Les peuples autochtones au Canada ont joué un rôle essentiel dans la traite des fourrures du début du 17e siècle au milieu du 19e siècle. Ils fournissaient des fourrures d’animaux, dont les très recherchées peaux de castor, aux commerçants européens qui, à leur tour, leur offraient des articles manufacturés tels que des récipients de cuisson, des perles, des textiles et des armes. Bien que certains historiens aient par le passé présenté la traite des fourrures comme un échange commercial essentiellement inégal, elle était menée selon les coutumes et principes des Premières Nations, et a permis de créer des liens très proches avec des étrangers et parfois même de transformer des ennemis en alliés. Lorsque les commerçants européens arrivent en Amérique du Nord, ils entrent dans un territoire autochtone, où les conditions sont fixées par les Autochtones, et ne réalisent leurs déplacements et leur commerce qu’avec la coopération et la bonne volonté des Premières Nations. Les peuples autochtones enseignent aux nouveaux arrivants européens les comportements à adopter dans la traite de la fourrure, en soulignant l’importance des cadeaux, de la réciprocité et des obligations familiales. Du point de vue autochtone, la traite des fourrures est donc autant une affaire de famille, de coopération et de réciprocité qu’une activité commerciale et d’échange.
Commerce du castor
Un chasseur innu déclare au père Paul Le Jeune en 1634 : « Le Castor fait tout à la perfection : il fabrique des bouilloires, des hachettes, des épées, des couteaux, du pain; bref, il fait absolument tout. » Bien entendu, c’est à la blague que le chasseur innu tient de tels propos au missionnaire français. Sa métaphore n’est toutefois pas si éloignée de la réalité, les peuples autochtones reconnaissant le castor comme un animal extraordinaire grandement recherché par les colonisateurs français et anglais en Amérique du Nord.
Pour les commerçants français, l’objet le plus prisé est le castor gras, qui fait référence aux peaux de castor usées qui ont déjà été portées sous forme de manteaux, de robes ou de couvertures par les hommes, les femmes et les enfants autochtones depuis plus d’un an. Pour leur part, les Autochtones ne comprennent pas trop pourquoi les Européens se donnent tant de mal pour acquérir de vieux manteaux de castor. Les peaux de castor gras sont aussi prisées parce que la friction constante, la transpiration et les huiles corporelles naturelles ont pour effet de détacher les poils de protection externes plus grossiers, exposant ainsi le doux duvet au-dessous; les fourreurs et les chapeliers européens sont ainsi en mesure d’exercer leur métier plus facilement.
En échange de leurs manteaux de castor usés, les peuples autochtones reçoivent des objets en métal et d’autres marchandises de valeur qui remplissent une variété de rôles utilitaires, ornementaux et spirituels dans leurs sociétés respectives. La traite des fourrures apparaît à l’origine comme un processus d’échange mutuellement bénéfique par lequel les Premières Nations échangent leurs peaux de castor usées contre des biens commerciaux à même de transformer leur mode de vie (dont des armes en métal et des armes à feu).
Biens commerciaux européens
Au début, les locuteurs de langues algonquiennes (comme les Anichinabés et les Cris) décrivent les marchandises françaises et anglaises – perles de verre et de porcelaine, miroirs, couvertures en tissu, bouilloires en cuivre, haches, couteaux, fusils, grenaille et poudre à fusil – comme du manitou (ou manidoo). Dans la culture anichinabée, ce concept décrit quelque chose qui dépasse les capacités humaines et qui peut contrôler et manipuler le monde naturel d’une manière extraordinaire. Les peuples parlant les langues sioux (comme les Dakotas et les Lakotas) emploient le mot wašicuŋ, au lieu de manidoo, pour décrire le pouvoir sacré perçu dans ces nouvelles technologies et ces marchandises commerciales. (Voir Religion et spiritualité des Autochtones au Canada et Langues autochtones au Canada.)
Les peuples autochtones ayant accès aux armes et aux biens commerciaux européens peuvent avoir, dans certains cas, convoité ces échanges pour leur propre bénéfice, sans nécessairement vouloir que leurs voisins – qui étaient des rivaux ou des ennemis potentiels – en profitent eux aussi. L’accès à ces puissantes technologies et marchandises commerciales redéfinit à certains endroits les frontières géopolitiques de l’Amérique du Nord autochtone.
Avantages militaires
Cet accès privilégié aux commerçants européens permet à certaines nations autochtones de tirer parti de leurs relations avec des peuples plus éloignés. Par exemple, les Cris de Basquia et de Pegogamaw, des bras inférieurs nord et sud de la rivière Saskatchewan, assument le contrôle de la traite des fourrures de l’Ouest canadien en jouant principalement un rôle d’intermédiaire. Ils échangent des biens européens, dont ils gonflent le prix, contre les fourrures produites par des bandes autochtones éloignées.
Dans d’autres cas, l’accès exclusif aux armes européennes permet aux Premières Nations de dominer carrément leurs rivaux sur le plan militaire. C’est le cas des Haudenosaunee, qui profitent d’un accès privilégié aux armes en fer et aux armes à feu par l’entremise de leurs partenaires commerciaux néerlandais à Fort Orange (Albany, New York). Cela aura peut-être même été un facteur déterminant dans leur conquête du territoire wendat (parfois appelé Huronie) en 1649-1650. Au début du 19e siècle, les Cris des Plaines, les Saulteaux (Ojibwés des Plaines), les Nakodas (Assiniboine) et certains Métis forment l’« Alliance de fer », ainsi nommée en raison de l’accès presque exclusif de ces peuples aux technologies métalliques européennes, comme les fusils, les bouilloires, les hachettes et les couteaux. Ils utilisent ces armes pour vaincre leurs rivaux et contrôler l’accès aux postes de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) et de la Compagnie du Nord-Ouest (CNO), sous contrôle britannique, dans l’ouest des Grands Lacs et le bassin versant de la baie d’Hudson.
Réciprocité et liens de parenté
Lorsque les Anglais arrivent sur les rives gelées de la baie d’Hudson, et les Français dans le bassin des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent, ils constatent l’existence d’un système complexe d’alliances et de réseaux d’échanges autochtones déjà bien établi. Pour commercer dans ce milieu majoritairement autochtone, les nouveaux arrivants doivent donc apprendre les règles du jeu, en observant notamment les protocoles commerciaux, les cérémonies de remise de cadeaux, les relations réciproques, les obligations familiales, les responsabilités et les liens de parenté. La traite des fourrures facilite donc la création de liens sociaux entre les peuples autochtones et les nouveaux arrivants européens.
De nombreux commerçants de fourrures européens, comme la CBH, tentent d’abord de mener la traite comme un échange purement commercial, mais se rendront vite compte que cela n’est tout simplement pas la manière dont le commerce fonctionne en Amérique du Nord précoloniale. Pour les peuples autochtones, la traite de la fourrure joue aussi un rôle concret dans la création d’amitiés, la formation d’alliances et la prévention des guerres. Les Ojibwés, par exemple, ne reconnaissent que deux catégories de personnes : les membres de la famille et les étrangers. Comme leurs voisins anichinabés, les Očhéthi Šakówiŋ (Dakotas et Lakotas) définissent la société selon une dichotomie fondamentale : les gens connus par opposition aux inconnus. Pour commercer avec les nouveaux arrivants européens, les Anichinabés ou les Dakotas devront intégrer ces étrangers à leur famille. Pour y parvenir, les peuples autochtones imposent souvent leurs propres conceptions de la parenté par l’adoption ou le mariage afin de créer des liens sociaux réciproques avec les commerçants européens.
Réseaux commerciaux, alliances politiques et liens familiaux s’entrecroisent et se chevauchent au fur et à mesure que s’étend le commerce des fourrures dans le bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent, la haute vallée du Mississippi, la région du lac Winnipeg et les bras nord et sud de la rivière Saskatchewan. Jusqu’à la fin du 19e siècle, la traite des fourrures est menée dans un espace majoritairement autochtone, où les liens de parenté (et non les monarques ou les empires) représentent la principale structure sociale et de pouvoir. Les échanges interculturels et intercommunautaires prolongés finissent par donner naissance à de nouveaux peuples, dont la nation métisse de l’Ouest canadien.
Aspects environnementaux
S’il est vrai que le castor devient le symbole par excellence du commerce de la fourrure au Canada, d’autres animaux à fourrure ont également la cote auprès des consommateurs européens. C’est le cas de la martre, du rat musqué, du vison, du pékan, de la loutre, du lynx et du renard, tous présents dans les régions riches en fourrure que sont le bassin des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent et le bassin versant de la baie d’Hudson. Les environnements les plus productifs pour les mammifères à fourrure (en particulier le castor) sont alors les forêts mixtes, les lacs et les milieux humides de la région boréale du Canada. Au sein de ce vaste biome, les chasseurs et trappeurs autochtones recherchent des huttes de castor dans les dédales de canaux et de marécages qui forment les deltas des rivières.
L’engagement croissant des peuples autochtones dans la traite des fourrures n’est pas sans risque. Souvent, les activités de subsistance sont négligées au profit de voyages vers les lointains postes de traite ou d’une participation dans la chasse commerciale, ce qui menace le bien-être individuel et familial. Lorsque des animaux à fourrure, comme le castor, sont chassés à outrance, cela a des conséquences désastreuses sur l’écosystème local. Par exemple, les huttes et les barrages de castor créent des endroits où les poissons peuvent frayer et où les animaux peuvent s’abreuver tout au long de l’hiver. La chasse au castor excessive est particulièrement périlleuse dans les parcs et les plaines, où les périodes de sécheresse sont plus fréquentes.
Restrictions
La traite des fourrures n’est pas un phénomène universel définissant toutes les rencontres entre les colonisateurs européens et les nations autochtones. Les peuples autochtones ne vivent pas tous, à l’époque de la colonisation, dans la forêt boréale. De nombreuses Premières Nations, comme celles des Plaines, subsistent grâce aux vastes troupeaux de bison des prairies-parcs et des plaines du nord. Ces peuples, dont la société et le mode de vie suivent une économie fondée sur le bison, n’ont que très peu d’intérêt pour le piégeage de castors pour les Européens nouvellement arrivés dans leurs territoires. Par exemple, lorsqu’Anthony Henday, commerçant pour la CBH, visite un campement niitsítapi (pied-noir) non loin de l’actuelle ville de Red Deer, en Alberta, un aîné local critique ses tentatives pour amener le peuple niitsítapi à visiter la baie d’Hudson, invoquant l’impossibilité, pour son peuple, de vivre sans viande de bison ou de laisser ses chevaux sans surveillance. Même lorsque les compagnies de traite des fourrures construisent des postes de traite sur le territoire des Niitsítapi, ceux-ci refusent de chasser le castor, qu’ils considèrent comme un animal sacré jouant un rôle important dans la rétention de l’eau pendant les périodes de sécheresse. Ils préfèrent mener le commerce des peaux de loup avec les commerçants, à la grande déception de ces derniers. Pour des raisons sociales, spirituelles et écologiques, les Niitsítapi refusent de chasser le castor pour les colonisateurs anglais ou d’abandonner leur mode de vie équestre et leur économie basée sur le bison.