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Politique des exploitations paysannes

De 1889 à 1897, la Politique des exploitations paysannes du gouvernement du Canada a imposé des limites à l’agriculture autochtone dans les Prairies. La politique règlementait notamment le type d’outillage que les cultivateurs des Premières Nations pouvaient utiliser sur les terres des réserves. Elle limitait également le volume de ce qu’ils pouvaient cultiver et vendre. Cette politique était fondée sur l’idée que les cultivateurs autochtones devaient évoluer graduellement vers une agriculture moderne. Elle limitait aussi la possibilité pour ces cultivateurs de concurrencer les colons sur le marché. Au bout du compte, cette politique a entravé la croissance et le développement des fermes autochtones. Pour cette raison, les Premières Nations n’ont jamais pu développer pleinement leur potentiel en matière d’agriculture.

Saddle Lake Reserve

Qu’est-ce que l’agriculture paysanne?

L’agriculture paysanne désigne l’utilisation des seuls outils de base pour cultiver et élever des animaux. Ceci implique que la plantation et d’autres tâches soient réalisées à la main, sans l’aide de machines. La politique agricole des fonctionnaires canadiens dans les réserves s’inspire des méthodes utilisées par les paysans européens.

Dispositions des traités concernant l’agriculture

L’objectif des Traités numérotés est d’affirmer la souveraineté canadienne et d’ouvrir les Prairies à la colonisation. (VoirHistoire de la colonisation les Prairies canadiennes.) Conformément à ce plan, les représentants du gouvernement tentent de transformer les chasseurs et guerriers des Premières Nations en cultivateurs paysans, sédentarisés, chrétiens et sous leur contrôle.

Les traités des plaines allouent 640 acres (un mille carré) de terre à chaque famille de cinq personnes. Ceci correspond à la taille moyenne des fermes à l’époque. De plus, chaque famille cultivant la terre doit recevoir des outils et du matériel agricole, dont le type et la quantité varient selon les traités. Par exemple, le traité n° 4 assure « deux houes, une bêche et une hache à chaque famille ». Il promet aussi à chaque bande « une caisse d’outils de menuiserie, cinq scies à main, cinq tarières, une scie à tronçonner, une scie de long, les limes nécessaires et une pierre à aiguiser ». Le traité n° 6 fournit « quatre houes pour chaque famille […] deux bêches par famille […] une charrue pour toutes les trois familles […] une herse pour toutes les trois familles […] deux faux et une meule, et deux fourches […] pour chaque famille […] [et] une meule et une tarière pour chaque bande ».

Cependant, pendant les négociations des traités, les Premières Nations se font dire qu’on leur « apprendra à vivre comme l’homme blanc ». En conséquence, ils s’attendent à recevoir des outils agricoles contemporains, incluant des équipements réduisant les charges de travail, comme des batteuses, des moissonneuses et des faucheuses. Au lieu de cela, on leur donne des outils à main et des bovins sauvages.


Siksika Nation


Darwinisme social

Hayter Reed, délégué indien à Battleford, puis assistant commissaire des Territoires-du-Nord-Ouest sous la direction d’Edgar Dewdney, crée la Politique des exploitations paysannes alors qu’il est commissaire aux Indiens en 1888. Comme plusieurs autres bureaucrates, il est un adepte du darwinisme social, c’est-à-dire qu’il applique les théories de l’évolution de Charles Darwin aux groupes humains. Hyter Reed et ses collègues entretiennent la croyance raciste selon laquelle les peuples autochtones appartiennent à un stade de l’évolution antérieur à celui de l’homme blanc. Selon eux, les cultivateurs autochtones sont incapables d’utiliser les méthodes modernes. Ils doivent commencer par utiliser des outils manuels, et évoluer graduellement pour devenir des cultivateurs modernes.

Les représentants du gouvernement croient aussi que fournir de l’aide alimentaire aux Autochtones encouragera la paresse. C’est pourquoi la distribution de nourriture est réduite au minimum. Hayter Reed est surnommé Cœur de fer par les peuples autochtones des Plaines à cause de sa parcimonie. Les chefs des Premières Nations concernées par le traité n° 6 rappellent aux représentants du gouvernement que le traité promet une aide en temps de famine ou d’épidémie, et que c’est la principale raison pour laquelle ils ont signé le traité. Néanmoins, leurs demandes sont ignorées.

La différence des cultures entre le gouvernement canadien et les Premières Nations devient manifeste lorsque les réserves sont établies. Les terres composant les réserves étaient autrefois utilisées collectivement par les Premières Nations. Par exemple, les terres produisant des baies sauvages pouvaient être utilisées par tous, les pâturages étaient communs et les terres humides et les marécages représentaient un habitat précieux pour les oiseaux aquatiques. Cette pratique était très éloignée du concept de propriété terrienne, basée sur des fermes individuelles, promue par le gouvernement. C’est pourquoi dans certains cas, les parcelles de terre ont été réduites de 640 acres par famille à 40 acres par famille.


Agent des Indiens


Limitation de l’accès au marché

Les cultivateurs autochtones avaient commencé à exceller et à produire des récoltes impressionnantes bien avant que la Politique des exploitations paysannes soit adoptée. En 1884, la Fort MacLeod Gazette annonce que la récolte de pommes de terre des réserves des Premières Nations du sud de l’Alberta est « immense ». Le journal rapporte aussi que certains peuples autochtones « ont fait de très bonnes affaires en les vendant aux citoyens ». Les réserves des Siksika du sud de l’Alberta sont grandes et prospères. Ces cultivateurs ne sont pas disposés à pratiquer une agriculture paysanne, puisqu’ils ont se sont adaptés avec succès à l’agriculture moderne.

Cependant, plusieurs colons se plaignent de ce qu’ils considèrent comme une concurrence déloyale. En 1888, ils confrontent le commissaire aux Indiens Hayter Reed. Par mesure de représailles, après la Rébellion du Nord-Ouest de 1885, Hayter Reed limite le marché pour les Autochtones de Battleford à la vente de bois de chauffage au département des Affaires indiennes, et à une vente annuelle à l’école industrielle de Battleford. Hayter Reed considère que les peuples autochtones devraient produire uniquement pour leurs propres besoins, être autosuffisants, et ne pas faire concurrence aux autres cultivateurs. Certains cultivateurs ont déjà acheté de l’équipement d’agriculture moderne, dont l’utilisation est maintenant interdite. Ils protestent contre cette ingérence dans leur mode de vie, mais Hayter Reed se montre intraitable et maintient sa position.

Les pratiques d’Hayter Reed pour l’agence de Battleford donnent le ton de la politique nationale, par exemple l’établissement du système des permis, qui exige que les cultivateurs autochtones obtiennent un permis des représentants du gouvernement pour vendre leurs produits. De cette manière, les représentants peuvent contrôler la vente de produits dans le district afin de favoriser les colons cultivateurs.

Impact

Ce contrôle bureaucratique et l’obligation d’utiliser des méthodes agricoles obsolètes ont fortement entravé le développement de l’agriculture dans les Premières Nations. L’impact de la Politique des exploitations paysannes a été si important que les fermes des Premières Nations ont cessé de représenter un atout économique, et que les Premières Nations n’ont jamais pu développer leurs possibilités en matière agricole.

Voir aussiLoi des terres fédérales; Système de laissez-passer au Canada; Politique de l’agriculture et de l’alimentation; Économie agricole.