L’expression « un plat à une cuillère » désigne un concept propre aux peuples autochtones de la région des Grands Lacs et du nord-est de l’Amérique du Nord. Il servait à expliquer comment la terre pouvait être partagée pour le bénéfice mutuel de tous ceux qui l’habitaient. Selon les Haudenosaunee (Iroquois), le concept existe depuis des siècles et a beaucoup contribué à la création de la « Grande Ligue de paix », c’est-à-dire la Confédération des Cinq-Nations iroquoises, composée des Sénécas, des Cayugas, des Oneidas, des Onondagas et des Mohawks. Les Anishinaabes (soit les Ojibwes, les Odawas, les Potawatomis, les Mississaugas, les Saulteaux et les Algonquins) désignent « un plat à une cuillère », ou «notre plat» par l’expression « Gdoo – naaganinaa ».
Histoire, symbolisme et pratiques
Le concept d’un plat à une cuillère est souvent évoqué par les peuples autochtones lorsqu’ils négocient des traités de paix. Le plat représente la terre qui sera partagée pacifiquement, et la cuillère les personnes qui vivent sur la terre et qui utilisent ses ressources dans un esprit de coopération mutuelle. Parfois, au lieu d’un plat, on évoquera un bol ou une marmite.
La conclusion d’un traité est marquée par des cérémonies, au cours desquelles les parties échangent des ceintures de wampums qui symbolisent leur entente. Les ceintures de wampums sont ornementées de broderies de perles élaborées, représentant parfois un bol, une marmite ou une cuillère. Ce sont des objets de grande valeur, symboles d’une relation durable. Idéalement, les traités sont censés être valables pour une longue période. Les ceintures de wampums représentent l’inscription officielle de l’accord diplomatique. Comme les documents diplomatiques sur papier, leur fonction est d’assurer que chaque partie respecte ses engagements et de préserver la mémoire de l’accord.
La ceinture de wampum la plus connue est sans doute celle du traité conclu entre les Haudenosaunee et les Ojibwés avant l’arrivée des Européens. L’un des plus importants traités de paix entre ces peuples est ratifié à Montréal en 1701. Cet événement est appelé « La Grande Paix de Montréal ». Il s’agit d’un traité entre les Français (voir Nouvelle-France), les Haudenosaunee (Confédération iroquoise) et plusieurs autres nations autochtones. La Grande Paix de Montréal met fin aux guerres qui ont fait rage pendant plusieurs décennies au 17e siècle (voir Guerres iroquoises). À peu près 1 300 Autochtones sont présents. L’événement, qui dure deux semaines, est marqué par la fumée des calumets, l’échange de ceintures de wampums et des discours de chefs autochtones. Pendant ces discours, au moins un de ces chefs évoque le plat à une cuillère.
Traités avec les puissances européennes et les gouvernements coloniaux
Lorsqu’ils concluent des traités avec les puissances européennes et les gouvernements coloniaux, les peuples autochtones continuent à s’en remettre au concept d’un plat à une cuillère. Mais les Européens et les colons ont une conception complètement différente des traités, car ils adhèrent au principe de la propriété privée (voir Droit des biens). Pour cette raison, ils ne peuvent pas, ou ne veulent pas comprendre la signification de l’expression « un plat à une cuillère ». Pour cette raison, il y a souvent beaucoup de confusion chez les Autochtones lorsqu’ils concluent des traités. Ils croient que la terre sera partagée par tous, et non qu’elle deviendra la propriété exclusive et définitive d’une personne ou d’un groupe (voir Religion et spiritualité des Autochtones au Canada).
Parlant des traités passés entre les peuples autochtones et les gouvernements britannique et canadien au cours du 19e siècle, l’éducatrice autochtone de la Première Nation Peguis Wabi Benais Mistatim Equay (Cynthia Bird) remarque : « Les Premières Nations n’ont jamais envisagé que les conséquences à long terme […] des traités seraient qu’ils occuperaient moins de 3 % (3,5 millions d’hectares) de leur pays, dans les 617 petites collectivités que le gouvernement fédéral appelle “réserves”. »
Un plat à une cuillère dans le Canada contemporain
Récemment, plusieurs penseurs et personnalités autochtones ont exprimé l’idée que le concept d’un plat à une cuillère pourrait contribuer à sensibiliser le public à l’écologie et l’environnement durable. En effet, une des valeurs centrales d’un plat et une cuillère est que les personnes ou les groupes qui utilisent la terre ne doivent pas en abuser. En d’autres termes, ils ne doivent en tirer que ce dont ils ont besoin, afin d’en préserver les ressources à long terme. À ce propos, l’historienne et éducatrice ojibwée et métis Karine Duhamel écrit que « tous ceux qui participent à l’accord [ou au traité] sont responsables d’assurer que l’assiette ne se videra jamais, en prenant soin de la terre et de tous les êtres vivants qui s’y trouvent ».
Outre la durabilité environnementale, une autre idée importante inhérente au concept d’un plat à une cuillère est la relation entre les différentes nations autochtones. Leanne Simpson, une experte des Anishinaabes, soutient qu’un plat à une cuillère permet aux Premières Nations de reconnaître mutuellement leur indépendance et leurs identités distinctes. Selon la philosophie d’un plat à une cuillère, les parties d’un traité partagent la terre, mais conservent leur souveraineté. En d’autres termes, un plat à une cuillère reconnaît la diversité des nations et des cultures autochtones.
Ces dernières années, des institutions canadiennes ont commencé à reconnaître officiellement qu’elles sont situées sur des territoires autochtones en publiant des déclarations de reconnaissance territoriales. Ces déclarations sont habituellement faites lors de l’ouverture de réunions, d’événements ou de cérémonies. Les collèges et les universités ont été parmi les premières institutions à publier de telles déclarations. En 2017, sept d’entre elles faisaient allusion au concept d’un plat à une cuillère. Par exemple, la déclaration de reconnaissance territoriale de l’Université McMaster se lit ainsi :
Nous aimerions commencer par reconnaître que la terre sur laquelle nous sommes réunis est le territoire traditionnel des Haudenosaunee et des Anishinaabes. Ce territoire est couvert par les traités du Haut-Canada, fait partie des terres protégées par l’accord wampum d’« un plat à une cuillère » et est directement adjacent au territoire du Traité Haldimand.
La déclaration de l’Université de Toronto (campus de Mississauga) est similaire :
Nous aimerions commencer par reconnaître que la terre sur laquelle nous sommes réunis est le territoire traditionnel des Haudenosaunee et des Anishinaabes. Ce territoire est couvert par les traités du Haut-Canada et fait partie des terres protégées par l’accord wampum d’« un plat à une cuillère ».
Signification
« Un plat à une cuillère » est un concept qui permettait aux peuples autochtones de la région des Grands Lacs et du nord-ouest de l’Amérique du Nord de négocier des accords de paix et d’assurer un mode de vie durable. Toutefois, ce concept a fait en sorte que les peuples autochtones n’ont pas bien compris les implications des traités qu’ils concluaient avec les puissances européennes et les gouvernements coloniaux au cours de l’histoire. Tandis que les Européens et les colons considéraient que ces traités leur conféraient un contrôle définitif du territoire, les peuples autochtones croyaient qu’ils partageraient la terre (voir Droit des biens et Religion et spiritualité des Autochtones au Canada). Jusqu’à tout récemment, le concept d’« un plat à une cuillère » était peu connu en dehors des collectivités autochtones. Depuis les années 2010, de plus en plus de Canadiens en connaissent l’existence. Ceci contribuera peut-être à susciter un esprit de réconciliation, puisque la connaissance de l’histoire, de la culture et de la philosophie autochtones est la première étape d’un tel processus.