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Robertine Barry (Françoise)

Robertine Barry (nom de plume : Françoise), journaliste, éditrice, écrivaine et féministe (née le 26 février 1863 à L’Isle-Verte, Canada-Est; décédée le 7 janvier 1910 à Montréal, Québec). Première femme journaliste canadienne-française, elle est notamment membre fondatrice de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste et première vice-présidente du Canadian Women’s Press Club.

Enfance et adolescence

Comme des milliers d’Irlandais fuyant la grande famine des années 1840, John Barry immigre au Canada. En 1851, il épouse Aglaé Rouleau, de L’Isle-Verte. Robertine, la neuvième de leurs 13 enfants, passe une partie de son enfance à Les Escoumins où son père est gérant de la plus importante scierie de la Haute-Côte-Nord. Lorsqu’il prend sa retraite, en 1873, la famille déménage à Trois-Pistoles et Robertine devient pensionnaire au Couvent des sœurs Jésus-Marie. Elle étudie ensuite chez les Ursulines à Québec.

En 1882, à la fin de ses études, elle souhaite devenir journaliste, et ce, même si pénétrer cette chasse gardée masculine semble irréalisable (voir Journalisme). À cette époque, au Canada français, aucune femme ne gagne sa vie de cette façon et, ailleurs dans le monde, les femmes journalistes sont jugées de mœurs légères. De plus, une bourgeoise qui travaille est alors mal perçue : elle se rabaisse et déshonore sa famille. Sourde aux commentaires désobligeants, elle rompt ses fiançailles avec un homme qui ne semble guère épouser son idéal, et suggère des articles à plusieurs éditeurs. Un seul accepte de la publier, mais à la condition qu’elle ne signe pas ses articles. Frondeuse, elle refuse : « Ce que j’écris, je le signe! »

En attendant une réponse favorable d’autres éditeurs, elle propose à sa sœur Évelyne d’écrire un roman à quatre mains, mais celle-ci préfère le voile à la plume. Suivant les conseils de ses parents, elle enseigne la musique dans un couvent d’Halifax afin de juger si elle a, elle aussi, la vocation religieuse. Puisque ce n’est pas le cas, elle retourne à Trois-Pistoles.

Françoise

Au fil des ans, elle contacte de nombreux éditeurs. Seul un homme à l’esprit libre peut vouloir d’une femme dans son équipe de journalistes. Elle le rencontre enfin en 1891 : Honoré Beaugrand, directeur de La Patrie, un des grands journaux de l’époque. Non seulement l’engage-t-il, mais loin de la confiner aux pages féminines comme le seront encore pendant plusieurs années les femmes journalistes, il lui confie les mêmes tâches qu’à ses collègues masculins. Mieux, il publie en première page sa « Chronique du lundi ». Sous le pseudonyme Françoise, elle y aborde tous les sujets : le droit de vote des femmes, la justice sociale, la création de refuges pour les femmes victimes de violence ainsi que pour les personnes âgées et les pauvres, la législation entourant le travail des enfants, la fondation de bibliothèques publiques, l’éducation laïque et la mise sur pied d’un ministère de l’Instruction publique (voir Histoire de l’éducation). Elle revendique ce qu’aucune Canadienne française n’a réclamé publiquement jusque-là : la possibilité pour les femmes d’étudier à l’université et d’exercer les mêmes professions que les hommes (voir Femmes et éducation).

Honoré Beaugrand
Honoré Beaugrand
18ième Maire de Montreal, Québec, 1885-86.
Henri Bourassa, 1917

Alors que plusieurs journalistes et lecteurs l’apprécient et la louangent, d’autres lui font sentir que le journalisme n’est pas la place d’une femme. Ceux-ci la qualifient de bas-bleu ou l’appellent Monsieur. Elle a de nombreuses prises de bec avec Henri Bourassa, antiféministe notoire qui fondera Le Devoir en 1910.

D’ailleurs, bien qu’il soit mal vu qu’une femme parle de politique, elle ne s’en prive pas. Elle affirme notamment son patriotisme et dénonce avec vigueur le règne de la peur instauré par le clergé aux sympathisants du Parti libéral. Ainsi, elle blâme ouvertement l’Église catholique de répandre l’idée que la religion serait persécutée « si les libéraux sortaient victorieux de la lutte » et que ceux qui voteraient pour eux seraient damnés et pourraient même être privés des sépultures ecclésiastiques. Elle est également indignée d’apprendre que des prêtres refusent l’absolution aux femmes si leur mari vote pour les candidats libéraux.

Publications et conférences

Robertine Barry reçoit dans son salon, tous les jeudis, les esprits libres et bohèmes. Cette femme allergique aux conventions fascine : elle monte à bicyclette, marche la nuit sans escorte dans les rues et voyage seule ‒ trois comportements scandaleux pour l’époque ‒ et défend l’indéfendable, dont les joies du célibat.Au fil des ans, son talent de journaliste est de plus en plus apprécié : elle collabore à plusieurs journaux et magazines dont La feuille d’érable, le Bulletin, Le coin du feu, La revue nationale, le Franc-parler, La Presse, le Samedi, La Revue canadienne et l’Almanach du Peuple (voir Journaux). Elle trouve néanmoins le temps de patronner des kermesses et de présider des campagnes de souscription.

Jules-Paul Tardivel
Jules-Paul Tardivel, journaliste et romancier (1851-1905). Dans les derni\u00e8res décennies du XIXe si\u00e8cle, il est l'un des interpr\u00e8tes les plus reconnus de l'ultramontanisme et l'une des figures dominantes du nationalisme canadien-fran\u00e7ais.

En 1895, le lancement de son recueil de nouvelles, Fleurs champêtres, a lieu au Château Ramezay. La critique est dithyrambique : on la compare à George Sand et à Honoré de Balzac. Une voix discordante se fait cependant entendre : l'ultramontain Jules-Paul Tardivel, fondateur et directeur de La Vérité, lui reproche de n’avoir pas parlé de religion dans son livre. Il est convaincu qu’elle subit la mauvaise influence des personnes avec qui elle travaille, celle notamment de son patron, Honoré Beaugrand, un franc-maçon et anticlérical affirmé.

À une époque où les femmes mariées devaient obtenir la permission de leur époux avant de prendre la parole publiquement, Robertine est, en1899, la première femme conférencière invitée par l’Institut canadien de Québec. Les profits des conférences qu’elle donne depuis quelques années vont à des œuvres philanthropiques.

En 1900, elle publie un recueil de 87 de ses « Chroniques du lundi ». À celles-ci, toujours publiées dans La Patrie, s’ajoute désormais une page féminine « Le coin de Fanchette ». Elle inaugure aussi l’ère des courriers du cœur avec sa rubrique intitulée successivement « Réponses aux correspondants » et « Causerie fantaisiste ».

Nelligan et Paris

En 1899, la rumeur court qu’Émile Nelligan s’est amouraché d’elle, bien qu’elle soit de 16 ans son aînée. Elle accueille souvent le beau poète, rue Saint-Denis à Montréal où elle habite avec sa famille depuis 1891. Il déclame ses poèmes. Elle l’écoute et le conseille. Elle est d’ailleurs l’une des premières à reconnaître son talent. Dans les poèmes qu’il lui dédie, il semble lui crier tantôt son amour, tantôt sa colère d’avoir été éconduit. Elle met sous clé une partie de leur correspondance et quelques poèmes, les jugeant peut-être trop compromettants pour être publiés.

Nelligan, \u00c9mile
La voix poétique de Nelligan est triste et nostalgique, oscillant entre le th\u00e8me du passage du temps et une vision hallucinatoire du monde (avec la permission des Biblioth\u00e8que et Archives Canada/C-88566).

En août 1899, Nelligan est interné. Robertine Barry soutient son amie Émilie, la mère de ce dernier, mais doit bientôt partir : le premier ministre Wilfrid Laurier l’a nommée déléguée des Canadiennes à l’Exposition universelle de Paris et au Congrès international des femmes. Durant celui-ci est lancé l’ouvrage Les femmes du Canada, leur vie et leurs œuvres, auquel elle a collaboré en signant un chapitre intitulé « Les femmes canadiennes dans la littérature ». Les « Lettres de Françoise », dans lesquelles elle parle de son séjour à Paris, d’avril à septembre 1900, sont publiées dans La Patrie.

Le Journal de Françoise

De retour à Montréal, la journaliste tombe malade : c’est la typhoïde. Heureusement, après quelques semaines d’hospitalisation, elle se rétablit et songe à fonder une revue bimensuelle. Elle a suffisamment de contacts, tant en France qu’au Québec, pour trouver des collaborateurs talentueux et donner à des femmes l’occasion d’être publiées. Le Journal de Françoise paraît pour la première fois le 29 mars 1902 sans aucune autre source de financement que ses propres économies. Y collaborent des gens de lettres, des journalistes, des notaires, des juges, des médecins et des politiciens. Au fil des ans, plus de 500 collaborateurs y signent des textes : Juliette Adam, Jules Claretie, Edmond de Nevers, Albert Lozeau, Laurent-Olivier David, Marie Gérin-Lajoie, Éva Circé-Côté et Louis-H. Fréchette. C’est d’ailleurs grâce à elle, qu’il appelle sa « marraine littéraire », que ce dernier a débuté sa carrière journalistique à Montréal.

Marie Gérin-Lajoie (née Lacoste) en 1928.
Militante pour le droit de vote des femmes, cofondatrice de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste en 1907 et présidente de 1913 à 1933.
Louis Honoré Fréchette

Vie associative, théâtre et honneurs

En 1904, Robertine Barry se rend à la Foire universelle de Saint-Louis avec quinze autres femmes journalistes canadiennes dont Grace Denison, Kathleen Coleman, Anne-Marie Huguenin (Madeleine) et Kate Simpson Hayes. Ensemble, elles fondent le Canadian Women’s Press Club. Robertine est élue vice-présidente. Elle est aussi présidente de l’Association des femmes journalistes canadiennes-françaises et a l’honneur d’être décorée des Palmes académiques par le ministère de l’Instruction publique français.

Membres fondatrices du Canadian Women
Kathleen Coleman, chroniqueuse
Kit Coleman est l'une des premières femmes journalistes du Canada (avec la permission du \u00ab Globe and Mail \u00bb).
Madeleine (Anne-Marie Huguenin)
Université de Montréal, Division des archives, IFP,00539.

En 1905, Méprise, la pièce de théâtre qu’elle a écrite, est jouée à la salle Karn de Montréal devant le premier ministre Laurier, venu spécialement d’Ottawa pour l’occasion. La critique est dithyrambique et dans Le Canada un journaliste note que « le Tout-Montréal intellectuel a applaudi la spirituelle comédie de Françoise ».

En 1906, elle est déléguée du gouvernement canadien à l’Exposition universelle de Milan. Accompagnée de sa sœur Caroline, elle profite de ce voyage pour rencontrer le pape à Rome, et loge à Paris au luxueux hôtel où le Club Lyceum, dont elle est membre, a ses quartiers.

Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste

Robertine est membre fondatrice de la première association féministe canadienne-française : la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste (FNSJB) dont Marie Gérin-Lajoie est la présidente (voir Organisations féminines). Elle fait partie du comité pour l’organisation de l’École ménagère. Avec Marie Gérin-Lajoie et Joséphine Marchand-Dandurand, elle s’implique aussi dans la fondation d’un premier collège classique féminin (l’École d’enseignement supérieur) qui deviendra, en 1926, le collège Marguerite-Bourgeois et qui ouvrira aux femmes francophones les portes des universités.

Premier conseil d
De gauche \u00e0 droite. Haut : Caroline Dessaulles-Béique, Lady Jetté, Marie Lacoste Gérin-Lajoie. Milieu : Marie-Louise Globensky (Lady Lacoste), Marguerite Thibaudeau, Mme Arthur Gagnon, Mme Henry Hamilton. Bas : Anne-Marie Huguenin (Madeleine), Mme Leman, Victoria Cartier, Robertine Barry.

En 1909, lors du congrès de la FNSJB, Robertine prononce une conférence intitulée « Le journalisme et l’éducation populaire ». Elle mentionne que le « journaliste est au premier rang parmi les éducateurs » et que le journal est, hélas, la seule université à laquelle les femmes ont accès. Elle déplore du même souffle l’absence de bibliothèques convenables. Contrairement aux autres congressistes, elle ne fait mention ni de la foi, ni de la religion, ni de la mission de bonnes épouses et de bonnes mères. Marie Gérin-Lajoie écrit ensuite à Mgr Bruchési afin de lui demander si « la conscience des femmes qui dirigent la Fédération serait entachée d’un péché en permettant la publication de la conférence de Mlle Barry ». L’archevêque lui répond non, mais que « cette conférence est fausse comme thèse, très incomplète et absolument en dehors de l’idée chrétienne ». Dans une autre lettre, il ajoute qu’il « faut que le journal respire la vérité, la religion et la vertu. » Résultat : la conférence de Robertine Barry n’est pas publiée dans les actes du Congrès.

La fin d’une aventure

Après sept ans de publication, le 15 avril 1909, Robertine met fin à la parution du Journal de Françoise, devenu un gouffre financier. Sans doute parce qu’elle a souvent cherché à améliorer le sort des travailleuses, Lomer Gouin, premier ministre du Québec, la nomme inspectrice du travail des femmes dans les manufactures. Mais ce travail ne la comble pas. La dépression la guette et son médecin lui conseille de voyager. Elle part à Paris où elle a de nombreux amis, dont des femmes et des hommes illustres. Quand elle revient à Montréal, elle ne va pas mieux. La cause de sa mort quelques mois plus tard est attribuée à une congestion cérébrale. Elle n’a que 46 ans, mais sa vie a été fort remplie.

Robertine Barry est enterrée dans la section R du cimetière Notre-Dame-des-Neiges de Montréal. Sa tombe, non marquée, est aujourd’hui recouverte par les herbes. Pas même une petite croix n’indique la présence de la sépulture de cette pionnière du journalisme féminin. Un vide qui reflète l’oubli où elle a sombré.

Reconnaissance

Trois mois après son décès, sa pièce Méprise est jouée durant une soirée littéraire et musicale au Château Frontenac. Vers 1930, Souliers de bal, l’autre pièce qu’elle a écrite, est interprétée par Sita Riddez et Marie Dugal, sa nièce.

Vers 1936, lors d’une causerie radiophonique, des femmes se souviennent du courage de Robertine Barry et lui sont reconnaissantes d’avoir défendu les droits des femmes et de leur avoir ouvert la voie du journalisme. Le prix Robertine-Barry, créé en son honneur par l’Institut canadien de recherches sur les femmes, est décerné annuellement, de 1984 à 2000, à l’auteur d’un article portant sur la condition féminine. En 2021, Robertine Barry est désignée en tant que personnage historique par le ministère de la Culture et des Communications du Québec.

Une des salles de classe du Collège Marie-de-l’Incarnation porte son nom ainsi que deux rues : l’une à Montréal et l’autre à Baie-Comeau. Deux plaques commémoratives au cœur des villages L’Isle-Verte et de Les Escoumins perpétuent sa mémoire.