En septembre 1850, les Anishinaabeg (Ojibwés) des hauts Grands Lacs ont signé deux traités distincts mais interreliés: le traité Robinson-Supérieur et le traité Robinson-Huron, qui accordaient à la province du Canada (Canada‑Est et Canada-Ouest, les futurs Québec et Ontario) l’accès aux rives nord des lacs Huron et Supérieur aux fins de la colonisation et de l’extraction minière. En échange, les peuples autochtones obtenaient la reconnaissance de leurs droits de chasse et de pêche, une annuité (paiement annuel) et des terres de réserve pour chaque groupe signataire dans les territoires cédés. Par leur interprétation, les traités Robinson ont eu des répercussions juridiques et socioéconomiques sur les communautés autochtones et les établissements de colons, et ils ont servi de précédents aux ententes à venir, celles des traités numérotés.
Contexte historique
Il faut remonter aux années 1840 et à la découverte de gisements de cuivre et de fer sur la rive sud du lac Supérieur pour comprendre les demandes des Anishinaabeg (Ojibwés) et la nécessité d’un traité, encore accrue par le potentiel de richesse qu’on soupçonne alors sur la rive nord. On nomme donc à Sault Ste. Marie (dans l’actuelle Ontario) un agent des terres de la Couronne et des douanes, Joseph Wilson, qui est informé des revendications et des droits des Anishinaabeg par le chef Shingwaukonse peu après son arrivée en 1843. En 1845, la province du Canada se proclame maître des rives nord des lacs Huron and Supérieur avant d’accorder un premier bail minier. Dès 1846, malgré l’absence de traités, 64 permis d’exploitation ont été délivrés et l’arpentage va bon train sur la rive nord.
Occupé à faire des relevés sur la parcelle du village de Sault Ste. Marie en 1846, l’arpenteur de l’État Alexander Vidal est pris à partie par Nebenaigoching et Shingwaukonse, qui le somme de cesser ses travaux jusqu’à ce qu’un traité soit négocié. Le spéculateur minier et éditeur Georges Desbarats, qui a des intérêts sur la rive nord du lac Huron, écrit au surintendant des affaires indiennes en 1847 pour lui demander de régler les revendications des Anishinaabeg (Ojibwés). Les chefs Shingwaukonse, Nebenaigoching et Menissinowenninne se rendent alors chez le gouverneur général lord Elgin à Montréal en 1849. Leur adresse au gouverneur général est publiée le 7 juillet 1849 dans la Montreal Gazette. On y lit que les Anishinaabeg réclament justice et demandent un traité en contestant les prétentions britanniques selon lesquelles les peuples autochtones seraient traités ici avec plus de justice et de dignité qu’aux États-Unis. Les Anishinaabeg accusent aussi les Britanniques de voler leurs terres.
À la suite de cette visite, l’arpenteur Vidal et le capitaine T.G. Anderson, un ancien de la guerre de 1812 et surintendant des affaires indiennes, sont chargés de faire enquête sur les revendications des Anishinaabeg. Ils commencent à Fort William le 24 septembre et sont rendus à Sault Ste. Marie le 13 octobre. Comme la saison est avancée, les commissaires n’ont pas pu parler à beaucoup d’Autochtones, de nombreuses bandes s’étant retirées dans l’arrière-pays pour l’hiver ou évitant les colons blancs pour échapper au choléra.
Lors des réunions tenues du 15 au 17 octobre à Sault Ste. Marie, les Anishinaabeg réitèrent leurs demandes avec l’aide de leur avocat, Allan Macdonell, avec qui les commissaires refusent de négocier ou de discuter. D’après Macdonell, avant de quitter la réunion en furie, Vidal se fait menaçant : il n’y aura pas de traité à moins que les Anishinaabeg n’acceptent de négocier directement avec le gouvernement. Les commissaires se rendent ensuite à Penetanguishene, où ils se réunissent avec d’autres chefs assemblés le 3 novembre avant d’aller rédiger leurs rapports (terminés à Toronto en décembre 1849).
Au début de novembre 1849, indignés par la conduite des enquêteurs et l’inaction de l’État, les Anishinaabeg s’emparent des installations de la Montreal Mining Company à Pointe aux Mines, dans la baie Mica, sur le lac Supérieur. La mine est évacuée et la rumeur se répand d’une « guerre indienne » imminente. Le gouvernement riposte en dépêchant des troupes, qui arrivent à Sault Ste. Marie le 2 décembre. Les responsables présumés de l’attaque ‒ Shingwaukonse, Nebenaigoching et leurs alliés Wharton Metcalfe et Allan Macdonell ‒ sont arrêtés et amenés à Toronto. Les deux premiers rentrent chez eux au début de 1850 pour attendre leur procès. Leurs accusations finiront par être abandonnées en 1851, comme celles portées contre Macdonell, tandis que Metcalfe s’évadera de prison.
Négociations
Ces événements forcent le gouvernement du Canada-Ouest à négocier un traité. Le 11 janvier 1850, William Benjamin Robinson, ancien directeur de mine et frère du juge en chef, est nommé commissaire aux traités. Il arrive le 18 août 1850 à Sault Ste. Marie, où le gouverneur général lord Elgin le rejoint le 30 août. Après avoir avisé les chefs que Robinson jouit de l’entière confiance de la Reine et qu’il négociera un traité équitable, lord Elgin s’en va. Les négociations officielles s’étirent sur plusieurs jours au début de septembre et prennent fin le 9 septembre. Des soldats dépêchés pour réprimer le « soulèvement indien » seront présents tout au long et jusqu’à la signature.
Familiers avec les termes de traités conclus auparavant dans le Haut-Canada et aux États-Unis,
les chefs venus du lac Huron sous la direction de Shingwaukonse exigent une annuité de 10 $ par personne et de vastes réserves. Robinson rejette ces demandes « extravagantes » et décide qu’il y aura deux traités. Il pense que les quatre chefs et les cinq chargés de pouvoirs venus du lac Supérieur, moins touchés par les intrusions coloniales, seront plus disposés à signer. Il prépare donc un traité le 6 septembre, qui est signé le lendemain, puis il fait savoir à Shingwaukonse qu’il en prépare un autre pour les chefs du lac Huron, en prenant soin d’avertir que ceux qui ne signeront pas ne recevront ni protection ni compensation. Les chefs ont deux jours pour étudier leurs options. Shingwaukonse réitère ses demandes et exige de grandes concessions territoriales pour les Métis, mais Robinson reste campé sur ses positions. Le traité du lac Huron est signé.
Termes des traités
Les traités Robinson-Supérieur et Robinson-Huron contiennent tous deux une annexe portant sur les réserves, les droits de chasse et de pêche exercés jusqu’à ce que les terres soient affectés à la colonisation ou à l’exploitation de ressources, un paiement forfaitaire de 2 000 £ et une annuité (paiement annuel) de 500 £ et de 600 £, respectivement, assujettie à une clause d’indexation, c’est‑à‑dire que la Couronne l’augmentera à mesure que croîtront les revenus tirés des terres.
Les Anishinaabeg (Ojibwés) cèdent en retour la rive nord du lac Supérieur depuis la baie Batchewana jusqu’à la rivière Pigeon, à l’extrémité ouest du lac, et les terres de l’intérieur jusqu’à la ligne de partage des eaux. Ils cèdent aussi la rive nord du lac Huron de Penetanguishine à Sault Ste. Marie, et de là jusqu’à la baie Batchewanaung, sur la rive nord du lac Supérieur, y compris les îles de ces lacs faisant face à ces rives, et les terres de l’intérieur jusqu’à la ligne de partage des eaux.
Héritage
Reposant sur des précédents américains, les traités Robinson ont en quelque sorte formalisé la négociation et le rituel des traités à venir au Canada (voir Traités autochtones au Canada), avec par exemple la présence de soldats britanniques à la signature et la visite du gouverneur général, des traditions qui se sont étendues aux traités numérotés (1871-1921). Le versement d’une annuité (paiement annuel) et le maintien des droits de chasse et de pêche sur les terres de la Couronne venaient aussi de précédents américains et se sont appliqués aux traités conclus après la Confédération.
Malgré la promesse de Robinson, on n’a jamais fait droit aux revendications des Métis. Après de nombreuses contestations judiciaires, la Cour suprême du Canada a reconnu les droits de chasse des Métis dans l’affaire Powley en 2003.
La perte de territoires s’est poursuivie tout au long des 19e et 20e siècles. Les signataires anishinaabeg n’ont pas obtenu les avantages économiques que promettait l’extraction des ressources. La mise en œuvre de la Loi sur les Indiens en 1876 et l’Indian Lands Act de 1924 ont réduit la portée des traités, au détriment des Anishinaabeg et de leurs moyens de subsistance.
La clause d’indexation des annuités s’est appliquée en 1874, lorsque les paiements sont passés à quatre dollars par personne. Comme ils n’ont jamais été augmentés depuis, un recours judiciaire a été intenté en 2019, où les signataires des traités réclament au gouvernement non seulement une augmentation, mais aussi une indemnisation rétroactive.