiques) pour ses efforts en vue de préserver et de restaurer la mission de Hebron. La mission est considérée comme l’un des sites les plus importants, sur le plan culturel, à Terre‑Neuve‑et‑Labrador et comme un symbole de la présence morave à Hebron qui perdure jusqu’à aujourd’hui.