Le Programme des foyers familiaux indiens, en vigueur du début des années 1950 au début des années 1990 a été créé par le gouvernement fédéral canadien. Il avait pour but de placer les enfants autochtones dans des foyers non autochtones pendant qu’ils fréquentaient l’école primaire et l’école secondaire, souvent loin de leur collectivité d’origine. Le placement était obligatoire, le refus n’était pas autorisé. Les familles d’accueil dans lesquelles les enfants étaient placés étaient payées pour en prendre soin. Plusieurs de ces enfants ont été victimes de violence physique, sexuelle, verbale et psychologique (voir aussi Enfants maltraités). Le programme visait à assimiler les enfants autochtones à la société canadienne dominante. Par conséquent, il était souvent interdit aux enfants de parler leur langue maternelle ou de s’adonner à des pratiques de leur culture. Cela a inévitablement entrainé de graves conséquences, notamment la perte de l’identité culturelle et du lien avec leur collectivité pour les quelque 40 000 enfants inuits et des Premières Nations qui ont été contraints de déménager.
Expérience de Reginald Percival
Reginald Percival, l’un des survivants et plaignants d’un récent recours collectif, se souvient avoir été retiré de son domicile de la nation Nisga’a dans le nord de la Colombie-Britannique à l’âge de 13 ans. Il est placé à 1 300 km de là, dans une famille non autochtone au sud de la Colombie-Britannique, où il subit de graves sévices. Il se souvient avoir été emmené, avec d’autres élèves, par la Gendarmerie royale du Canada. Sa mère pleurait et il se souvient avoir eu l’impression d’être à « un enterrement ». « J’ai été giflé, enfermé dans des pièces […] J’ai déjà passé 10 jours dans un placard. Ce n’est pas un bon souvenir pour moi. » Son histoire met en lumière les expériences vécues par de nombreux autres enfants autochtones ayant participé à ce programme.
Beaucoup d’enfants placés dans des foyers sont affamés, forcés de travailler gratuitement et privés de la possibilité de pratiquer leur culture. « On nous disait que pour être un bon Indien, il fallait oublier sa culture », raconte Reginald Percival. Ils ont souvent peu de contact avec leur famille, voire aucun. D’autres formes de sévices, notamment sexuelles ou physiques, sont commises dans ces foyers. Lorsque Reginald Percival rentre chez lui, il se sent ostracisé par sa famille.
Actions et règlements
En 2018, des survivants du Programme des foyers familiaux indiens, dont Reginald Percival, intentent un recours collectif. Ils demandent justice et indemnisation pour les sévices qu’ils ont subis. En 2023, cette poursuite aboutit à une convention de règlement de 1,9 milliard de dollars approuvée par la Cour fédérale pour les peuples autochtones ayant participé au programme entre 1951 et 1992. Le règlement couvre quelque 33 000 survivants admissibles et prévoit une indemnisation allant de 10 000 à 200 000 dollars, selon la gravité des sévices subis. Le règlement propose un système d’indemnisation à deux niveaux :
Catégorie 1 : paiement de base de 10 000 $ à tous les membres du recours collectif.
Catégorie 2 : Indemnisation supplémentaire en fonction de la gravité des sévices, jusqu’à 200 000 $.
Le processus de règlement des revendications est conçu pour être non accusatoire et mené entièrement sur papier afin d’éviter de traumatiser à nouveau les survivants. Le montant total de l’indemnisation n’est pas plafonné, ce qui permet à tous les survivants admissibles de recevoir leur indemnisation. Le délai imparti aux survivants pour soumettre leurs demandes est fixé du 21 août 2024 au 22 février 2027. L’avocat du recours collectif, Douglas Lennox, souligne l’importance de ce processus par rapport à d’autres règlements : « Nous avons constaté que dans le cadre d’autres règlements, comme ceux concernant les externats, les gens se sentaient pressés, financièrement et émotionnellement, de régler leur revendication, et qu’ils réclamaient une indemnisation plus basse, une situation que plusieurs demandeurs semblaient regretter par la suite. »
Le règlement comprend le témoignage de 12 survivants de partout au pays. Le juge reconnaît qu’ils ont vécu des abus et des mauvais traitements semblables pendant leur participation au programme. Le juge Peter Pamel déclare : « Je dois dire que le tremblement de leurs voix pendant qu’ils racontaient leurs histoires était palpable, et le traumatisme reflété dans leurs yeux alors qu’ils revivaient leurs expériences était vraiment accablant; ce sont des histoires que tous les Canadiens devraient entendre. » Le règlement constate plus précisément ce qui suit :
Un grand nombre de survivants des foyers familiaux n’ont pas terminé leurs études secondaires en raison des nombreux abus subis qui leur ont laissé des cicatrices émotionnelles permanentes. Bien que plusieurs aient finalement tenté de retourner dans leur collectivité, ils ont réalisé qu’ils ne pouvaient tout simplement pas s’y intégrer. Ils ont dit être devenus des étrangers dans leur propre foyer, s’être repliés sur eux-mêmes et avoir eu le sentiment que leurs droits leur avaient été retirés, et avoir perdu confiance dans les autres, en particulier dans les personnes en position d’autorité. La plupart se sont tournés vers l’alcool et la drogue pour faire face à la douleur et à la souffrance, se sentant constamment oubliés, maltraités et abandonnés; ils ressentaient de la honte et se considéraient comme un fardeau pour la société plutôt que comme un contributeur. Lorsque le moment est venu d’élever leur propre famille, leur mariage a été dévoré par l’alcoolisme, la toxicomanie et la violence domestique, autant de mécanismes d’adaptation pour oublier leur souffrance et la douleur qu’ils ont dû endurer.
Le programme a un impact dévastateur sur la vie de milliers de survivants et de leurs familles en raison du traumatisme intergénérationnel qu’il provoque. (Voir aussi Traumatisme intergénérationnel et les pensionnats indiens.)
Demande d’excuses officielles
Malgré l’indemnisation financière, les survivants continuent de réclamer des excuses officielles de la part du gouvernement fédéral. Ils soutiennent que les excuses antérieures au sujet des pensionnats indiens ne tiennent pas suffisamment compte des préjudices particuliers infligés par le Programme des foyers familiaux indiens. Dans sa décision, le juge Pamel reconnaît les graves sévices et la déconnexion culturelle subis par les enfants du programme. Toutefois, comme le fait remarquer Reginal Percival : « Le premier ministre du Canada a l’obligation, je pense, de dire […] Je suis désolé pour ce qui s’est passé. Parce que certains d’entre nous ne sont jamais rentrés chez eux. »
Héritage
Le règlement insiste sur la nécessité d’offrir des services de soutien en santé mentale et affective tout au long de la procédure de demande d’indemnisation. Une fondation de 50 millions de dollars a été créée par le règlement en vue d’apporter un soutien continu aux survivants et à leur famille en veillant à ce qu’ils reçoivent les ressources nécessaires à la guérison, à la revitalisation linguistique et culturelle et à la commémoration. Le Programme des foyers familiaux indiens demeure une partie sous-étudiée de l’histoire canadienne comparativement à d’autres exemples de programmes gouvernementaux historiques d’éducation et de soins pour les enfants autochtones, comme les pensionnats indiens, les externats indiens et la rafle des années soixante, dont les répercussions sur les enfants, les familles et les collectivités autochtones sont bien documentées.