La variole est une maladie infectieuse causée par un virus. Elle fait son entrée dans ce qui est aujourd’hui le Canada avec l’arrivée des colons français au début du 17esiècle. En raison de leur système immunitaire totalement dépourvu de défenses naturelles face au virus, les Autochtones qui y sont exposés présentent des taux d’infection et de mortalité désastreux. À partir de 1768, l’inoculation de bras à bras se répand en Amérique du Nord, tandis qu’à compter du début du 19esiècle, les progrès de la vaccination permettent de contrôler la propagation de la variole. Des efforts de santé publique contribuent également à réduire les taux d’infection. Au cours du 20esiècle, des scientifiques canadiens participent aux efforts d’éradication de la variole menés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui sont couronnés de succès en 1979. Des échantillons du virus sont toutefois conservés aux fins de recherche et de sécurité.
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Une femme atteinte de la variole à l'Île-du-Prince-Édouard, vers. 1909.
Qu’est-ce que la variole?
La variole est une maladie infectieuse la plus souvent causée par le virus Variola major et dont les symptômes comprennent de la fièvre, des maux de tête, des vomissements, des plaies buccales et des éruptions cutanées étendues. Celles-ci se manifestent sous forme de cloques et de gales qui laissent de profondes cicatrices ou « poques ». La variole peut également provoquer la pneumonie, la cécité et des infections aux articulations et aux os. La maladie existe sous une forme moins virulente appelée alastrim, causée par le virus Variola minor.
La variole se propage par des gouttelettes de salive et par tout contact avec une éruption infectieuse. Elle peut non seulement être transmise entre personnes, mais également par l’entremise d’objets contaminés. La variole causée par le virus Variola major présente un taux de mortalité de 30 %, tandis que le taux pour la variole provoquée par Variola minor n’est tout au plus que de 1 %.
Épidémies de variole en Nouvelle-France
Dès son arrivée en Amérique au 16e siècle avec l’expansion outre-Atlantique des empires européens, la variole terrifie et décime les populations locales. On la signale pour la première fois en Nouvelle-France en 1616 près de Tadoussac, premier poste de traite des fourrures de la colonie. Ce négoce florissant entraîne l’exposition répétée de la maladie aux communautés innues et algonquines de la région, entraînant l’infection puis la mort de bon nombre de leurs membres, dont le système immunitaire est dépourvu de défenses naturelles face au virus. La maladie se propage ensuite dans les régions des Maritimes, de la baie James et des Grands Lacs.
Entre 1634 et 1640, les prêtres jésuites introduisent la variole à Wendake (en Huronie), à l’ouest du lac Simcoe et au sud de la baie Georgienne. Bien qu’ils soient à l’origine de la propagation de la maladie, les prêtres insistent pour baptiser les Hurons-Wendat qui en sont malades et mourants. En proie à la variole ainsi qu’à d’autres maladies infectieuses, la population huronne-wendat perd environ 60 % de ses membres vers 1640.
La variole joue un rôle capital dans les luttes opposant Français, Britanniques et Américains pour la mainmise sur la région du Saint-Laurent. En 1732-1733, une épidémie de variole balaie Louisbourg, un établissement français situé dans ce qui est aujourd’hui la Nouvelle-Écosse. Elle emporte au moins 150 personnes, dont des esclaves emmenés de force dans la colonie. Louisbourg est victime d’une autre épidémie en 1755, la pire qu’aura connue la Nouvelle-France, comme manifestation locale d’une épidémie globale qui sévit en Amérique du Nord de 1755 à 1782. Pendant la guerre de Sept Ans, une épidémie contraint Vaudreuil, commandant des forces françaises, à repousser son plan d’invasion du fort Oswego dans l’État de New York actuel. Sous le commandement de Jeffrey Amherst, les Britanniques se servent quant à eux de couvertures exposées à la variole comme armes de guerre bactériologique pour tenter de mater la résistance des Premières Nations dirigée par Obwandiyag (Pontiac). En 1775, en pleine Révolution américaine, les troupes américaines assiégeant la ville de Québec sont frappées par la variole.
Épidémies de variole dans les Prairies
La propagation du virus suit l’établissement toujours plus à l’ouest des postes de traite des fourrures. Des années 1779 à 1783, la variole gagne des régions qui font aujourd’hui partie du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta. Certaines communautés des peuples autochtones des Plaines perdent les trois quarts ou même davantage de leurs membres. On estime par ailleurs que plus de la moitié des membres des Premières Nations vivant le long de la rivière Saskatchewan (territoire des Nehiyawak, Saulteaux, Assiniboines et Niitsitapi) décèdent ou bien de l’épidémie de variole, ou bien de la famine qui en découle.
En 1838, une seconde épidémie de variole émerge dans les Prairies. Son vecteur est le passager infecté d’un navire à vapeur de l’American Fur Company sur la rivière Missouri. Le capitaine refuse d’arrêter son navire ou de le mettre en quarantaine. Le virus finit par atteindre les forts Union puis McKenzie, correspondant respectivement de nos jours au Dakota du Nord et au Montana. Des commerçants issus de diverses nations, dont les Assiniboines et les Niitsitapi (Pieds noirs) fréquentent à l’époque les postes de traite américains qui sont ainsi touchés.
À la suite de ces deux épidémies dans les Prairies, les employés de la Compagnie de la Baie d’Hudson se mettent à administrer des inoculations et à en enseigner la technique. La variole contribue tout de même à bouleverser les structures de pouvoir et les alliances, ainsi que l’utilisation et l’occupation des terres. Décimés par la mort de presque tous leurs membres, certains groupes culturels distincts disparaissent entièrement, leurs survivants étant parfois contraints à s’assimiler à d’autres groupes ethniques.
En 1870, les communautés de Métis de ce qui est aujourd’hui le centre de l’Alberta sont victimes d’une épidémie de variole. La population métisse de St. Albert diminue d’environ 37 % au cours de cette seule année.
Épidémie de variole en Colombie-Britannique
La variole fait son apparition dans le Nord-Ouest du Pacifique vers la fin du 18e siècle. Dans les dernières années de la décennie 1770, elle emporte de nombreux membres des communautés Tlingit, Haida, Kwakwa̱ka̱’wakw, Nuu-chah-nulth, Salish et Ktunaxa. Au cours de l’année 1782 seulement, la maladie cause la mort des deux tiers environ des Stó:lō.
En 1862, une personne infectée par la variole et arrivée de San Francisco à bord d’un navire à vapeur met le pied à Victoria. La maladie se propage à un campement au nord de la ville, lieu de séjour de commerçants issus de nombreuses Premières Nations. Les rares efforts déployés par les colons pour endiguer la maladie sont à l’époque plutôt décousus. Certains d’entre eux exigent l’expulsion des Autochtones des communautés coloniales, imaginant pouvoir ainsi se protéger de la maladie. Avec le retour au sein de leurs communautés de ceux des leurs qui séjournaient au sein du campement touché, la maladie se répand dans les colonies de l’île de Vancouver et d’ailleurs en Colombie-Britannique. Ses effets dévastateurs sont observés chez de nombreux peuples, dont les nations Tlingit, Heiltsuk, Haida, Tsimshian et Tŝilhqot’in, ainsi que certaines nations Salish de la côte et Salish du continent. Le long de la côte seulement, quelque 14 000 Autochtones en meurent, pour environ la moitié de la population totale de la région.
L’épidémie de 1862 laisse dans son sillage des fosses communes, des campements vidés de leurs âmes et des survivants éplorés. Elle entraîne également de graves répercussions sur la gouvernance des nations, car ses victimes emportent dans la mort leurs histoires, leurs connaissances et leur savoir-faire. Ce déclin démographique massif permet aux colons de s’installer plus profondément encore dans territoires autochtones sans devoir établir de relations assujetties aux traités. Qui plus est, la crainte de la variole est l’une des causes de la guerre de Chilcotin de 1864 (voir Tŝilhqot’in).
Vaccinations, santé publique et résistance
À partir de 1768 se répand en Amérique du Nord la « variolisation de bras à bras », une technique d’inoculation qui recourt au virus vivant de la variole, contribuant ainsi à limiter la propagation de la maladie. En 1798, un vaccin plus sûr est introduit sur le continent par le révérend John Clinch. Après la Confédération, les provinces rendent obligatoire la vaccination des écoliers, tout en adoptant des lois permettant aux municipalités et aux villages de procéder à une vaccination générale en cas de menace d’épidémie. Nombreux sont ceux, cependant, qui s’opposent à la vaccination obligatoire. Les partisans du camp anti-vaccination mettent en doute la salubrité des conditions entourant l’administration des vaccins, tout en considérant les vaccins comme autant de moyens pour les services de santé publique d’éviter de recourir à des mesures sanitaires plus coûteuses. D’autres croient que les vaccins sont autant de sources de maladies et de souffrances. Enfin, certains estiment que la vaccination obligatoire constitue une violation des droits individuels. Notamment, de nombreux Canadiens français de Montréal s’opposent à la vaccination lors d’une grave épidémie de variole en 1885. La ville est en proie à des émeutes, en partie en réaction aux tentatives par les autorités de faire appliquer les mesures de contrôle.
Oeuvre de Henri Julien (1876). En savoir plus sur cette image : artefact M993X.5.1135.
20e siècle et éradication
La production moderne de vaccins contre la variole voit le jour au Canada en 1916. En 1924, une épidémie notable se produit néanmoins à Windsor, en Ontario. 67 personnes non vaccinées contractent alors la maladie; du nombre, 32 en décéderont. La variole persiste au Canada jusqu’en 1946, date à laquelle les campagnes de vaccination parviennent finalement à son élimination. L’éradication mondiale menée par l’OMS doit cependant attendre à 1979, au bout d’une campagne de dix ans en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie. La variole devient ainsi la première grande maladie éradiquée par des mesures de santé publique.
Les scientifiques canadiens jouent un rôle capital dans cette éradication. Les Laboratoires Connaught, basés à Palmerston, en Ontario, mènent des consultations sur la production de vaccins aux quatre coins des Amériques. De 1980 à 2001, les Laboratoires Connaught et les sociétés qui les succèdent maintiennent des échantillons de variole dans un congélateur aux fins de développement de vaccins à l’avenir. Dans le contexte de crainte de bioterrorisme qui suit le 11 septembre, la société pharmaceutique Aventis Pasteur prend possession de ces échantillons dans l’objectif de constituer de nouveaux stocks de vaccin.