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La Journée du chandail orange

En mai 2013, lors d’un événement organisé en l’honneur des survivants des pensionnats indiens, à Williams Lake en Colombie‑Britannique, le chandail orange a été présenté comme un symbole des souffrances des peuples autochtones causées par les pensionnats indiens, qui ont été opérationnels des années 1830 aux années 1990. Cet événement a mené à la création de la Journée annuelle du chandail orange du 30 septembre comme moyen de commémoration, d’enseignement et de guérison. En juin 2021, le gouvernement fédéral a déclaré le 30 septembre un jour férié national pour coïncider avec la Journée du chandail orange. (Voir aussi Réconciliation au Canada.)

Les pensionnats indiens au Canada

Les pensionnats indiens sont des institutions parrainées par l’État et gérées par l’Église, créées pour assimiler les enfants autochtones à la culture canadienne dominante par le biais d’approches européennes d’éducation et par la pratique consistant à isoler les enfants de leurs familles et communautés. Ce processus est traumatisant pour les enfants et il cause des dommages durables aux communautés auxquelles ils sont arrachés. Depuis l’ouverture des premiers pensionnats indiens dans les années 1830 jusqu’à la fermeture de la dernière école en 1996, environ 150 000 enfants inuits, métis et des Premières Nations sont enlevés de force à leurs foyers et envoyés dans plus de 130 établissements. De nombreux enfants sont battus et sont victimes d’abus sexuels. En 2021, de potentielles tombes anonymes sont découvertes à côté d’un certain nombre de sites de pensionnats indiens abandonnés. On estime que plus de 6000 enfants sont morts dans ces établissements.

Aborder la question du legs des pensionnats indiens

Des générations d’Autochtones subissent des dommages émotionnels à vie en raison des horreurs causées par ces institutions. (Voir aussi Traumatisme intergénérationnel et les pensionnats indiens.) À partir des années 1980, des actions en justice sont intentées par un certain nombre de survivants qui demandent une indemnisation au gouvernement fédéral. Ces actions en justice évoluent jusqu’à devenir le plus grand recours collectif de l’histoire du Canada. Le gouvernement reconnait éventuellement les dommages que les pensionnats indiens ont causés aux peuples autochtones et en 2006, il signe la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens. Parmi les cinq principales dispositions de cette convention figure la création d’une Commission de vérité et réconciliation. Son objectif est de documenter ce qui s’est passé dans ces pensionnats, d’en évaluer les impacts durables, et de formuler des recommandations sur la façon dont les relations entre le Canada et les nations autochtones pourraient aller de l’avant.

Le gouvernement fédéral crée la Commission de vérité et réconciliation le 1er juin 2008. Elle est présidée par le juge en chef Murray Sinclair. Dix jours plus tard, l’ancien premier ministre Stephen Harper se lève à la Chambre des communes et présente des excuses officielles au nom de la population canadienne pour les pensionnats indiens. Ces excuses sont rejetées par certains, mais elles sont accueillies favorablement par de nombreux peuples et communautés autochtones. La présidente de l’Inuit Tapiriit Kanatami de l’époque, Mary Simon, fait partie des dirigeants et dirigeantes autochtones qui sont invités à entendre les excuses du premier ministre, puis à y répondre à la Chambre des communes. Elle applaudit le geste, mais elle déclare qu’il ne s’agit que d’une première étape dans un long processus de guérison. Elle dit : « Ce ne sera possible que lorsque la dignité, la confiance ainsi que le respect des valeurs traditionnelles et des droits de la personne feront à nouveau partie de notre quotidien et seront reflétés dans nos relations avec les gouvernements et les autres Canadiens. »

Début de la Journée du chandail orange

En mai 2013, le St. Joseph Mission Commemoration Project and Reunion (projet de commémoration et de retrouvailles du pensionnat indien St. Joseph Mission) réunit des survivants de ce pensionnat et leurs familles à Williams Lake, en Colombie‑Britannique. Cet événement est l’idée du chef Fred Robbins de la Première Nation d’Esk'etemc (Alkali Lake), lui‑même un survivant. Sa vision est de témoigner de l’expérience des pensionnats indiens comme moyen d’honorer les survivants, d’aider à la guérison, et de contribuer à la réconciliation.

Parmi les personnes qui prennent la parole lors de l’événement figure Phyllis Webstad, une Secwepemc du Nord (Shuswap). Elle raconte qu’en 1973, elle vivait avec sa grand‑mère sur la réserve Dog Creek, dans la vallée du Fraser en Colombie‑Britannique centrale. Lorsqu’elle a eu six ans, elle s’est rendue avec sa grand‑mère au magasin Robinson local pour acheter une nouvelle tenue pour commencer l’école. Elle était fière de son chandail orange vif, lacé sur le devant.

Comme sa grand‑mère et sa mère avant elle, Phyllis Webstad est envoyée dans un pensionnat indien. Immédiatement après son arrivée, elle et les autres enfants sont déshabillés et forcés de mettre des vêtements différents. Elle n’a jamais revu son chandail orange. Elle déclare plus tard : « Je ne comprenais pas pourquoi ils ne me le redonnaient pas, il était à moi! La couleur orange m’a toujours rappelée que mes sentiments n’ont pas d’importance, que personne ne se soucie de moi et que je ne vaux rien. Nous étions tous des petits enfants en pleurs et personne ne s’en souciait. »

De cet événement à Williams Lake et du discours de Phyllis Webstad naît l’idée d’adopter le chandail orange comme symbole de souvenir, d’enseignement et de guérison. Les organisateurs du Williams Lake Commemoration Project and Reunion initient la formation d’un conseil d’administration et sollicitent des dons privés et corporatifs. Le conseil fait la promotion de la Journée annuelle du chandail orange à l’échelle du Canada afin d’inviter d’autres personnes à se joindre à des conversations sur le legs des pensionnats indiens. La date du 30 septembre est choisie parce que c’est le jour où, durant des générations, les enfants autochtones ont été enlevés à leur foyer et forcés d’aller dans les pensionnats indiens. Le juge en chef Murray Sinclair apporte son soutien à la Journée du chandail orange en déclarant que cette journée fait partie de l’effort de réconciliation nationale en cours, car toutes les anciennes victimes des pensionnats indiens ont des histoires similaires. Le message et le slogan de la Journée du chandail orange deviennent « Chaque enfant compte ».

En juillet 2014, l’Assemblée générale des chefs qui est à l’Assemblée des Premières Nations adopte une résolution déclarant que le 30 septembre est la Journée du chandail orange. Cette résolution engage les membres à faire connaitre cette journée et à diffuser son message. Elle demande à tous les Canadiens et Canadiennes d’écouter, « avec un cœur ouvert », les récits des survivantes et des survivants des pensionnats indiens pour faire « un premier pas vers la réconciliation ».

Dans le cadre de l’initiative de la Journée du chandail orange, le First Nations Education Steering Committee élabore des programmes d’études de 5e année et de 10e année pour enseigner aux enfants l’histoire des pensionnats indiens et de la réconciliation. Ce programme est adopté, pour la première fois, par le district scolaire 27 de Cariboo‑Chilcotin en 2013, et par la suite dans toute la Colombie‑Britannique. Le 30 septembre 2020, des idées et des ressources sur la Journée du chandail orange sont utilisées à travers le Canada par les enseignants, et la journée est commémorée par les élèves qui portent la couleur orange dans les écoles, les collèges et les universités dans tout le pays.


Un jour férié national

En décembre 2015, la Commission de vérité et réconciliation publie son rapport. Il déclare que les pensionnats indiens représentent un génocide culturel. Il énonce 94 appels à l’action, et parmi ceux-ci figure l’établissement d’un jour férié national pour commémorer les horreurs des écoles et pour contribuer à la guérison. (Voir aussi Génocide et peuples autochtones au Canada.)

En mars 2019, la Chambre des communes adopte un projet de loi désignant le 30 septembre comme Journée nationale de la vérité et de la réconciliation. Cependant, des élections sont déclenchées avant que le projet de loi ne soit adopté par le Sénat.

En mai 2021, 215 potentielles tombes anonymes sont découvertes à côté d’un ancien pensionnat indien sur le territoire de la Première Nation Tk'emlúps te Secwépemc, près de Kamloops en Colombie‑Britannique. Au cours des semaines suivantes, d’autres potentielles tombes anonymes sont découvertes à côté d’autres pensionnats indiens abandonnés. Ces macabres découvertes renouvellent les appels à l’imputabilité, à la réconciliation, et au jour férié national.

Le 3 juin 2021, après son adoption unanime à la Chambre des communes, le projet de loi C‑ 5 est adopté à l’unanimité au Sénat. Le projet de loi instaure le 30 septembre comme nouveau jour férié national : la Journée nationale pour la vérité et la réconciliation. En proposant ce projet de loi, le ministre du Patrimoine canadien Steven Guilbeault déclare qu’il espère que cette journée deviendra, tout comme le jour du Souvenir, une occasion pour toutes et tous d’apprendre et de réfléchir.

Alors qu’il est prévu de fermer tous les bureaux fédéraux le 30 septembre 2021 pour la première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation au Canada, les gouvernements de l’Ontario, de la Saskatchewan, du Nouveau‑Brunswick, du Québec et de l’Alberta annoncent qu’ils ne reconnaissent pas cette journée comme un jour férié provincial. En 2024, le Nouveau-Brunswick, la Colombie-Britannique, l’Île-du-Prince-Édouard, le Manitoba, les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut et le Yukon déclarent tous la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation comme étant un jour férié.

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