Le 5 juillet 1916, le ministère de la Défense et de la Milice a autorisé la formation du 2e Bataillon de construction. Il s’agissait de la plus grande unité noire de l’histoire du Canada. Ses membres poursuivaient la fière tradition de service au roi et au pays qui remontait à la Révolution américaine et s’est poursuivie pendant la guerre de 1812 et les rébellions de 1837-1838 jusqu’au début de la Première Guerre mondiale. Les obstacles étaient cependant nombreux : les soldats et les communautés noires étaient confrontés au racisme, tant au pays qu’à l’étranger, malgré leur engagement dans l’effort de guerre.
La lutte pour s’enrôler
En août 1914, des dizaines de milliers d’hommes de partout au Canada se précipitent vers leur centre de recrutement local pour s’enrôler dans la Première Guerre mondiale. De nombreux Noirs tentent également de s’enrôler, mais sont rejetés; certains se font dire que la guerre est réservée aux Blancs, tandis que d’autres apprennent que leurs services ne sont pas requis. À la fin de 1915, au moins 200 volontaires noirs sont rejetés. Cela reflète le racisme qui règne au Canada à l’époque. On raconte même que de nombreux hommes blancs ont dit aux agents de recrutement et aux commandants de bataillon qu’ils refusaient de servir avec des Noirs.
Ces refus sont inacceptables pour les dirigeants des communautés noires du Canada. Ils écrivent au quartier général de la milice et au gouverneur général pour demander que les Canadiens noirs soient autorisés à s’enrôler. Ils demandent également pourquoi ils sont rejetés. Au même moment, les hauts gradés de la Milice partout au Canada interrogent également le quartier général de la Milice à Ottawa, demandant comment les hommes noirs peuvent être autorisés à s’enrôler. Ils doivent également faire face à la pression des chefs noirs ainsi qu’au refus de nombreux hommes blancs de servir avec des soldats noirs.
Le bataillon de construction
À l’époque, un bataillon d’infanterie entièrement composé de Noirs n’est pas une option. Il n’y a en effet pas assez de Noirs au Canada pour former un tel bataillon et fournir des renforts face au nombre élevé de pertes au front. De plus, le War Office britannique refuse d’autoriser la participation d’unités noires aux combats sur le front occidental, parce qu’il craint que les unités d’infanterie noires n’utilisent leur entraînement et leur expérience contre les autorités britanniques dans les colonies. En avril 1916, le chef d’état-major général du quartier général de la milice trouve une solution. Il propose de former un bataillon de travailleurs noirs, la main-d’œuvre étant très rare et essentielle pour soutenir les campagnes. Les Britanniques approuvent cette idée en mai.
Recrutement
Le 2e Bataillon de construction est autorisé le 5 juillet 1916 sous le commandement du lieutenant-colonel Daniel Sutherland, un entrepreneur ferroviaire bien connu de River John, en Nouvelle-Écosse. Son quartier général, initialement basé à Pictou, est transféré à Truro en septembre. Un détachement commence à travailler à Windsor, en Ontario, de septembre 1916 à mars 1917, pour les soldats recrutés en Ontario et dans l’Ouest canadien. Le recrutement commence dans les Maritimes le 19 juillet et au Québec et dans l’Ouest le 30 août. Le bataillon est l’une des rares unités autorisées à recruter dans tout le pays. À la fin de décembre 1916, il compte 575 soldats. Comme pour les autres bataillons, bon nombre d’entre eux sont libérés pour cause d’inaptitude médicale avant le départ du bataillon. Le nombre d’enrôlés est bon, mais insuffisant pour un bataillon.
Le 22 décembre 1916, le bataillon est informé qu’il doit se préparer à servir outre-mer. Ses services sont requis de toute urgence. Une grande campagne de recrutement est lancée afin d’augmenter les effectifs du bataillon, mais est interrompue lorsque 250 hommes de Truro ont été envoyés au Nouveau-Brunswick à la fin de janvier 1917 pour enlever les voies ferrées immédiatement nécessaires aux chemins de fer militaires en Belgique et en France.
Service outre-mer
Le 28 mars 1917, le 2e Bataillon de construction quitte Halifax à bord du SS Southland pour arriver à Liverpool le 7 avril. Le bataillon s’embarque avec 19 officiers et 595 hommes, bien moins que les 1049 officiers et hommes requis pour un bataillon. Parmi les officiers, un seul, le révérend William Andrew White, est Noir. Il y a également sept soldats non noirs parmi les troupes, dont deux défendent les postes de sous-officiers les plus élevés de l’unité : le sergent-major régimentaire et le sergent quartier-maître régimentaire.
En Angleterre, le War Office ne permet pas au bataillon de partir en France avec si peu d’hommes. La solution consiste à reformer le bataillon en une compagnie de travail de 500 hommes et officiers, rebaptisée 2e Compagnie canadienne de construction. Le reste du bataillon reste en Angleterre pour servir de renfort.
Le Corps forestier canadien a un besoin urgent de main-d’œuvre pour soutenir ses opérations forestières dans les montagnes du Jura, dans le sud-est de la France. La 2e Compagnie de construction canadienne arrive sur place tôt le 21 mai 1917 et commence immédiatement ses opérations.
La 2e Compagnie de construction effectue un grand nombre de tâches de soutien. Elle améliore notamment les chemins forestiers existants dans la forêt de La Joux et participe à la construction d’un chemin de fer forestier. La compagnie exploite et entretient également le système d’approvisionnement en eau de tous les camps, ainsi que le système électrique lorsqu’il est mis en service. En outre, elle transporte les produits finis du bois à la gare, où elle les charge dans des wagons. En effectuant ces tâches, les bûcherons des compagnies du Corps forestier sont libérés pour couper et scier les arbres. La 2e Compagnie de construction participe également à toutes les phases du processus d’abattage du bois, en aidant à abattre les arbres et à déplacer et scier les billes.
Le saviez-vous?
Le bois d’œuvre était essentiel à l’effort de guerre. Il servait à revêtir les côtés des tranchées et à fabriquer des caillebotis pour le fond des tranchées ou pour traverser les terrains boueux. Il était également utilisé pour les plates-formes de tir d’artillerie, les traverses de chemin de fer, les boîtes à munitions, les cabanes d’hébergement et les ponts. Le travail de la 2e Compagnie de construction permettait aux usines de produire plus de deux fois plus de bois que les usines qui ne bénéficiaient pas de ce soutien.
En novembre 1917, un groupe de 50 hommes de la compagnie est envoyé à la 37e compagnie à Péronne, en France; là, ils aident à construire une route utilisée pour acheminer les fournitures vers le front. Ils continuent ensuite à soutenir les opérations d’exploitation forestière. Un autre groupe de 180 hommes est envoyé dans le nord-ouest de la France, près d’Alençon, pour soutenir les compagnies du 1er district du Corps forestier canadien. Ils sont envoyés là-bas dans l’idée erronée que les hommes noirs de la 2e Compagnie de construction, originaires des Caraïbes et des États-Unis, ne pourraient pas supporter le froid des montagnes du Jura.
Les soldats du 2e Bataillon de construction restés en Angleterre sont rapidement affectés à des bataillons d’infanterie de réserve où ils effectuent un entraînement d’infanterie et des travaux subalternes en attendant d’être appelés à servir à la compagnie La Joux. Au total, 67 deviennent des renforts pour la compagnie à La Joux; un groupe de 50 hommes arrive en avril et un autre de 17, en juin. La plupart des autres continuent à servir dans des compagnies du Corps forestier canadien en Belgique, en France et au Royaume-Uni.
Démobilisation
Avec l’Armistice du 11 novembre 1918, le Corps forestier n’est plus nécessaire. Afin de prendre de l’avance sur le rapatriement des soldats au Canada avant le départ prévu des troupes de combat, les compagnies du Corps forestier canadien sont retournées en Angleterre. Les premiers hommes du CFC et de la 2e Compagnie de construction entament leur retour le 2 décembre 1918.
Un important groupe de soldats du 2e Bataillon de construction arrive à Kinmel Park, au Pays de Galles, à la fin décembre, en attendant d’être transporté au Canada. Le 7 janvier 1919, certains des hommes sont attaqués par des soldats blancs après que le sergent noir du bataillon tente d’arrêter un soldat blanc pour insolence. Les soldats blancs refusent d’accepter le rang et l’autorité du sergent noir, bien qu’ils fassent tous partie du Corps expéditionnaire canadien. (Voir aussi Émeute de Kinmel Park.)
Dans le but de ramener rapidement les soldats au Canada, les membres du bataillon sont embarqués sur les premiers navires disponibles. Il s’agit notamment du RMS Aquitania, du RMS Empress of Britain et du RMS Olympic. Lorsque ces navires de transport de troupes arrivent à Halifax en janvier 1919, les soldats de l’extérieur de la Nouvelle-Écosse sont placés dans des trains pour être ramenés dans leur province d’enrôlement. La majorité des soldats du bataillon reviennent sur ces trois navires et sont libérés à la fin de février. Le bataillon est dissous le 15 septembre 1920 par le Quartier général de la Milice en même temps que le Corps expéditionnaire canadien.
Signification et commémoration
Les hommes du 2e Bataillon de construction ont montré le dévouement des communautés noires du Canada envers leur pays. Le bataillon a été la plus grande unité noire de l’histoire du Canada et elle a joué un rôle essentiel dans les opérations d’exploitation forestière du Corps forestier canadien dans le Jura et à Alençon. Face au rejet et au racisme, ces hommes noirs ont réussi à faire pression pour être reconnus et jouer un rôle actif dans la guerre. Ce succès a démontré que les communautés noires de tout le pays avaient une voix politique.
En juillet 1920, une plaque commémorative reconnaissant les pertes du bataillon est dévoilée à l’Assemblée législative provinciale de Toronto; elle est reconsacrée en septembre 1926. En 1920, le capitaine M. Stuart Hunt fait paraître Nova Scotia’s Part in the Great War, qui résume les activités de chaque unité levée en Nouvelle-Écosse pendant la Première Guerre mondiale. L’ouvrage comprend un chapitre dédié au 2e Bataillon de construction.
Cela étant dit, le 2e Bataillon de construction est vite oublié, car il n’est pas une unité de combat. Le bataillon reste presque inconnu jusqu’à ce que Calvin Ruck entreprenne ses recherches sur le bataillon dans les années 1980. Le gouvernement du Canada reconnaît la création du bataillon comme un événement historique national en 1992, l’année même où Calvin Ruck est nommé au Sénat canadien. Un monument en granit commémorant le Bataillon est érigé à Pictou, en Nouvelle-Écosse, en 1993, et est déclaré lieu historique national. Postes Canada émet un pli Premier Jour et un timbre commémoratif en vue du mois de l’histoire des Noirs en février 2016 pour rendre hommage au bataillon.
Le 9 juillet 2022, le premier ministre Justin Trudeau présente des excuses de la part du gouvernement fédéral aux descendants du 2e Bataillon de construction pour le racisme systémique subi par les membres du bataillon. Lors de la cérémonie à Truro, en Nouvelle-Écosse, il annonce également que la Monnaie royale canadienne émettra une pièce commémorative en l’honneur du bataillon à l’occasion du Mois de l’histoire des Noirs, en février 2023.