L’affaire Airbus est un scandale politique qui commence à la fin des années 1980 et se termine autour de 2010. Le scandale concerne l’achat d’aéronefs de passagers pour la société Air Canada (qui était alors une société d’État) par le gouvernement du premier ministre Brian Mulroney dans les années 1980. On allègue que l’homme d’affaires germano-canadien, Karlheinz Schreiber, a soudoyé Brian Mulroney pour qu’il achète des avions Airbus. Le premier ministre déclare qu’il n’a pas agi de manière inappropriée et que les allégations font partie d’une campagne de salissage. Il poursuit le gouvernement fédéral pour une somme de 50 millions de dollars. Finalement, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) met fin à son enquête sans porter d’accusations. Le gouvernement règle à l’amiable avec Brian Mulroney en 1997. Il est cependant établi par la suite que le premier ministre a effectivement agi de manière inappropriée et qu’il a reçu au moins 225 000 dollars en espèces.
Entente Airbus
Sous le mandat du premier ministre Brian Mulroney, Air Canada est une société d’État, c’est-à‑dire une entreprise publique détenue par le gouvernement fédéral. Sa flotte se compose principalement d’aéronefs acquis auprès de sociétés américaines, britanniques et canadiennes.
Air Canada a besoin d’une nouvelle flotte d’avions de ligne régionaux. Airbus, un avionneur européen multinational, peine à pénétrer le marché du transport aérien nord-américain. À l’époque, le marché est dominé par des constructeurs d’aéronefs américains, notamment Boeing, qui fournit également à Air Canada la plupart de ses appareils.
En 1988, alors que Brian Mulroney est premier ministre, Airbus remporte le contrat d’achat par Air Canada de 34 appareils Airbus A320 au coût de 1,8 milliard de dollars.
En 2008, des documents secrets américains révèlent que les efforts d’Airbus pour convaincre les représentants du gouvernement canadien d’acheter ses avions commencent dès 1979. Ces efforts s’intensifient après 1984, pendant le mandat de Brian Mulroney. Ce même rapport allègue que l’ancien premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, Frank Moores, conçoit une stratégie complexe pour conclure l’accord avec Airbus. La vente d’avions à Air Canada devait permettre à Airbus de pénétrer le lucratif marché nord-américain.
L’un des éléments de cet accord consiste à convaincre l’entrepreneur canadien en aviation, Max Ward, d’acheter des long-courriers à large fuselage Airbus A310-300 plutôt que des Boeing 767 de son concurrent américain. Max Ward achète finalement ces aéronefs, bénéficiant à la fois d’un mécanisme de financement généreux et de droits exclusifs en matière de droits de route et d’atterrissage à l’aéroport Charles de Gaulle, à Paris. Ces aéronefs sont finalement vendus aux Forces armées canadiennes en 1992 et deviennent les avions de transport et de ravitaillement stratégiques CC-150 Polaris.
Karlheinz Schreiber
Karlheinz Schreiber est un citoyen germano-canadien principalement connu comme homme d’affaires, lobbyiste, collecteur de fonds et marchand d’armes. Au moment où il est soupçonné d’être impliqué dans l’affaire Airbus, il est basé à Calgary. Il collecte depuis longtemps des fonds pour le Parti progressiste-conservateur de l’Alberta. Il entretient également des relations d’affaires avec plusieurs grandes entreprises industrielles européennes, telles qu’Airbus et Thyssen.
Karlheinz Schreiber est soupçonné d’être au centre de l’affaire Airbus. Il est accusé d’avoir versé à Brian Mulroney des pots-de-vin d’une valeur de 300 000 dollars afin d’aider Airbus à obtenir le contrat d’Air Canada. Karlheinz Schreiber prétend avoir versé les pots-de-vin en trois fois, à raison de 100 000 dollars chacun, et que Brian Mulroney a reçu le premier versement le 27 août 1993. Ce dernier n’est plus premier ministre, mais il est toujours député. Les allégations selon lesquelles Brian Mulroney aurait reçu des pots-de-vin d’Airbus remontent à 1989.
Karlheinz Schreiber à la Cour supérieure de l’Ontario
Karlheinz Schreiber se présente à la Cour supérieure de l’Ontario, à Toronto, le 29 mai 2000, pour une audience. Il s’oppose aux tentatives de l’Allemagne de l’extrader sur la base d’allégations de fraude fiscale, d’abus de confiance et de corruption.
(photo par Aaron Harris, avec la permission de Getty Images)
Enquête de la GRC
Le 29 septembre 1995, un avocat du ministère de la Justice du Canada envoie une lettre aux autorités suisses pour leur demander de l’aide dans le cadre d’une enquête sur les activités de corruption présumées de Karlheinz Schreiber, de Frank Moores et de Brian Mulroney. Le 8 novembre 1995, les avocats de Brian Mulroney communiquent avec le ministre de la Justice de l’époque, Allan Rock, pour s’opposer au libellé de la lettre envoyée aux autorités suisses. Plus tard le même mois, la situation est décrite pour la première fois dans les principaux journaux canadiens.
Le 20 novembre 1995, Brian Mulroney intente une poursuite pour diffamation de 50 millions de dollars contre le gouvernement du Canada. En juillet 1996, la Cour fédérale établit que la lettre envoyée par la GRC aux autorités suisses viole les droits constitutionnels de Karlheinz Schreiber. Cette décision suspend l’enquête de la GRC. En janvier 1997, le ministère de la Justice conclut un règlement à l’amiable avec Brian Mulroney sur la question de la diffamation. L’enquête de la GRC sur l’affaire Airbus n’en est pas pour autant suspendue.
En mai 1998, la Cour suprême du Canada établit que le gouvernement canadien a agi correctement en demandant l’aide des autorités suisses. (Voir aussi Affaire Schreiber.) On sait dès 1999 que Karlheinz Schreiber dispose d’un système codé pour identifier ses comptes bancaires suisses. La même année, un journal allemand révèle que Karlheinz Schreiber a versé des millions de marks allemands en pots-de-vin à de hauts fonctionnaires du Parti de l’union démocratique chrétienne, l’un des partis politiques les plus puissants d’Allemagne. Cette affaire devient l’un des plus grands scandales politiques de l’histoire allemande. Elle conduit les autorités allemandes à demander l’extradition de Karlheinz Schreiber.
Le 22 avril 2003, la GRC annonce la fin de son enquête sur l’affaire Airbus. Plus tard cette même année, en novembre, le public entend parler pour la première fois des 300 000 dollars versés par Karlheinz Schreiber à Brian Mulroney. En 2205, Karlheinz Schreiber est extradé en Allemagne pour faire face à des accusations d’évasion fiscale, de corruption et de fraude.
Conséquences
Le gouvernement fédéral règle à l’amiable la poursuite en diffamation de Brian Mulroney en 1997. Il lui verse une somme pour l’indemniser et couvrir ses frais juridiques. Une enquête menée par l’émission The Fifth Estate de la CBC dévoile plus tard que Brian Mulroney a rencontré Karlheinz Schreiber dans un hôtel de Zurich en 1998 pour déterminer si ce dernier disposait encore d’éléments de preuve susceptibles de l’impliquer.
Le scandale entraîne également la tenue d’un examen approfondi des activités de lobbying de Karlheinz Schreiber. Bien que celui-ci n’ait jamais été reconnu coupable d’un quelconque crime au Canada, l’enquête révèle finalement ses activités illégales en Allemagne, provoquant là-bas un immense scandale politique. L’enquête de la GRC révèle en outre des preuves de l’implication possible de Karlheinz Schreiber dans deux autres projets visant à développer les affaires d’entreprises allemandes au Canada : un projet de lobbying auprès du gouvernement canadien pour l’achat d’hélicoptères Eurocopter destinés à la Garde côtière canadienne et un projet de construction d’une usine de véhicules blindés à l’île du Cap-Breton pour aider le géant industriel allemand Thyssen à contourner les lois allemandes sur le contrôle des armes.
Au cours de l’enquête du comité sur l’éthique de la Chambre des communes en 2007, Brian Mulroney admet avoir reçu des paiements en espèces de Karlheinz Schreiber, mais maintient que cela s’est produit alors qu’il avait quitté ses fonctions en 1993. Il déclare également qu’il n’a reçu que 225 000 dollars et que cette somme lui avait été versée pour le lobbying qu’il avait fait pour le compte de Thyssen. Brian Mulroney admet en outre avoir attendu jusqu’en 1999 pour déclarer les gains dans son impôt. Karlheinz Schreiber conteste tous ces points lors de son témoignage devant ce même comité, affirmant que Brian Mulroney a touché les 300 000 dollars en espèces alors qu’il était toujours premier ministre (une entorse majeure à l’éthique), et que l’argent était versé pour des services de lobbying auprès du gouvernement canadien, et non de gouvernements étrangers.
Brian Mulroney, ancien premier ministre du Canada
Brian Mulroney se prépare à témoigner devant le comité sur l’éthique de la Chambre des communes à Ottawa, le 13 décembre 2007, au sujet de ses relations avec l’homme d’affaires germano-canadien Karlheinz Schreiber.
(GEOFF ROBINS/AFP avec la permission de Getty Images)
Commission Oliphant
La commission Oliphant marque le dernier chapitre de cette saga. Menée en 2008‑2009, elle publie son rapport final en 2010. La commission se concentre sur les relations d’affaires et personnelles entre Karlheinz Schreiber et Brian Mulroney. Elle n’a pas pour mandat d’établir des manquements au droit civil ou au droit criminel. Elle établit néanmoins que Brian Mulroney et Karlheinz Schreiber entretiennent une relation d’affaires inappropriée, qu’ils se sont entendus pour cacher leurs relations d’affaires au public et aux autorités fiscales canadiennes et que Brian Mulroney a effectivement reçu au moins 75 000 dollars en espèces de Schreiber à trois occasions différentes (au moins 225 000 dollars au total) sans autre raison apparente. Le rapport détermine en outre que Brian Mulroney a agi de manière inappropriée à plusieurs reprises en ne divulguant pas ces paiements.
(Voir aussi Affaire Schreiber; Corruption politique.)