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Missions moraves au Labrador

En 1771, des missionnaires moraves ont été les premiers Européens à s’installer au Labrador. Au fil d’une présence de 133 ans, ils y ont établi huit missions le long de la côte, devenues le centre d’activités religieuses, sociales et économiques pour les Inuits venus graduellement s’installer à proximité de ces communautés. Tout au long de cette période, les Moraves ont eu une incidence énorme sur la vie et la culture des Inuits du Labrador. De ces échanges est née une culture unique, enracinée dans les traditions inuites et teintée de pratiques européennes adaptées au monde autochtone. Le dernier missionnaire morave quitte le Labrador en 2005, mais l’Église morave, ses coutumes et ses traditions sont toujours bien vivantes au Labrador.

Premières tentatives d’établissement d’une mission au Labrador

En 1752, un missionnaire morave, Johann Christian Erhardt, met sur pied une expédition commerciale et missionnaire au Labrador. Les missionnaires moraves représentent l’Église morave protestante (voir Moraves). À son arrivée, le groupe jette l’ancre dans une baie à proximité de la petite ville actuelle de Makkovik, et se prépare à construire le premier établissement morave au Labrador. Ils nomment la nouvelle colonie Hoffnungsthal (ce qui signifie « La vallée de l’espoir » en allemand) qui deviendra plus tard « Hopedale ». Pendant que quatre missionnaires restent sur place et s’attellent à l’érection d’un bâtiment en rondins, s’efforçant de creuser la terre et de planter des jardins, Johann Ehrhardt, le capitaine du navire et cinq membres d’équipage prennent la direction du nord pour commercer avec les Inuits. Le groupe, victime de la relation violente et troublée qui prévaut alors entre les Inuits du Labrador et les Européens, ne reviendra jamais. Les autres membres de l’équipage et les missionnaires abandonnent immédiatement le site et organisent leur retour précipité vers l’Europe.

Il faudra 10 ans et la fin de la guerre de Sept Ans, en 1763, avant qu’un autre missionnaire morave n’ait l’audace de reprendre la mission de Johann Ehrhardt. Jens Haven entreprend trois voyages d’exploration consécutifs, en 1764, en 1765 et en 1770, avec le consentement et l’aide de Hugh Palliser, le gouverneur britannique de Terre‑Neuve. Ce dernier soutient les efforts des Moraves dans l’espoir que leur présence contribuera à apaiser les tensions entre les Inuits et les Européens.

« Hebron au Labrador »

Rôle de Mikak

Lors de son voyage de 1765, Jens Haven est accompagné au Labrador de Hugh Palliser. À leur arrivée, on leur présente une Inuite nommée Mikak. En 1767, Mikak est prise en otage par les Britanniques lors d’une altercation dans le sud du Labrador. En captivité, elle apprend l’anglais et enseigne l’inuktitut. Hugh Palliser réalise qu’elle pourrait jouer un rôle positif en vue d’améliorer les relations entre les Inuits et les Européens. Il demande qu’elle soit amenée à Londres, en Angleterre, pour découvrir la culture locale. Mikak arrive en Angleterre en 1768. Là, elle rencontre à nouveau Jens Haven et accepte d’appuyer ses efforts pour mettre en place une mission morave au Labrador. Elle fait une telle impression sur l’aristocratie anglaise que l’on estime qu’elle a contribué à l’obtention, par les Moraves, d’une concession royale de 100 000 acres de terres au Labrador.

À son retour chez elle en 1769, les récits qu’elle fait de son séjour en Angleterre fascinent la communauté inuite. Elle utilise son influence pour promouvoir l’idée d’une mission morave auprès de son peuple. Elle précise à quel point elle a été bien reçue en Angleterre et exprime son intérêt pour les enseignements des missionnaires. Se souvenant du sort de Johann Ehrhardt et de ses compagnons, Jen Haven se montre inquiet lorsqu’il arrive au Labrador en 1770. Mikak le rassure, en précisant que, si les Moraves consentent à venir jusqu’à eux, les Inuits les traiteront avec bienveillance et commerceront avec eux.

Création de la première mission permanente

L’année suivante, en 1771, Jens Haven, sa nouvelle épouse, deux autres couples mariés et huit hommes célibataires fondent la première colonie morave permanente sur la côte nord du Labrador. Ils choisissent, pour s’installer, une zone de rassemblement des Inuits, appelée Nuneingoak, et nomment leur établissement « Nain ». Nain est la première mission chrétienne au Canada s’adressant aux Inuits.

Les missionnaires moraves ne cherchent pas seulement à christianiser les Inuits, ils sont également là pour les aider à subvenir à leurs besoins matériels et ont l’intention de financer leurs missions en faisant du commerce. Comme l’espérait Hugh Palliser, les Moraves réussissent à rétablir la paix entre les Inuits et les Européens, en isolant les deux communautés, et en utilisant leur monopole commercial.

À partir de leur base de Nain, les Moraves se lancent dans l’exploration de la côte du Labrador. Ils estiment, en effet, qu’en étant présents sur les sites de chasse et de pêche des Inuits, ils pourront accéder plus facilement aux produits ainsi obtenus par ces derniers. En outre, ils espèrent pouvoir ainsi veiller à ce que les Inuits convertis ne reviennent pas à leur mode de vie et à leurs croyances traditionnels lorsqu’ils ne sont pas présents dans les missions.

Mission de Hebron, 1901

Missions moraves le long de la côte du Labrador

En 133 ans, les missionnaires moraves établissent huit missions le long de la côte du Labrador. Chaque établissement dispose généralement d’un édifice commun consacré à l’hébergement, d’une église de style architectural allemand, d’un magasin, d’un cimetière, d’ateliers, ainsi que de grands jardins potagers et fleuris.

Nain (1771‑) — La première mission morave jouit d’une position centrale parmi les autres missions. Aujourd’hui, Nain est la collectivité la plus au nord de la côte du Labrador et le centre administratif du Nunatsiavut (voir Inuits du Labrador).

Okak (1776‑1919) — À environ 110 km au nord de Nain. Cette mission a été fermée après l’épidémie de grippe espagnole de 1918‑1919 ayant tué plus des deux tiers de ses habitants. Jusqu’à sa fermeture, Okak a été la collectivité inuite la plus importante de la côte nord du Labrador.

Hopedale (1782‑) — À environ 150 km au sud de Nain, par la voie des airs. Cette mission est ainsi nommée en hommage à la tentative ratée d’établissement de 1752 (Hoffnungsthal). Les édifices de la mission de Hopedale constituent désormais un lieu historique national. Il s’agit des plus anciens bâtiments à ossature de bois du Canada, à l’est du Québec. Hopedale est aujourd’hui la capitale législative du gouvernement du Nunatsiavut.

Hebron (1830‑1959) — À environ 100 km au nord d’Okak. Le bâtiment de la mission de Hebron est aujourd’hui un lieu historique national.

Zoar (1865‑1894) — À peu près à mi‑chemin entre Nain et Hopedale.

Ramah (1871‑1908 [approx.]) — À environ 80 km au nord d’Hébron. Cette mission ouvre ses portes à l’occasion du centième anniversaire de la première mission morave au Labrador.

Makkovik (1896‑) — À environ 80 km au sud de Hopedale.

Killinek (1904‑1924) — À proximité de Cape Chidley, à la pointe de la péninsule du Labrador. Il s’agissait de la mission morave la plus septentrionale du Labrador.

Enfin, la construction d’une base aérienne à Goose Bay au cours de la Deuxième Guerre mondiale conduit à la construction d’églises moraves à Happy Valley‑Goose Bay et à Northwest River et à l’établissement, d’une fraternité à Postville.

Activités commerciales des Moraves

Dès leur installation, les activités commerciales des missions s’avèrent difficiles et pas toujours rentables. Elles sont largement dépendantes de leurs achats auprès des Inuits et de la visite annuelle du navire de ravitaillement Harmony. Les exportations de produits en provenance du Labrador vers l’Europe comprennent de l’huile, des peaux de phoque, des fourrures, du poisson séché et de l’artisanat.

Les Moraves prennent soin de vendre leurs marchandises aux Inuits à des prix modérés. Ils offrent également du crédit pendant les mois d’hiver rigoureux et secourent les veuves et les familles les plus pauvres. Au milieu du 19e siècle, en dépit des graves difficultés financières que connaissent les missions, les Moraves ouvrent de nouveaux établissements. À l’apogée de sa puissance, le monopole commercial des Moraves s’étend sur 800 km, de la baie Groswater à l’île Killiniq.

Fermeture des missions

En 1894, les missionnaires ferment un premier établissement, Zoar. En 1907, le nombre de missionnaires est réduit (à aucun moment, il n’y a eu plus de 40 missionnaires établis simultanément au Labrador). Finalement, en 1926, la décision est prise de transférer les activités commerciales moraves à la Compagnie de la Baie d’Hudson.

En 2005, après une présence de 234 ans, l’Église morave rappelle le révérend Sam Propsom, son dernier missionnaire au Labrador. Cependant, l’Église morave y est encore bien vivante aujourd’hui : près de 80 % des personnes vivant au Nunatsiavut sont de confession morave et gèrent leurs propres églises.

Héritage des missionnaires moraves

Les Moraves ont profondément modifié, pour le meilleur et pour le pire, la vie des Inuits du Labrador. Ils ont notamment introduit :

  • L’écriture et la lecture en inuktitut. Les Inuits du Labrador (Labradormiuts) ont été les premiers Inuits au Canada à écrire dans leur propre langue;
  • Une nouvelle religion (le christianisme), interdisant les croyances traditionnelles des Inuits;
  • Un mode de vie sédentaire, encourageant les Inuits à abandonner leurs pratiques nomades;
  • Un nouveau système de gestion du temps, à base d’horloges et de calendriers;
  • Le concept de dette et d’hypothèque;
  • Les premières formes d’autonomie gouvernementale, par le biais de conseils des aînés;
  • De nouvelles technologies pour la chasse, la pêche et l’habillement.

Mais l’héritage le plus précieux des Moraves au Labrador est probablement leur musique, qui était au cœur du culte et de la vie communautaire. Au fil des ans, des musiciens et des choristes inuits ont copié la musique européenne du 18e siècle, en l’adaptant à leur propre culture. Ce faisant, les Inuits ont retravaillé la musique de Mozart ou de Haydn, en lui donnant leur propre expression. Les Inuits ont finalement mis sur pied un enseignement direct, au sein de leurs collectivités, de la musique européenne. Avec le déclin de l’influence missionnaire au 20e siècle, les Inuits ont pris en main leur tradition musicale. Elle se perpétue, aujourd’hui, par l’entremise de fanfares inuites moraves qui saluent l’arrivée des navires, célèbrent joyeusement les événements heureux ou réconfortent les communautés lors d’événements douloureux, souvent depuis le toit de l’église.

Les Moraves ont également soigneusement consigné, quotidiennement, les événements survenant dans les missions et les activités qui y prenaient place. Les documents rédigés au Labrador ont été traduits de l’inuktitut et communiqués aux missions moraves du monde entier. De même, les Moraves et les Inuits du Labrador lisaient régulièrement des comptes rendus de missions d’autres pays. Les archives moraves de Herrnhut, en Allemagne, de Bethlehem, en Pennsylvanie aux États‑Unis, et de Londres, en Angleterre, constituent des mines d’or de documentation écrite et visuelle sur la vie des missionnaires avec les Inuits du Labrador.

Pensionnat morave

De 1906 à 1980, l’Église morave et l’Association internationale Grenfell ont géré cinq pensionnats à Terre-Neuve-et-Labrador. Les survivants de ces établissements ont vécu des sévices similaires à celles des autres survivants des pensionnats (voir Pensionnats au Canada.)

Les excuses présentées par le gouvernement fédéral sur les pensionnats en 2008 n’incluaient pas les survivants des pensionnats de Terre-Neuve-et-Labrador. À la suite de ces excuses, cinq recours collectifs ont été intentés en rapport avec ces pensionnats. En 2015, un accord de règlement a été conclu avec le gouvernement provincial. En 2016, un accord de règlement a été conclu avec le gouvernement fédéral. En 2017, le premier ministre Justin Trudeau s’est rendu à Happy Valley-Goose Bay. Au cours de ce voyage, il a présenté des excuses aux survivants des pensionnats. Cependant, certains contestent ces excuses, car elles ne concernent que les survivants qui ont fréquenté les pensionnats après l’adhésion de Terre-Neuve-et-Labrador au Canada.