En 1974, le gouvernement fédéral a formé une commission royale d’enquête pour examiner deux propositions de pipeline de gaz naturel dans le Nord. Un juge, Thomas Berger, a été nommé pour diriger cette enquête. Au cours des deux années suivantes, la commission Berger a évalué les répercussions potentielles des pipelines proposés. Pour ce faire, elle a tenu des audiences, officielles et non officielles, dont 45 audiences communautaires organisées du nord au sud du Canada, notamment dans les Territoires du Nord‑Ouest et au Yukon. Le rapport de la commission Berger, publié en 1977, effectuait plusieurs recommandations. Il appelait à une étude plus approfondie et à un règlement des revendications territoriales des Autochtones. Il préconisait également d’interdire, pendant 10 ans, la construction de pipelines dans la vallée du Mackenzie. Thomas Berger s’est opposé à la construction de tout pipeline qui traverserait la région de l’habitat fragile du caribou dans le nord du Yukon. La commission Berger a sollicité la participation du public, incluant, dans ses travaux, dans une plus large mesure qu’aucune autre consultation précédente liée aux ressources naturelles au Canada, des perspectives autochtones.
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Contexte
En 1968, on découvre de vastes réserves de carburant fossile à Prudhoe Bay, en Alaska. Le gouvernement et plusieurs acteurs de l’industrie pétrolière promeuvent alors l’idée de la construction d’un pipeline, en mesure de transporter le carburant de l’Alaska jusqu’aux marchés américains du sud du pays. Un tel ouvrage traverserait le Yukon, les Territoires du Nord‑Ouest et l’Alberta, puisant, au passage, dans les réserves canadiennes.
En 1968, le gouvernement libéral du premier ministre Pierre Elliott Trudeau crée le Groupe de travail sur l’exploitation du pétrole dans le Nord, ayant pour mission d’évaluer la faisabilité d’un tel projet. Les travaux du Groupe de travail débouchent sur la publication, en 1970, puis sur l’élargissement, en 1972, de la politique officielle du gouvernement fédéral en matière d’exploitation de pipelines dans le Nord, sous le titre Lignes directrices sur les pipelines dans le Nord. Ce document donne naissance à de nombreuses études techniques et environnementales, ainsi qu’à des examens des politiques publiques et à des analyses économiques.
Les propositions de pipeline
Au début des années 1970, deux consortiums proposent de construire des pipelines pour transporter le gaz naturel de l’Alaska, au travers du Nord canadien.
Canadian Arctic Gas Pipeline Ltd. propose un tracé partant des champs de Prudhoe Bay, en Alaska, traversant le nord du Yukon pour rejoindre le delta du Mackenzie, puis bifurquant, vers le sud, jusqu’en Alberta. À partir de l’Alberta, ce pipeline serait relié aux réseaux d’acheminement vers les États‑Unis. Le gazoduc de l’Arctique, avec ses 3 860 km, aurait été le plus long du monde. Il aurait également constitué le plus important investissement privé jamais réalisé dans un projet de construction.
Foothills Pipe Lines Ltd. propose un tracé plus court. Son plan initial porte sur un pipeline qui relierait le delta du Mackenzie à l’Alberta. Cependant, à compter de 1976, le consortium commence à promouvoir un autre itinéraire qui suivrait la route de l’Alaska, reliant les réserves de l’Alaska aux 48 États américains du sud.
Les répercussions de ces projets sur l’économie, sur l’environnement et sur les collectivités autochtones du Nord auraient été considérables. En outre, la construction d’un pipeline sur la couche de pergélisol présente d’énormes difficultés en matière d’ingénierie. Les deux propositions impliquaient d’enterrer le pipeline, perturbant ainsi la température naturelle du sol, ce qui aurait pu, en retour, être à l’origine d’un phénomène appelé « soulèvement par le gel », c’est‑à‑dire un gonflement du sol vers le haut susceptible d’endommager les tuyaux.
Nomination de la commission
Le gouvernement fédéral de Pierre Elliott Trudeau décide de consulter les résidents de la vallée du Mackenzie et de l’ouest de l’Arctique, qui constituent la population sur laquelle ces projets de pipeline auraient les conséquences les plus importantes. Cette population est composée de membres des Premières Nations, d’Inuits et de Métis, ainsi que de collectivités non autochtones. Le 21 mars 1974, le gouvernement nomme Thomas Berger, juge à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, à la tête de la commission créée à cet effet. Au cours de sa carrière d’avocat, ce dernier avait représenté les Nisga’a dans l’affaire Calder qui avait fait date, aboutissant à la reconnaissance du titre autochtone dans le droit canadien. Il avait également été député NPD de l’Assemblée législative de la Colombie‑Britannique et du Parlement fédéral. Les libéraux de Pierre Elliott Trudeau sont alors à la tête d’un gouvernement minoritaire dépendant du soutien du NPD.
Audiences
La commission examine les répercussions environnementales, culturelles, sociales et économiques des projets de pipeline. Thomas Berger en est l’unique commissaire, mais il peut s’appuyer, dans ses travaux, sur du personnel de soutien.
Les audiences préliminaires commencent en avril 1974, les audiences générales, puis les audiences officielles, débutant, quant à elles, en mars 1975. La première série d’audiences a pour objectif de définir la portée et les procédures de l’enquête, les suivantes visant à recueillir les positions des parties intéressées et le témoignage des experts. Lors des audiences officielles, les parties sont appelées à présenter des témoins, qui peuvent être interrogés ou contre‑interrogés, et des preuves. Les participants aux audiences de l’Enquête sur le pipeline de la vallée du Mackenzie comprennent des entreprises énergétiques, des organisations autochtones et des groupes environnementaux.
La commission tient des audiences communautaires, d’avril 1975 à novembre 1976, recevant des témoignages de personnes originaires de 35 collectivités des Territoires du Nord‑Ouest et du Yukon. Elle entend également des résidents de 10 villes du Sud canadien, de Vancouver à Halifax.
Thomas Berger écoute les arguments des uns et des autres, aussi bien en faveur que contre les pipelines. Il recueille les commentaires de scientifiques, d’ingénieurs, de chasseurs, de trappeurs, de pêcheurs et de gens d’affaires. Les partisans des projets de pipeline expliquent que leur construction favoriserait la croissance économique et la création d’emplois dans le Nord. Les opposants font état de préoccupations concernant l’environnement et les changements que la construction de tels ouvrages apporterait aux moyens de subsistance traditionnels des Autochtones, évoquant également les revendications territoriales non réglées dans la région.
Rapport
Thomas Berger publie son rapport en avril 1977, sous la forme de deux volumes totalisant près de 500 pages. Le premier volume porte sur les répercussions d’un pipeline gazier et d’un corridor énergétique dans la région. Le deuxième présente les conditions requises pour la construction d’un tel pipeline.
Le rapport conclut à la faisabilité d’un pipeline partant du delta du Mackenzie pour rejoindre l’Alberta, en longeant la vallée du Mackenzie. Thomas Berger estime qu’un tel pipeline pourrait être construit sans trop nuire à l’environnement. Il précise, cependant, dans son rapport, qu’une telle construction ne devrait pas commencer immédiatement. Il en appelle préalablement à une planification minutieuse, à une étude plus approfondie et au règlement des revendications territoriales des Autochtones.
En revanche, il s’oppose fermement à un pipeline qui traverserait l’environnement fragile du nord du Yukon, concluant qu’un tel ouvrage menacerait le caribou et d’autres animaux sauvages, sur lesquels comptent les membres de la Première Nation des Gwitch’in Vuntut pour leur survie.
Le rapport recommande un moratoire de 10 ans, interdisant de construire des pipelines avant l’expiration de ce délai, afin de laisser un temps suffisant pour régler les revendications territoriales dans la vallée du Mackenzie. L’échéance acceptée par le gouvernement canadien.
« Le Nord est une terre lointaine, mais aussi une terre ancestrale […] Il constitue aussi un patrimoine, un environnement unique à préserver pour tous les Canadiens.
« Les décisions à prendre ne concernent donc pas uniquement les pipelines dans le Nord. Elles touchent la sauvegarde de l’environnement du Nord et l’avenir de ses habitants. »
Thomas Berger, dans sa lettre présentant son rapport au gouvernement
Postérité
L’Enquête sur le pipeline de la vallée du Mackenzie, dite commission Berger, marque un tournant dans l’histoire de l’exploitation des ressources naturelles au Canada. Elle fait participer le public et met au premier plan les perspectives autochtones, à un degré inédit. Le rapport Berger présente également les sujets de préoccupation des peuples autochtones du Nord d’une manière qui rend justice à leur humanité.
Dans le contexte d’un déclin des prix pétroliers et gaziers, les deux propositions d’origine de construction d’un pipeline dans la vallée du Mackenzie sont mises de côté.
Le processus de règlement des revendications territoriales dans la région, qui se poursuivra tout au long des années 1980 jusque dans les années 1990, va prendre beaucoup plus de temps que ce qu’avait prévu Thomas Berger. En 2000, cependant, les Inuvialuit, les Gwich’in et les Sahtu Got’ine ont tous conclu des accords avec le gouvernement fédéral. À ce moment‑là, les collectivités du corridor du Mackenzie sont toutes fortement en faveur de la construction d’un pipeline. Un nouveau projet de construction de pipeline dans la vallée du Mackenzie, le projet gazier Mackenzie voit alors le jour, l’Inuvialuit Regional Corporation, le Gwich’in Tribal Council et le Sahtu Pipeline Trust constituant l’Aboriginal Pipeline Group, afin de représenter les intérêts des Premières Nations dans le cadre de cette nouvelle proposition, les Dehcho étant alors le seul peuple de la région dont les revendications territoriales ne sont toujours pas réglées. La coentreprise, créée dans ce cadre, sera finalement dissoute en 2017 (voir Projets de pipeline de la vallée du Mackenzie).