En 2010, le Projet Mémoire a interviewé Percy « Junior » Jackson, un ancien combattant de la Deuxième Guerre mondiale. L’enregistrement (et la transcription) qui suit est un extrait de cette entrevue. Percy Jackson est né le 19 décembre 1926 à Lucasville, en Nouvelle-Écosse. Il était d’origine irlandaise, éthiopienne, mi’kmaq et canadienne-française. Dans son témoignage, il se souvient que sa famille était la seule famille noire de la communauté de Windsor. En grandissant, Percy Jackson était très proche de son frère aîné, qui s’est joint aux combats en Europe durant la Deuxième Guerre mondiale, le laissant dévasté. Percy Jackson s’est enrôlé à Halifax à l’âge de 16 ans et a été envoyé outre-mer en 1944 pour se joindre aux North Nova Scotia Highlanders. Sa mission était de retrouver son frère aîné qui combattait aux Pays-Bas. Après la guerre, Percy Jackson a servi en Allemagne avant de retourner au Canada. Il est demeuré dans les forces armées, servant dans la réserve de l’armée (logistiques) jusqu’en 1977. Il avait le grade d’adjudant-maître lorsqu’il a pris sa retraite cette année-là. Percy Jackson a servi dans plusieurs missions de maintien de la paix, y compris dans la Force d’urgence des Nations Unies qui a été créée pour mettre fin à la crise de Suez en 1956.
Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
« J’ai marché tout droit vers mon frère en Hollande. Il était assis dans une petite tente dans le coin du Goor. Et tout ce qu’il faisait c’était, jouer à un jeu, boite à formes dans sa petite tente. Et il m’a regardé, et puis il a donné deux petits coups supplémentaires, a regardé tout autour encore une fois, il avait l’air abasourdi et il a dit : "Qu’est-ce que tu fous ici?" »
Transcription
Bon, je m’appelle Percy Jackson. J’ai 83 ans. Je suis né le 19 décembre 1926. Je suis né à Lucasville [Nouvelle Ecosse], juste pour la naissance. Parce qu’on habitait à Windsor en Nouvelle Ecosse, et j’ai décidé que je ne pouvais pas attendre d’être à la maison, alors je suis né dans une ferme à Lucasville. Et j’ai toujours été un excellent élève jusqu’à ce que je quitte l’école en dixième année (seconde dans le système français) pour m’engager dans les forces armées. Parce mon père était dans l’armée, la guerre est arrivée, mon frère, que j’idéalisais, c’était mon mentor, c’était mon héros, il était tout pour moi, il m’a tout appris, il avait sept ans de plus que moi, il est parti outre-mer avec l’armée. J’étais accablé. J’étais perdu. J’ai dit « Je dois entrer dans l’armée. Je dois m’engager dans les forces armées, je dois aller là-bas et venir au secours de mon frère ou bien suivre mon frère. Et le trouver. »
Alors ce qui s’est passé c’est que j’ai essayé de m’engager à l’âge de 14 ans. Alors j’étais, j’avais toutes les choses d’enfants. On était les seuls, premièrement, on était la seule famille de couleur dans cette ville, il n’y avait personne d’autre. On était les seuls à l’école, les seuls à l’église, les seuls là-bas. Et quand mes enfants regardent ces photos d’école, ils regardent et ils disent : « Où sont les autres noirs? » Vous savez, il n’y en avait pas d’autres, rien que nous.
J’ai essayé d’entrer dans l’armée pour suivre mon frère. Mais quand je suis allé là-bas, les gars ont dit : « Je suis désolé mais on a votre acte de naissance et vous ne pouvez pas être pris. » Alors j’ai dit : « D’accord. » Très déçu. Alors je suis rentré chez moi. J’ai essayé à nouveau quand j’avais 16 ans, suis entré dans le bureau de recrutement de Halifax, aucun problème d’aucune sorte. J’ai été reçu avec 100% et tout. Et j’avais un QI élevé. Et je suis passé par toutes les épreuves, et après les examens et quand tout a été terminé, ils ont dit : « Félicitations, vous êtes reçu, vous faites partie des forces armées maintenant, et tout ce que vous avez à faire c’est repartir chez vous pendant deux semaines et on vous appellera. Mettez vos affaires en ordre et revenir et on vous appellera. » Alors je dis : « Je n’ai pas de travail où me rendre. » « Oh, vous n’en avez pas, vous voulez rester dès maintenant? » J’ai répondu : « Oui. »
Je suis retourné dans la file, j’étais dedans, la phase numéro un était terminée. Ensuite je suis allé dans la Force et j’ai fait mes classes à Yarmouth en Nouvelle Ecosse. J’étais un soldat modèle. Et je ne pouvais pas être autrement parce que mes uniformes devaient être repassés correctement, mes chaussures devaient briller parfaitement, et le respect de moi-même ma discipline c’est comme ça que j’ai fait. Parce que ça faisait partie de moi d’être le meilleur. Et je suppose que mes supérieurs s’en sont aperçus et ils ont fait de moi un chef de section en l’espace d’un mois dans la Force. Ils ont fait de moi un chef de section. C’était en 1944. Ensuite pour Noël, à la fin de, juste après Noël, je suis parti après Noël pour aller à, j’ai dit, nous sommes prêts, j’avais fini l’entraînement et ils m’avaient. Ils ont dit : « Bon, maintenant tu pars outre-mer. » Ma mission, j’arrive.
Et tout ce à quoi je pensais c’était, ma mission c’était, d’aller retrouver mon frère. Mais j’étais censé faire partie des renforts du North Nova Scotia Highlanders. Alors on est parti vers le sud, on est arrivés là-bas, je suis monté avec mon unité, ils étaient en Hollande. Et j’ai rejoint l’unité et puis tout à coup, on m’a enlevé de là. J’ai découvert après coup, je ne savais pas ce qui s’était passé vers la fin, mais j’ai découvert après coup, ma mère avait écrit une lettre où elle disait, mon frère, qui faisait partie du raid du jour J, qui était blessé, quatre jours environ après l’invasion, lui a fait passer à l’hôpital, dans un hôpital de campagne anglais et il est reparti au combat. Et il a été blessé à nouveau pendant la libération de la Hollande. Alors elle disait, qu’elle savait que j’étais dans l’armée, et c’est ce qui m’a surpris. Mais elle avait probablement, alors elle a pensé, vous savez, bon, regardez, je vais lui faire une faveur parce qu’il n’a rien à faire là-bas.
Donc, quoiqu’il en soit, quand ils m’ont enlevé de mon unité, et ils m’ont mis dans une petite tente là, la tente de l’administration et j’ai dit : « Bon, qu’est-ce que je fais ici? » Ils ont dit : « Ne t’en fais pas, assied-toi là. » Alors, et je me suis assis là et je suis resté assis là et je suis resté assis là et puis tout à coup, je commençais à, j’étais en train de dire : « Qu’est-ce que je fais là? » J’ai dit : « Tous mes amis, vous savez, mes copains, les gars avec qui j’ai fait l’entraînement, tout, je ne vais plus jamais pouvoir les retrouver, ils vont être partis. Où sont-ils? » Et j’ai commencé à donner de la voix. Ils ont dit : « Non, tout va bien se passer, mais on doit, on a trouvé quelque chose qui cloche dans tes papiers et on doit se renseigner et corriger ça. » Alors j’ai dit : « Ouais. » Je suis resté là un bon moment.
J’ai dit : « Est-ce qu’on est prêts maintenant, parce que je veux aller là où se trouve mon unité, je suis perdu. » J’ai dit : « Je ne vais jamais pouvoir les retrouver, ils sont partis. » Ils ont dit : « Reste tranquille. » Et puis tout à coup, encore, ils ont dit : « Tu vas venir avec nous. » Alors ils m’ont emmené en Belgique, dans une vieille caserne de l’armée qui se trouvait là, où il y avait un tas d’autres soldats, je ne sais pas ce qu’ils faisaient là assis. Quoiqu’il en soit, on est allés là-bas et ils m’ont gardé là. Ils m’ont seulement donné des petits boulots pour,… Ils n’ont pas dit ce que je faisais, et je me demandais où était mon unité. Et j’avais des soupçons, et j’ai dit, bon, peut-être, ils ont découvert quel âge j’ai.
Alors quoiqu’il en soit, ils me donnent un travail, venait juste de nettoyer à fond la pièce, à faire ça et seulement comme ça. Tout. Finalement, ce que j’ai fait, ils viennent et me racontent ce qui s’est passé. Et puis, mais entre temps, ce qui est arrivé c’était, le mois de mai [1945] était arrivé, la guerre était terminée. Et ensuite j’étais sur le chemin du retour vers mon unité. Et puis je suis allé là-bas et je cherchais telle personne, je cherchais telle autre personne. J’ai dit, j’avais un super ami là-bas, Gallant, on était toujours ensemble, et j’ai dit, il venait de l’île du Prince Edward, et j’ai dit : « Où est-il? » Et je cours partout, à sa recherche. Ils ont dit : « Il a été tué le dernier jour de la guerre. » Bon, j’ai reproché ça à tout le monde. J’ai reproché ça à tout le monde. J’ai dit : « Et bien maintenant, si j’avais été là, il ne serait jamais mort, vous savez. » Bon, j’étais fou.
Quoiqu’il en soit, j’ai dépassé ce genre de choses et j’ai retrouvé mon frère en Hollande. J’ai marché tout droit vers mon frère en Hollande. Il était assis dans une petite tente dans le coin du Goor. Et tout ce qu’il faisait c’était, jouer à un jeu, boite à formes dans sa petite tente. Et il m’a regardé, et puis il a donné deux petits coups supplémentaires, a regardé tout autour encore une fois, il avait l’air abasourdi et il a dit : « Qu’est-ce que tu fous ici? » Bon, on a eu des retrouvailles sympas. Mais quand je suis retourné dans mon unité à Amersfoort, ils m’ont dit ce qui s’était passé, pourquoi ils m’avaient emmené. Ils n’avaient pas le choix.
Alors ils ont dit : « Mais on va te garder ici maintenant, la guerre est finie et qu’est-ce que tu veux faire? Est-ce que tu veux, tu as trois possibilités, tu veux rentrer chez toi ou…? » La guerre était encore présente au Japon, alors ils ont dit : « Tu peux rentrer chez toi, et avoir une permission, descendre dans les états du sud et suivre l’entraînement à la guerre de jungle. D’ici là, tu seras peut-être assez vieux et tu pourras aller en Extrême-Orient si tu veux. » Alors j’ai dit : « Je ne veux pas rentrer chez moi. » Alors j’ai choisi de rester en Allemagne pendant un an et demi avec les forces d’occupation. Aussi, juste après la guerre, quand j’étais dans un endroit appelé Werne en Allemagne et qu’on est monté à Oldenbourg, Kleve, Osnabrück, Hambourg, toutes ces villes étaient tout simplement rasées. Ils n’y avait plus rien d’autre qu’un amas de briques et de pierres.
Puis il y a eu ça, je regardais alentour un jour près de Werne et il y avait cette colline sur le côté et un temps magnifique ce jour-là. Le soleil brillait. Et il y avait des soldats allemands sur l’herbe, au soleil et j’ai regardé et certains n’avaient pas de bras, d’autres pas de jambes. Et alors ça m’a frappé, j’ai dit : « Mon dieu, ces gars étaient le mari de quelqu’un, le frère de quelqu’un, le fils de quelqu’un. Et je disais : « Mon dieu ! Mon dieu ! Tout le monde y perd dans une guerre. » Et ensuite juste là je dis : « On ne devrait pas faire l’apologie de la guerre, la guerre c’est l’enfer ! »
J’avais réussi ma mission j’avais retrouvé mon frère. Et aussi, ma mission était doublement réussie parce que j’ai adoré être dans l’armée. On est tous pareils. Le même uniforme, on s’habillait pareil, on dormait dans les mêmes quartiers. Quand j’ai pris ma retraite complètement à la fin j’avais le grade d’adjudant-maître.
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